Les victoires des chrétiens-démocrates aux élections régionales allemandes compromettent fortement les chances du SPD de gagner les législatives de septembre 2017.
Trois fois de suite les sociaux-démocrates allemands ont perdu des élections régionales dont ils attendaient de meilleurs résultats à la suite de ce qu’eux-mêmes appelaient avec les médias l’« effet Schulz », du nom de leur nouveau président et challenger de la chancelière Angela Merkel, qui avait en quelques semaines fait monter les intentions de vote en leur faveur de 20 à 30% voire même plus selon certains sondages.
Martin Schulz, l’ancien président du Parlement européen, issu de la petite ville de Würselen, près d’Aix-la-Chapelle en Rhénanie du Nord – Westphalie, avait succédé lors du congrès extraordinaire du SPD le 19 mars 2017 à Berlin à Sigmar Gabriel à la présidence du SPD. Il avait été élu avec le score inégalé de 100% des voix des délégués et confirmé dans la fonction de candidat social-démocrate à la chancellerie, il passait pour être en capacité de mener le SPD à la victoire et de damer le pion à la chancelière. (Voir entre autres : The Conversation)
Las, lors du scrutin du 26 mars en Sarre, le SPD, au pouvoir au sein d’une grande coalition dirigée par la chrétienne-démocrate Annegret Kramp-Karrenbauer, perdait une première fois : avec un recul à 29,6% des suffrages, il était distancé de plus de 10 points par la CDU (40,7%) alors qu’il avait plus ou moins ouvertement espéré pouvoir constituer un gouvernement de coalition avec Die Linke (La gauche) et les Verts.
Tous deux perdaient des voix, au point même pour les Verts d’être exclus du parlement de Sarrebruck, faute d’avoir dépassé la barre des 5% (Voir : Saarland). L’avertissement était sérieux mais il pouvait être relativisé dans la mesure où le Land de Sarre avec moins d’1 million d’habitants et moins de 800.000 électeurs inscrits ne pouvait être jugé représentatif de l’ensemble de l’Allemagne. Cet échec mettait du moins en évidence qu’une alliance du SPD avec Die Linke passait mal et favorisait la CDU. Le SPD se retrouve finalement en Sarre partenaire junior d’une nouvelle grande coalition avec la CDU.
Au Schleswig-Holstein, où il gouvernait à la tête d’une coalition avec les Verts et le parti de la minorité danoise (SSW), le SPD perdait à nouveau, le 7 mai, une élection régionale au profit de la CDU qui le distançait de 4,8 points. Certes, le SPD ne sera peut-être pas exclu de la formation d’un nouveau gouvernement, trois options étant théoriquement possibles dont deux sans doute peu praticables en fonction des options des Libéraux (FDP) et des Verts : une coalition dite de la « Jamaïque » associant le noir de la CDU au vert (des Verts) et au jaune du FDP comme dans le drapeau de ce pays ; une coalition dite des « feux tricolores » aux couleurs du SPD, des Verts et du FDP (rouge, vert, jaune) ; ou une grande coalition dirigée par les chrétiens-démocrates.
Les intentions de vote avaient déjà placé la CDU devant le SPD à l’automne 2016 puis tout semblait être rentré dans l’ordre jusqu’à ce que la tendance s’inverse à nouveau deux à trois semaines avant le scrutin (Voir : Wahlrecht).
En cause, une campagne menée sans enthousiasme par le ministre-président social-démocrate sortant, Torsten Albig, jugé non seulement introverti mais souvent maladroit lors de prises de position prétendument humoristiques, la politique scolaire du gouvernement, la désaffection de l’électorat féminin suite à un entretien de T. Albig avec un magazine illustré, après l’annonce de son divorce, sur la vision qu’il a du rôle de la femme dans la société.
L’échec est d’autant plus cuisant que le candidat chrétien-démocrate, Daniel Günther, n’était guère connu du grand public et, s’il avait derrière lui une déjà longue carrière politique au sein de la CDU, il n’en était devenu le président régional que depuis quelques mois, en novembre 2016 (Voir : t-online).
Ces revers pouvaient encore être compensés par un succès lors des élections régionales de Rhénanie du Nord – Westphalie, qui passent, à juste titre dans un Land de près de 18 millions d’habitants et de plus de 13 millions d’électeurs inscrits, pour être une « élection au parlement fédéral en miniature ». Ces élections régionales avaient donc valeur de test national. Martin Schulz ne s’y trompait pas d’ailleurs : lors d’un discours tenu à Essen, sur le site historique de l’ancienne mine de charbon Zollverein, le 2 avril dernier, il avait établi un lien entre le scrutin du 14 mai en Rhénanie du Nord -Westphalie et les élections fédérales du 24 septembre prochain.
Si le SPD gagnait dans ce Land, alors il deviendrait le plus fort parti au plan fédéral et lui-même deviendrait alors chancelier. Thomas Oppermann, président du groupe parlementaire social-démocrate au Bundestag, déclarait de la même façon qu’une victoire du SPD en Rhénanie du Nord – Westphalie serait le meilleur soutien qu’il puisse imaginer pour les élections fédérales : « Martin Schulz aurait ainsi le vent en poupe. » Las, pour la troisième fois consécutive, le SPD a perdu les élections et engrangé le moins bon résultat de toute son histoire dans ce Land considéré comme son bastion ouvrier depuis des décennies.
La ministre-présidente sortante, Hannelore Kraft, comptait sur son bilan qu’elle n’estimait pas si mauvais que cela puisque le Land renouait avec la croissance, voyait le chômage baisser à 7,5% et qu’elle avait présenté en 2016 un budget en équilibre sans avoir besoin de recourir à de nouveaux emprunts. Des mois durant, les instituts de sondage plaçaient le SPD devant la CDU, jusqu’à un retournement de situation quelques jours seulement avant le scrutin quand un sondage publié par la Deuxième chaîne de télévision (ZDF) a placé, le 11 mai, la CDU, avec un point d’avance, devant le SPD, laissant présager un coude à coude entre les deux partis autour de 31/32% (Voir : Wahlrecht).
Un duel télévisé entre H. Kraft et son challenger chrétien-démocrate, Armin Laschet, quelques jours auparavant n’avait pas départagé les candidats. Mais dans un discours virulent, la chancelière était venu dès début avril apporté un soutien massif à A. Laschet, lui montrant la voie à suivre pour contrer l’image positive que H. Kraft donnait de son Land et substituer à l’ « effet Schulz » l’ « effet Merkel » : le Land, affirmait-elle, était la lanterne rouge en Allemagne dans le domaine de la croissance et de la lutte contre le chômage ; en 2017, il allait à nouveau devoir emprunter pour équilibrer son budget et accroître une dette publique qui approchait déjà les 180 milliards d’euros ; le Land pratiquait une politique sécuritaire laxiste comme l’avaient montré la défaillance de son ministre de l’Intérieur à l’occasion de l’attaque du marché de Noël au centre de Berlin à la Noël 2016 et les événements autour de la nuit de la Saint-Sylvestre 2015 à Cologne ; la politique scolaire n’était pas à la hauteur puisque le Land se révélait incapable d’assurer de nombreuses heures de cours dans les écoles ; enfin les kilomètres de bouchon que connaissait le Land chaque jour par suite d’un manque de planification des travaux de maintenance et de réparation donnaient du Land une image affligeante (Voir : Faz).
Dès lors, A. Laschet avait son argumentaire pour rappeler aux électeurs de Rhénanie du Nord – Westphalie que le Land, s’il n’allait pas mal, n’allait pas bien non plus ; son ambition était de faire qu’il ne soit plus la lanterne rouge en Allemagne mais se place à la tête de la création d’emplois et de l’innovation.
Le 14 mai, avec seulement 31,2 % des suffrages, le SPD a perdu 7,9 points tandis que son partenaire gouvernemental, les Verts, en perdait 4,9, rassemblant ensemble pas plus de 37,4% des voix contre 50,4% cinq ans auparavant. A côté de la CDU qui croît de 6,7 points pour atteindre 33% des voix, le grand vainqueur du scrutin est le FDP qui renaît sous la conduite de Christian Lindner : il fait 12,6 % des voix un plus de 4 points, pour lui un pas de plus qui permettre au FDP d’être à nouveau représenté au Bundestag le soir du 24 septembre.
Les autres scores ont presque valeur anecdotique au vu de ces bouleversements plus inattendus que prévisibles, ils méritent pourtant d’être rappelés : le parti des Pirates disparaît de la scène parlementaire, la montée de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) n’apparaît plus « irrésistible » ; avec 7% des voix, il est resté en dessous des 10% visés. Il est certes désormais représenté dans 13 parlements régionaux sur 16, aussi bien son entrée au Bundestag à l’automne apparaît vraisemblable, mais il n’a plus le vent en poupe (Voir : rp-online).
En matière de coalition, A. Laschet avait prévu, comme le veut la tradition démocratique en Allemagne, de mener des pourparlers avec tous les partis démocratiques, ce qui exclut pour lui l’AfD parce que d’extrême droite et Die Linke parce que d’extrême gauche. Mais dès le lendemain des élections, le comité directeur de Land du SPD a exclu de participer à une grande coalition puisque une coalition CDU-FDP apparaît possible même si elle ne dispose que de la voix nécessaire à une majorité qualifiée.
Les négociations entre les deux partenaires s’annoncent toutefois difficiles vu leur désaccord sur la politique sécuritaire et scolaire et le souci clairement exprimé du FDP de s’afficher en défenseur des libertés même dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Mais les deux partis sont désormais dans l’obligation de s’entendre pour gouverner. Cette coalition a l’avantage de réunir les vainqueurs du scrutin.
Par sa décision de se régénérer dans l’opposition, le SPD rhéno-westphalien envoie également un signal en direction de Berlin, qui, faute d’une majorité SPD-Verts-Die Linke peu probable en septembre prochain, pourrait inciter les électeurs à privilégier une coalition CDU/CSU – FDP au niveau fédéral et conduire les partis à repenser leurs campagnes électorales et à se positionner stratégiquement sur la meilleure coalition pour accéder au pouvoir, ce qu’à ce jour tous les partis avaient soigneusement éviter de faire pour ne pas se lier les mains.
Les résultats du scrutin du 14 mai ne confortent pas la position du SPD au plan fédéral et de son leader Martin Schulz dans la perspective des élections fédérales du 24 septembre. Même s’il n’est pas faux de dire que les électeurs rhéno-westphaliens ont perçu ce scrutin comme étant d’abord un scrutin régional et non pas un vote national, il n’en reste pas moins vrai qu’ils ont eu la dimension fédérale présente à l’esprit puisque, selon la Première chaîne de télévision ARD, 59% des électeurs chrétiens-démocrates ont déclaré avoir voté CDU « parce que Angela Merkel est chancelière à Berlin » tandis que 67% de l’ensemble des électeurs régionaux ont estimé que le programme électoral de Martin Schulz manquait de clarté (Voir : Tagesschau).
Certes, les élections fédérales ont lieu dans quatre mois et bien des événements peuvent encore se produire d’ici là, il reste que le vent est favorable à Angela Merkel et pas à Martin Schulz, aux chrétiens-démocrates et pas aux sociaux-démocrates sans que cela laisse présager de la coalition qui se constituera finalement à Berlin dans un champ de possibilités plus restreint. Après les défaites successives du SPD dans les Länder, Martin Schulz vise à devenir chancelier à la tête d’une grande coalition dirigée par le SPD et dans laquelle la CDU serait, elle, son partenaire junior.
Pour améliorer les chances du SPD de gagner les élections fédérales à l’automne, il n’envisage pas de renoncer au point essentiel de son programme, à savoir l’équité sociale, mais d’en préciser plus concrètement les contours (Voir : Tagesschau). Pourtant, les sondages tendent à montrer, et de nombreux commentateurs en Allemagne le pensent également, que sauf à avoir une forte percée des Libéraux pour permettre une coalition CDU/CSU-FDP comme en 2009-2013, la probabilité d’une grande coalition CDU/CSU-SPD conduite par Angela Merkel reste grande même si les deux partis qui la composeraient à nouveau affirment ne pas favoriser cette solution. Ils savent en tous cas qu’ils ne peuvent pas l’exclure.
Relevons encore que la participation à ces trois élections régionales est en hausse, ce qui témoigne de l’intérêt des Allemands pour la chose politique. En même temps, les électeurs allemands sont moins fidélisés à un parti qu’auparavant, ils se décident souvent au dernier moment – les sondages montrent bien leurs réactions d’humeur dans les trois Länder – et passent de plus en plus d’un parti à l’autre.
L’Allemagne s’inscrit ici dans une évolution perceptible sensible dans la plupart des démocraties occidentales. Par ailleurs, selon la Première chaîne de télévision, le soir des élections, le SPD aurait perdu 340.000 électeurs au profit des chrétiens-démocrates, 160.000 autres au profit du FDP, 60.000 à Die Linke et 60.000 à l’AfD tandis que la CDU serait parvenue à mobiliser de nombreux non-votants du scrutin précédent (Voir : Tagesschau).
L’électorat allemand, plus mobile et plus volatile, est en mouvement, ses fluctuations n’ont pas échappé aux instituts de sondage sans que ceux-ci puissent dire si ces fluctuations sont le simple reflet d’instantanés ou témoignent déjà de tendances sur le long terme.
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