Berlin a une nouvelle stratégie à l’égard de la Chine. Elle contraste fortement avec la position autrefois accommodante et sympathique de l’Allemagne et ne peut être décrite que comme méfiante et distante, voire tout à fait hostile. Washington prétendra sans doute que l’Allemagne a suivi l’exemple américain dans cette direction. Mais étant donné l’approche globale de Berlin, fruit d’un compromis considérable, ce sont les Allemands qui semblent avoir pris les devants, tout comme le Japon l’a fait sur cette question lors des récentes réunions du G7 à Hiroshima.
Le document stratégique de 64 pages du gouvernement de coalition du chancelier Olaf Scholz affirme que la Chine a changé et que l’Allemagne doit en faire autant. Il décrit Pékin comme désireux de démanteler « l’ordre international fondé sur des règles » qui, selon le document stratégique, a régi le commerce et la finance internationaux pendant des décennies. La nouvelle position de Berlin s’oppose à ce qu’elle décrit comme l’objectif de Pékin de rendre la Chine indépendante du reste du monde tout en rendant les autres économies dépendantes de la Chine. Ces objectifs et les efforts de Pékin pour obtenir l’hégémonie dans la région indo-pacifique constituent, selon Berlin, une menace pour l’Europe et la sécurité mondiale. Bien que le document stratégique insiste sur le fait que la Chine reste un « partenaire » commercial de l’Allemagne, il décrit également la « rivalité systémique » de Pékin comme étant « de plus en plus importante ». Entre autres références, ce document stratégique accuse Pékin d’utiliser la « dépendance technique pour atteindre des objectifs politiques » et de fusionner « la politique civile et la politique militaire ».
Washington, depuis le gouvernement Trump, affiche une approche de plus en plus méfiante et parfois hostile à l’égard de Pékin. Si l’on s’en tient strictement au calendrier, il semble que Berlin suive. Mais compte tenu des critiques passées de Berlin à l’égard de l’hostilité de Washington et de la mission commerciale du chancelier Scholz en Chine tout récemment, il est plus probable que le changement allemand reflète une décision indépendante. Il convient également de noter à cet égard que l’agence de renseignement allemande a récemment qualifié la Chine de « plus grande menace en matière d’espionnage économique et scientifique et d’investissements directs étrangers en Allemagne ». Berlin a reçu un avertissement indirect sur la domination commerciale croissante de la Chine dans un rapport récemment publié par l’Office fédéral des statistiques allemand. En 2022, les exportations allemandes vers la Chine n’ont augmenté que de 3,1 %, mais ses importations ont augmenté de 33,6 %, laissant l’Allemagne avec un déficit commercial bilatéral négatif de près de 100 milliards d’euros.
La nouvelle stratégie allemande vise à rendre l’Allemagne « moins dépendante dans les secteurs critiques », en mettant l’accent sur la technologie médicale, les produits médicinaux et les terres rares. La nouvelle stratégie vise à modifier la législation pour tenir compte des « intérêts de sécurité » dans tous les accords commerciaux ainsi que dans les investissements allemands en Chine. Elle prévoit d’établir une liste de biens soumis à des contrôles à l’exportation, en mettant l’accent sur la cybersécurité et la surveillance. La stratégie vise en outre à « élargir nos relations économiques allemandes avec l’Asie et au-delà ». Le fait que la nouvelle stratégie adopte une position forte sur Taïwan est sans doute particulièrement irritant pour Pékin. Berlin s’engage à améliorer les relations avec l’île, à soutenir la participation de Taïwan aux organisations internationales et à insister pour que toute réunification avec le continent se fasse de manière pacifique et avec un « consentement mutuel ». Le document s’associe également aux États-Unis pour faire pression sur Pékin afin qu’il renonce à son statut de « pays en développement » au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Berlin prend soin d’éviter toute mention de « découplage » du commerce avec la Chine, une notion devenue courante à Washington. Les Allemands préfèrent l’expression « dé-risquer ». Berlin entend ainsi maintenir des liens commerciaux avec la Chine tout en se protégeant de la dépendance, de l’intimidation chinoise et des pratiques commerciales déloyales. Si la stratégie ne cherche pas à couper les deux économies l’une de l’autre, elle recommande vivement aux entreprises allemandes de diversifier leurs chaînes d’approvisionnement en s’éloignant de la Chine. Lorsqu’on lui a demandé si Berlin imposerait une telle diversification, le chancelier Scholz a clairement indiqué qu’une telle mesure ne serait pas nécessaire, étant donné que les entreprises allemandes sont déjà en train de se diversifier par rapport à la Chine sans pression gouvernementale. Il en va de même pour les entreprises américaines et japonaises.
Sans surprise, Pékin est loin de se réjouir de cette nouvelle attitude allemande. Depuis quelque temps, alors que les États-Unis et le Japon s’opposent aux pratiques commerciales déloyales et parfois abusives de Pékin, les Européens, et plus particulièrement les Allemands, semblent désireux d’obtenir des avantages avec la Chine, alors que les Américains et les Japonais prennent leurs distances. Il y a quelques mois, M. Scholz a conduit une délégation commerciale allemande à Pékin et, il y a quelques semaines, le premier ministre chinois Li Qiang a souligné les liens étroits entre la Chine et l’Union européenne, et en particulier la « relation solide » qu’elle entretient avec l’Allemagne. Pékin a dû voir dans ce positionnement européen une sorte de protection contre l’hostilité américaine et japonaise. Avec le récent accord du G7 visant à limiter la dépendance vis-à-vis de la Chine et la nouvelle stratégie de Berlin, cette protection s’est évanouie. Jusqu’à présent, le monde n’a guère vu de réaction de la part de Pékin, mais il est encore tôt.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Milton Ezrati
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