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Le Canada et le Groenland dans la ligne de mire de Trump : quels objectifs stratégiques et économiques ?

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Le président américain Donald Trump signe une série de décrets à la Maison-Blanche le 20 janvier 2025. | Source : Getty Images

Après le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche la semaine dernière, de nombreux experts s’attendaient à ce qu’il s’en prenne à la Chine ou qu’il aborde la question de la sécurité à la frontière avec le Mexique. Au lieu de cela, le président américain a surpris le monde entier en réitérant sa volonté d’étendre le territoire des États-Unis en rachetant le Groenland au Danemark et en incorporant le Canada au sein de la confédération en tant que 51e État.

 

Ce projet a naturellement suscité de nombreuses critiques, de nombreuses personnes considérant ces deux objectifs comme irréalisables. Si l’approche agressive et la rhétorique grandiloquente de Donald Trump peuvent être rapidement rejetées, il convient de comprendre pourquoi les États-Unis expriment des ambitions géopolitiques aussi audacieuses. Il y a trois principales raisons à cela : des objectifs économiques, la sécurité nationale et le statut de puissance mondiale des États-Unis.

 


Le Canada, 51e État américain ?

Avec ses 9,98 millions de kilomètres carrés, le Canada est le deuxième plus grand pays du monde et constitue une extension naturelle du territoire américain d’un point de vue géographique. Les deux nations partagent déjà la plus longue frontière non militarisée au monde, mais Donald Trump a qualifié cette frontière de ligne artificiellement tracée qui entrave l’intégration économique et la coopération en matière de sécurité.

Sur le plan économique, le Canada est le deuxième partenaire commercial des États-Unis et leur premier marché d’exportation. Le commerce est régi par l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, signé par le premier gouvernement Trump. La TD Bank estime que les États-Unis sont en passe d’enregistrer un déficit commercial avec le Canada d’environ 45 milliards de dollars américains en 2024, ce qui ne représente que 5 % du déficit commercial global des États-Unis. Si l’on exclut les exportations énergétiques canadiennes, le déficit commercial devient positif : en 2023, 78 % de l’ensemble de la production canadienne était destiné aux États-Unis, et 60 % de l’ensemble des importations américaines de pétrole brut provenaient du Canada.

L’énergie représente donc une part importante des échanges entre les deux pays. Toutefois, étant donné la part relativement faible des déficits globaux et le fait que la production énergétique américaine continue de croître, il existe probablement d’autres motivations pour vouloir faire du Canada le 51e État américain.

Donald Trump affirme que l’annexion du Canada permettrait d’éliminer les barrières commerciales, de rationaliser l’extraction des ressources et de renforcer l’indépendance énergétique de l’Amérique du Nord par rapport au reste du monde. Toutefois, les intérêts en matière de sécurité nationale et économique constituent une motivation plus importante.

Le contrôle de la frontière est l’un des enjeux clefs. Par exemple, Donald Trump s’est dit préoccupé par le flux de fentanyl et d’immigrants illégaux à la frontière entre les États-Unis et le Canada. L’intégration des deux pays renforcerait la sécurité des frontières. Le contrôle des ressources est un autre problème. Le gouvernement Trump considère que l’accès aux vastes réserves de ressources naturelles du Canada, notamment le pétrole, les minéraux et l’eau douce, est vital pour la sécurité économique des États-Unis.

Le principal enjeu serait l’Arctique. Près de 40 % de la masse terrestre du Canada est considérée comme arctique. En intégrant le Canada, les États-Unis pourraient renforcer leur position dominante dans le commerce mondial et la géopolitique de l’Arctique. Cette démarche permettrait de contrebalancer la présence croissante de la Russie et de la Chine dans l’Arctique, tout en assurant le contrôle de routes maritimes essentielles.

Comme on peut s’en douter, le Canada n’est pas très réceptif aux projets du président américain. Les responsables canadiens ont rapidement rejeté l’idée d’une annexion. L’opinion publique s’aligne également sur cette position. Un sondage Angus Reid réalisé au début du mois de janvier a révélé que seuls 10 % des Canadiens sont favorables à une intégration politique avec les États-Unis.

Donald Trump est très probablement conscient que faire du Canada le 51e État américain n’est pas gagné d’avance. Toutefois, ses tactiques agressives, qui menacent les relations entre les deux pays à court terme, pourraient déboucher sur un accord négocié qui permettrait une plus grande intégration.

 

Le Groenland : un atout stratégique pour l’Arctique

Le Groenland, région autonome du Danemark, est la plus grande île du monde, avec une superficie de 2,16 millions de kilomètres carrés. Il est peu peuplé, avec seulement 56 916 habitants.

À l’instar du Canada, la proximité du Groenland avec d’importantes voies de navigation dans l’Arctique en fait un atout géopolitique. L’île accueille également la base spatiale de Pituffik, une installation militaire américaine clef utilisée pour la défense antimissile et les opérations de surveillance.

Sur le plan économique, le Groenland est riche en éléments de terres rares inexploités tels que le dysprosium, le néodyme, l’europium et l’yttrium, des matériaux essentiels pour l’intelligence artificielle, les technologies d’informatique quantique, les systèmes d’énergie renouvelable et les équipements de défense avancés. À lui seul, le projet Tanbreez contient environ 28 millions de tonnes d’oxydes de terres rares, dont près de 30 % sont des terres rares lourdes. Ces ressources pourraient réduire considérablement la dépendance des États-Unis à l’égard de la Chine, qui contrôle actuellement plus de 80 % de la production mondiale de terres rares.

Les États-Unis semblent très désireux de prendre le contrôle du Groenland ou, à tout le moins, de conclure une alliance économique et politique beaucoup plus étroite. « Il ne s’agit pas seulement du Groenland », a déclaré Mike Waltz, conseiller à la sécurité nationale, à Jesse Watters, animateur de Fox News, le 8 janvier dernier. « Il s’agit de l’Arctique. Moscou tente de devenir le roi de l’Arctique. Il s’agit de minéraux essentiels, de ressources naturelles, de pétrole et de gaz. Il s’agit de notre sécurité nationale. »

Comme le Canada, le Danemark s’est farouchement opposé aux ambitions de Donald Trump. Le 7 janvier, la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, a réaffirmé que « le Groenland n’est pas à vendre », soulignant que les relations entre les États-Unis et le Danemark devaient rester respectueuses de la souveraineté du Groenland.

Le Premier ministre du Groenland, Múte Egede, a partagé ce sentiment tout en reconnaissant la nécessité pour le Groenland de travailler en étroite collaboration avec les États-Unis dans le domaine de la défense et des ressources naturelles. « La réalité est que nous devons travailler avec les États-Unis, comme nous l’avons fait par le passé, comme nous le faisons actuellement et comme nous le ferons à l’avenir », a déclaré Múte Egede lors d’une conférence de presse à Nuuk.

L’indépendance vis-à-vis du Danemark est un sujet d’actualité à l’approche des élections qui se tiendront au Groenland en avril prochain, et les coûts et les avantages d’une relation plus étroite avec les États-Unis après l’indépendance feront certainement l’objet de discussions.

Ce n’est pas la première fois que les États-Unis expriment leur intérêt pour le Groenland. En 1946, Washington a offert au Danemark 100 millions de dollars en lingots d’or pour le Groenland. À l’époque, les responsables américains pensaient qu’il s’agissait d’une « nécessité militaire ».

 

L’importance géopolitique de l’Arctique

L’Arctique est devenu un point central de la concurrence mondiale en raison de l’abondance de ses ressources naturelles, de l’émergence de nouvelles routes maritimes et de son importance militaire stratégique. On estime que la région contient 13 % des réserves mondiales de pétrole non découvertes et 30 % des réserves de gaz naturel. Comme mentionné plus haut, les éléments critiques de terres rares sont également abondants dans la région arctique.

La fonte des calottes glaciaires de l’Arctique ouvre de nouvelles voies de navigation maritime, notamment le passage du Nord-Ouest au Canada et la route maritime du Nord en Russie. Ces voies pourraient réduire de 30 % à 50 % le temps de transport entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord. Le contrôle de ces routes constituerait un avantage économique et politique pour les États-Unis.

L’Arctique revêt une importance militaire considérable, car il relie l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Eurasie. L’armée américaine est présente au Groenland, mais ses adversaires le sont également. La Russie, qui contrôle 53 % du littoral arctique, a fortement militarisé ses territoires en y installant des bases aériennes et des forces navales, tandis que la Chine s’est déclarée « État proche de l’Arctique » pour justifier ses investissements croissants dans le secteur minier du Groenland.

Pékin détient également des participations substantielles dans de grands projets russes de GNL dans l’Arctique. En acquérant le Canada et le Groenland, les États-Unis assureraient leur domination sur ces ressources et ces routes tout en contrant les ambitions russes et chinoises.

 

Et si Donald Trump n’arrive pas à concrétiser ces projets ?

Si le Danemark et le Canada continuent de résister aux ambitions territoriales de Donald Trump, ce dernier a laissé entendre qu’il utiliserait la pression économique, voire la force militaire, comme moyen de pression. Pour le Danemark, le président américain a menacé d’imposer des droits de douane élevés sur les exportations danoises en cas de refus de vente du Groenland.

Pour le Canada, Donald Trump pourrait imposer des droits de douane punitifs ou renégocier les accords commerciaux afin d’accroître la pression économique, une tactique qu’il a déjà employée contre d’autres partenaires commerciaux comme le Mexique et la Chine. Le Canada est d’ores et déjà en état d’alerte en prévision d’un tarif douanier potentiel de 25 % sur l’ensemble des exportations vers les États-Unis, qui pourrait intervenir dès le 1er février.

Ces mesures s’alignent sur l’approche transactionnelle de Donald Trump en matière de diplomatie, mais Washington risque de se mettre à dos des alliés de longue date comme le Danemark et le Canada, tout en déstabilisant les relations internationales existantes. En réalité, personne ne connaît le prochain coup sur l’échiquier géopolitique.

 

Les conséquences d’une intégration du Canada et du Groenland au sein de la confédération

Si Donald Trump parvient à intégrer ces territoires aux États-Unis, la géopolitique mondiale s’en trouvera fondamentalement remodelée. La masse continentale combinée des États-Unis serait de 21 553 522 kilomètres carrés, ce qui en ferait le plus grand pays du monde. Cette nouvelle entité dépasserait la Russie et ses plus de 4 millions de kilomètres carrés et éclipserait la Chine, dont la superficie est de 9,6 millions de kilomètres carrés.

Sur le plan économique, le contrôle des ressources de l’Arctique qu’apporterait une intégration permettrait aux États-Unis de s’imposer sur les marchés mondiaux de l’énergie tout en s’assurant un avantage technologique grâce à l’accès aux éléments de terres rares essentiels à la croissance de l’intelligence artificielle et aux progrès de l’informatique quantique.

Bien que ces scénarios puissent sembler improbables, compte tenu des obstacles juridiques et de la forte résistance du Danemark et du Canada, ils mettent en évidence l’ambition plus large du gouvernement Trump d’utiliser la puissance américaine pour redéfinir le rôle des États-Unis sur la scène mondiale. Le désir d’annexer le Canada et le Groenland reflète les objectifs politiques américains visant à renforcer la sécurité économique et nationale. Cette nouvelle approche est peut-être effrontée et audacieuse, mais cette stratégie géopolitique présente un réel intérêt pour les États-Unis.

 

Une contribution de Garth Friesen pour Forbes US, traduite par Flora Lucas

 


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