Si les sujets sociétaux ont pris une importance particulière durant cette campagne, l’économie pèsera plus encore dans la balance finale. Malgré de bons résultats en termes de croissance et d’emploi pour les démocrates, Donald Trump jouit d’une plus grande crédibilité auprès des électeurs en raison de l’inflation. Kamala Harris espère renverser la situation.
Un article issu du numéro 28 – automne 2024, de Forbes France
« It’s the economy, stupid ! » Ce slogan du conseiller de Bill Clinton pour les élections présidentielles américaines de 1992, que l’on peut traduire par « C’est l’économie qui compte, idiot ! », est devenu un classique de la politique outre-Atlantique. Dans un pays touché par la récession et un taux de chômage élevé, faire des thématiques économiques sa priorité de campagne s’est avéré être un pari gagnant pour le candidat démocrate. Plus de trente ans plus tard, rien de nouveau sous le soleil. Si des enjeux sociétaux tels que l’immigration ou l’avortement ont pris une place considérable, Kamala Harris et Donald Trump devront convaincre sur le terrain éco pour triompher dans les urnes.
D’après un sondage publié par le Pew Research Center, 81 % des Américains placent le sujet en tête des préoccupations pour l’élection de 2024, devant le système de santé et la nomination de juges à la Cour suprême, pourtant susceptible de modifier la Constitution. « Les républicains ont essayé d’orienter les débats contre le wokisme et les excès du progressisme mais l’économie reste centrale dans la campagne, notamment dans l’esprit des 10 à 15 % d’électeurs indécis », expose Jean-Baptiste Velut, spécialiste de politique américaine à l’université Sorbonne Nouvelle.
Alors que les voyants économiques sont au vert, tout laisse à penser que les démocrates tirent profit de l’intérêt des Américains pour la thématique. En effet, les États-Unis affichent une croissance, poussée par la consommation des ménages et la dépense publique, à faire pâlir d’envie nombre de pays européens (2,5 % en 2023 après 1,9 % en 2022). Le marché de l’emploi se révèle être très robuste, avec un taux de chômage tombé à son plus bas niveau depuis cinquante ans en mars 2024. D’autant que l’administration Biden n’est pas étrangère à ces bons résultats. « Les mesures d’urgence mises en place par le Président durant la crise sanitaire ont permis de maintenir l’économie à flot, signale Christophe Blot, économiste et directeur adjoint du département Analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Puis les plans de relance, avec notamment l’Inflation Reduction Act, ont accompagné la reprise de l’activité. »
Mécontentement envers l’administration Biden
Mais en réalité, c’est tout l’inverse qui se produit. Selon le Pew Research Center, les électeurs font plus confiance à Donald Trump en matière d’économie. Comment expliquer un tel décalage entre réalité macroéconomique et perception des foyers ? « Tous ces indicateurs, la plupart des gens ne les suivent pas, remarque Jean-Baptiste Velut. À l’inverse de l’inflation, que le consommateur perçoit dans sa vie de tous les jours. » L’indice des prix à la consommation est actuellement 20 % plus élevé qu’avant la pandémie de Covid, un taux qui monte à 25 % pour les denrées alimentaires. « L’administration Biden est tenue pour responsable de cette envolée de l’inflation », relève l’enseignant. Si les importantes dépenses générées par les plans de relance du président américain ont pu alimenter la mécanique, le constat apparaît réducteur, la hausse des prix ayant été un phénomène mondial dont les causes sont multiples. L’augmentation des salaires, qui est venue compenser la perte de pouvoir d’achat, s’est avérée vaine pour calmer le mécontentement des Américains. « Il y a un biais de perception, explique Vincent Pons, professeur d’économie à la Harvard Business School et prix du meilleur jeune économiste 2023. Une augmentation du salaire apparaît comme légitime par le travailleur, ce qui n’est pas le cas des prix à la consommation. »
Autre motif d’insatisfaction, l’accès au logement. Les prix ont considérablement augmenté depuis la pandémie, en raison d’une offre historiquement faible, notamment de maisons ou appartements à destination des foyers modestes. Les taux de crédit ont, quant à eux, bien monté à cause du resserrement monétaire de la Réserve fédérale américaine, mise en place pour juguler l’inflation. Et tant pis si l’administration Biden n’est pas responsable de la politique monétaire, là n’est pas la question. « Pour rembourser son emprunt immobilier, un ménage, qui achète une maison “milieu de gamme”, payait en moyenne 1 000 dollars par mois avant la pandémie. Actuellement, c’est le double, souligne Florence Pisani, directrice de la recherche économique de Candriam. Pour un Américain, ce doublement du service de la dette pèse lourd ! »
« Tournant crépusculaire »
En revanche, Donald Trump jouit d’une image positive sur les questions économiques. « Cela est lié à la conjoncture économique favorable jusqu’au début de la pandémie et à son image d’homme d’affaires », souligne Jean-Baptiste Velut. Opportun, l’ancien Président n’hésite pas à s’en saisir pour asseoir sa crédibilité et discréditer son adversaire. « Ils sont en train de détruire notre pays, a-t-il clamé lors du débat télévisé entre les deux candidats, le 10 septembre. J’ai construit l’une des plus grandes économies de l’histoire du monde, et je vais la reconstruire à nouveau. Elle sera plus grande, meilleure et plus forte. » « C’est une élection marquée par la tonalité crépusculaire du message de Donald Trump qui parle de déclin américain dans un contexte de confiance des ménages dégradée, alors même que les indicateurs économiques restent bons, exception faite du déficit public, soulève Gilles Moëc, chef économiste du groupe AXA. On retrouve un candidat républicain très offensif, avec des propositions radicales alors que la position favorable de l’économie américaine permet un certain gradualisme. »
Devant cette situation, Kamala Harris marche sur un fil. « D’un côté, elle estime qu’il faudrait défendre le bilan économique de Joe Biden et réussir à changer la perception en la matière. De l’autre, elle essaie de se démarquer de celui-ci en raison de son impopularité, remarque Vincent Pons. Reste que le fait d’avoir été mise en retrait durant le mandat du président joue en sa faveur. Elle peut se construire un nouveau profil à l’occasion de cette campagne. » Dans l’univers des entreprises, il est parfois nécessaire de changer de nom pour se détacher d’une image néfaste. En campagne en Caroline du Nord à la mi-août, la candidate démocrate a présenté ses principales mesures économiques. Si le programme s’inscrit dans la continuité de celui mis en œuvre durant les quatre dernières années, il met l’accent sur la question du coût de la vie et du pouvoir d’achat. Suffisant pour remplacer définitivement les « Bidenomics » par les « Kamalanomics » dans l’esprit des Américains…?
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