Le chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, a officiellement démissionné de ses fonctions ce matin estimant « ne plus être capable d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel (il) croit » et déclenchant, du même coup, une crise inédite entre l’exécutif et la hiérarchie militaire sur fond de désaccord budgétaire. François Lecointre a été désigné par l’Elysée pour lui succéder.
Le couperet est tombé ce matin. Depuis le recadrage en règle d’Emmanuel Macron et son désormais célèbre « je suis votre chef » devant les armées réunies à l’hôtel de Brienne ce jeudi 13 juillet, la position du « premier soldat de France », Pierre de Villiers, était intenable. Après avoir vertement critiqué, dans des termes particulièrement fleuris, en l’occurrence « je ne vais pas me laisser baiser comme ça », les 850 millions d’économies réclamées par Bercy à la Défense, les heures du chef d’état-major des armées étaient comptées. Sauf à avaler la couleuvre et à continuer de voir le budget de la défense dépecée, Pierre de Villiers a fait le choix de « mourir avec ses idées ». En attestent les termes soigneusement choisis pour sa lettre de démission. « Je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays. Par conséquent, j’ai pris mes responsabilités en présentant, ce jour, ma démission au Président de la République, qui l’a acceptée », écrit le désormais ex- CEMA (chef d’état-major des armées) dans un communiqué. Les désaccords et bisbilles entre Bercy et la Défense qui, par le passé, ont toujours trouvé une issue malgré haussements de ton et autres algarades verbales des deux « camps » mettent Emmanuel Macron face à sa première crise du quinquennat.
En cause, comme évoqués en préambule, les 850 millions d’euros d’économies exigées par Bercy, Pierre de Villiers s’offusquant qu’une fois de plus, la «grande muette » fasse office de variable d’ajustement budgétaire. La fois de trop visiblement. Pour rappel, ces économies, objet du courroux de l’ex-CEMA, proviendront des 2,7 milliards d’euros de crédits gelés pour l’exercice en cours au titre des régulations annuelles. Cette mesure de régulation, prise dans le cadre de la loi de finances 2017, concerne : une réserve de précaution de 1,6 milliard d’euros, un gel des crédits de report de 2016 sur 2017 à hauteur de 715 millions (décidé en mars) et un « surgel » de 350 millions d’euros (en avril). Un effort qui pourrait peser sur les équipements des militaires alors que de nombreux soldats sont déployés sur moult théâtres d’opérations extérieurs (Sahel, Levant) comme intérieurs, avec l’opération Sentinelle. Au total, 7 000 militaires français sont déployés aujourd’hui sur des théâtres extérieurs, dont 4 000 pour la seule opération Barkhane au Sahel.
« Effort » en 2018
Mais si l’exécutif avait assuré Pierre de Villiers d’un « coup de pouce » en 2018, aucune promesse concrète de financement n’est pourtant arrivée sur le bureau du général. Pourtant, Emmanuel Macron a confirmé son objectif de porter les ressources de la Défense à 2% du PIB à l’horizon 2025. Le premier ministre, Edouard Philippe, avait abondé en ce sens, la semaine dernière, dans un entretien fleuve aux Echos, promettant donc « un effort supplémentaire » en 2018, sans donner davantage de précisions sur le modus operandi. Pour rappel, la France sous la présidence Hollande s’était engagée avec les autres membres de l’Union Européenne à porter son budget militaire à 2% de son produit intérieur brut… mais pas avant l’horizon 2024.
Dans le détail, le budget de « la grande muette » a été augmenté de 600 millions d’euros en 2016 pour être porté à 32 milliards. En janvier dernier, Pierre de Villiers tirait (déjà) la sonnette d’alarme dans les Echos, plaidant pour un relèvement du budget de la défense à hauteur de 2% du PIB (contre 1,78% actuellement), condition sine qua non, selon lui, pour faire face aux nouvelles formes de menaces, et donner un second souffle à un modèle en fin de cycle. Une hausse qui devait intervenir à ses yeux le plus rapidement possible, en l’occurrence à la fin du prochain quinquennat, soit en 2022. Mais force est de constater que le compte n’y est pas et que, au-delà du cas personnel de Pierre de Villiers, c’est l’armée dans son ensemble qui tremble sur ses fondations. Même si l’Elysée, à la manœuvre dans ce dossier, veut aller vite sur la nomination du successeur de Pierre de Villiers, ajoutant au passage que « les économies demandées n’obèrent en rien les capacités opérationnelles de la France ». Fin de citation.
François Lecointre succédera à Pierre de Villiers
En effet, Emmanuel Macron ne veut pas que la crise – inédite sous la Ve République – prenne davantage d’ampleur et a d’ores et déjà annoncé le nom de son remplaçant : il s’agit de François Lecointre dont le nom a filtré à l’issue du Conseil des ministres, ce mercredi. « Si quelque chose oppose le chef d’état-major des armées au Président de la République, le chef d’état-major des armées change », confiait, il y a quelques jours, le chef de l’Etat au JDD. Il a donc joint les actes à la parole. A noter, dans ce dossier, le silence assourdissant du ministère des Armées. « J’ai envie de lancer une alerte enlèvement » s’est amusé l’éditorialiste Bruno Jeudy à l’antenne de BFMTV. La « grande muette » n’a décidément jamais aussi bien porté son nom.
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