PRESIDENTIELLE // L’encadrement des écarts de salaires est une proposition économique qui refait surface à chaque présidentielle. Anne Hidalgo l’a notamment reprise dans le cadre de ses mesures économiques pour apporter plus de justice sociale. Ainsi, elle souhaiterait non seulement revaloriser le SMIC de 15%, mais surtout, elle souhaite que les patrons gagnent au maximum 25 000 euros nets par mois.
La principale raison réside dans un constat assez partagé : les patrons du CAC 40 gagneraient en moyenne 260 fois le SMIC et 120 fois le salaire moyen de l’entreprise. Au sein du CAC 40, l’écart le plus élevé est de 560 fois le Smic (salaire et actions inclues). Les écarts de rémunération s’aggraveraient dans le temps : la rémunération des dirigeants du CAC 40 avaient augmenté de 45% depuis 2009 soit deux fois plus vite que la moyenne des salaires de leur entreprise et 4 fois plus vite que le smic. A partir de là, on peut dire que la messe est dite, d’autant que ce n’est pas tout : si l’on prenait en compte toute la chaîne d’approvisionnement en intégrant les sous-traitants des pays du Sud, nous pourrions constater des injustices planétaires. Une personne qui cueille en Inde le thé vendu dans la grande distribution ne gagnerait que 550 euros en moyenne par an. Pour le mode opératoire, Anne Hidalgo souhaiterait rendre non déductible de l’impôt sur les sociétés les rémunérations 20 fois supérieures au SMIC. En France, 25% des salariés touchent moins de 1500 euros nets par mois et la moitié moins de 2000 euros nets. En outre, 10 millions de Français vivent avec moins de 1000 euros nets par mois. 2/3 des jeunes mettent les choix de leur entreprise dans l’éthique. Evasion fiscale, décarbonation des process de fabrication, après des décennies de matérialisme et d’individualisme, une nouvelle jeunesse aspire à autre chose : des écarts de salaire décents comme facteur d’attractivité de l’entreprise.
Des inégalités criantes : un combat a priori louable…
Ces écarts seraient un danger pour l’entreprise car les dirigeants vont dès lors systématiquement adopter des stratégies alignées avec les intérêts des actionnaires et auront alors tout intérêt, souvent au détriment de la rémunération des salariés, à faire monter le cours de bourse car plus de la moitié de leur rémunération est effectivement constituée d’actions. Le revers de la médaille est que ces dirigeants vont négliger les investissements à long terme, ceux qui seraient profitables pour l’entreprise. Surtout, une étude de Cambridge aurait largement démontré que plus les salaires des PDG sont élevés, plus les performances des entreprises baissent !
Il faut aussi comparer avec l’économie sociale et solidaire ainsi que le secteur public. Il existe à ce titre des expériences d’écarts de salaire de 1 à 5 dans les entreprises solidaires d’utilité sociale. Dans la fonction publique, la rémunération brute maximale est de 15 000 euros mensuels, primes comprises. Par décence pour les autres, il serait normal d’harmoniser les écarts de salaire du secteur privé, surtout que les métiers exercés dans la fonction publique, par exemple les enseignants, sont des métiers à parcours difficiles et qui méritent une reconnaissance rémunérée. Dans l’armée, dans la médecine, il y a des personnes qui prennent tout autant de risques considérables et qui sont dans un autre mode de reconnaissance que l’argent. En quoi les militaires, les professeurs, les médecins ne seraient-ils pas des talents ? Pourtant, leur environnement salarial est souvent celui d’un rapport de 1 à 6 entre les rémunérations les plus basses et les plus élevées ! Là aussi, il faut citer « l’étude » : il est aussi démontré qu’une entreprise qui accepte de redistribuer augmente sa productivité.
Pour se faire une opinion, il faut maîtriser l’antithèse également !
Passons donc en revue quelques arguments qui ne soutiennent pas cette mesure.
Il y aurait, dit-on, derrière cette proposition une compréhension de la société assez rétrograde. Nous serions dans la lutte des classes en stigmatisant au passage les patrons. Surtout qu’aucune distinction n’est faite entre un patron du CAC 40 et celui d’une PME TPE. Le problème serait donc principalement les patrons du CAC 40 mais il existe en France près de 3 millions d’autres patrons qui ne sont pas CAC 40 et, surtout, qui sont déjà dans les clous d’une potentielle norme règlementaire en la matière.
Un autre argument que l’on trouve est que ça n’est pas aux entreprises de s’occuper des inégalités mais à l’Etat. Les inégalités devraient être corrigées par l’Etat mais pas à la source comme on le dit. Il serait donc dangereux pour l’entreprise d’imposer une énième règlementation. L’entreprise se doit à l’échelle internationale d’être compétitive et capable d’attirer les meilleurs. Par ailleurs, il existe bien des inégalités que l’on accepte sans broncher : dans le sport, dans le prix d’une œuvre d’art, pour un artiste qui a un talent. Pourquoi les talents des entreprises ne pourraient-ils pas bénéficier des mêmes opportunités ? Ce ne doit pas être à l’Etat de déterminer un juste écart, mais à l’entreprise car le salaire, c’est le résultat d’une combinaison de critères qui implique toutes les partie-prenantes à l’entreprise. Il s’agit d’une multiplicité de critères comme la taille de l’entreprise et le service rendu aux clients. De plus, l’Etat n’a pas intervenir lorsqu’il n’est pas propriétaire. Les patrons prennent tous les jours des risques et peuvent, du jour au lendemain, tout perdre. Enfin, il faut continuer à renforcer notre compétitivité et notre attractivité. Le fuite des cerveaux est aussi l’un des risques de cette mesure et l’économie du ruissellement ne fonctionnera plus avec de nombreuses pertes d’emplois.
Tirer vers le bas ou tirer vers le haut ? Un choix de société
Un salaire dépendra toujours de plusieurs paramètres : des clients, de ce qu’ils sont prêts à payer aussi, des fournisseurs etc… de l’ensemble des parties prenantes à l’entreprise. C’est tout cela qu’il faut prendre en compte lorsque l’on affirme qu’une réglementation des écarts de salaire est souhaitable. Ainsi plutôt qu’une règlementation homogène sur les écarts de salaire, c’est plusieurs amendements et accords de branche qu’il faudrait. Surtout, plutôt que de systématiquement vouloir tirer les hauts salaires vers le bas, ne vaut-il pas mieux inciter les salariés par eux-mêmes, par leur travail, par leur effort à réduire dans la responsabilité individuelle et dans la pertinence des choix de leur parcours ces fameuses inégalités ? Il faudrait aussi préciser le choix de société, savoir si l’on préfère amener vers le haut les jeunes ou tirer vers le bas les riches qui ont réussi. La société occidentale est fondée culturellement sur les principes de la social-démocratie et de la méritocratie. Probablement qu’un mélange judicieux entre un soutien aux faibles salaires et une incitation à la réussite via un nivellement par le haut seraient quelque chose de juste et équitable. De cette manière, le principal problème est de rendre acceptable des projets de vie différents et donc des écarts de salaires.
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