Dans son programme à destination des entreprises, qui se décline en trois volets (restaurer la compétitivité des entreprises, refaire de la France une grande puissance industrielle, et favoriser la production française) Éric Zemmour développe l’idée de mettre fin aux droits de donation et de succession pour la transmission des entreprises familiales. Une proposition qui a le mérite de mettre en lumière un sujet qui est souvent dans l’angle mort des politiques. En effet, la question de la transmission des entreprises devient une réalité prégnante lorsqu’on se compare à nos voisins européens. En France, seules 14% des transmissions patrimoniales sont réalisées, quand celles-ci atteignent plus de 50% en Allemagne et en Italie*. Cette mesure serait-elle plus efficace que le régime en vigueur issu de la loi PACTE ? Aurait-elle un effet sur le renouveau du tissu économique du pays ? Réponse avec Philippe Chalmin, économiste, professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine et fondateur du Cercle Cyclope.
En 2019, la loi PACTE est venue assouplir le « pacte Dutreil » en exonérant à hauteur de 75% les droits de succession applicables aux entreprises individuelles et aux sociétés sous certaines conditions. Doit-on aller plus loin en supprimant les droits de succession, comme le propose Éric Zemmour ?
Philippe Chalmin : Bien qu’étant libéral, je réfute cette idée selon laquelle la fiscalité des transmissions et successions au sens large devrait encore être assouplie. A l’inverse, je suis partisan d’un renforcement de son poids, car c’est un impôt juste au sens de la redistribution des richesses. J’en veux pour preuve la pétition signée par plusieurs milliardaires américains en 2001, lorsque le candidat George W. Bush s’était prononcé en faveur de l’abolition des droits de successions aux États-Unis. Cela étant dit, il est vrai qu’en France, du fait de l’ISF, de nombreux héritiers se sont retrouvés actionnaires d’entreprises dans lesquelles ils n’exerçaient aucune fonction, mais dont la simple possession de titres les obligeait à une valorisation dans leur patrimoine qui pouvait atteindre des sommes qui dépassaient leur capacité financière. D’où les vagues d’exil fiscal que nous avons connues. Cette réalité n’est plus, et la France s’est depuis dotée d’un régime fiscal qui facilite la transmission d’entreprise.
Telle que proposée, cette mesure serait-elle de nature à favoriser la transmission des entreprises familiales, et par effet de ricochet, à doper le tissu industriel français ?
Je ne pense pas. Cette mesure aurait plutôt un effet neutre sur la réalité industrielle de notre pays car les blocages ne sont pas fiscaux mais culturels. Si l’Allemagne et l’Italie disposent d’un vivier d’entreprises familiales qui se transmettent de génération en génération, c’est parce qu’il existe une notion de transmission très forte. En Allemagne, l’héritier ou l’héritière ira faire son apprentissage dans l’entreprise de son père et en gravira les échelons. En France, les héritiers préfèreront opter pour une école de commerce avant de prendre leur envol. Deux trajectoires culturelles différentes qui aboutissent à des perceptions différentes de l’entreprise familiale et de sa valeur. Alors bien sûr, on pourrait imaginer un cadre plus souple pour certaines catégories d’entreprises familiales, en particulier celles dont la valeur est difficile à estimer, de façon à encourager les héritiers à assurer la relève. Mais encore une fois, les blocages ne sont pas d’ordre pécuniaire. En revanche, ce qui est certain, c’est que cette mesure risquerait de créer des inégalités en ouvrant des fenêtres d’opportunités à des personnes dont nous ne sommes pas sûrs qu’elles joueront le jeu.
L’enjeu de la transmission des entreprises doit-il se résumer à une approche fiscale ? N’est-ce pas réducteur ?
En utilisant tous les outils mis en place par l’administration fiscale, il est possible d’organiser la transmission de son entreprise tout en réduisant considérablement la facture, à condition de l’anticiper. La succession d’une entreprise se prépare sur une dizaine d’années au moins, et non six mois avant le départ en retraite du dirigeant. Le politique a tendance à évoquer le sujet sous l’angle fiscal car il est en réalité assez démuni. Au-delà de la question culturelle que nous avons abordée, l’autre frein est d’ordre administratif. L’accumulation de règles, les normes environnementales, auxquelles s’ajoute le mille-feuille des différentes autorités locales, compliquent la tâche des chefs d’entreprises, et des potentiels investisseurs et repreneurs. C’est par le biais de la simplification administrative qu’il faut agir pour développer le tissu industriel du pays.
* Source : Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance
** Source : Les Carnets de BPCE L’Observatoire 2019 sur la cession-transmission des entreprises en France
<<< À lire également : Si j’étais candidat, je proposerais… : « Un plan d’investissement de 20 milliards pour le metavers » >>>
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits