C’est historique. La CFDT est devenue vendredi 31 mars le premier syndicat auprès des salariés du privé au niveau national, devant la CGT, selon le calcul de représentativité de la Direction Générale du Travail (DGT), et c’est le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, grand perdant du scrutin qui s’est offert le luxe de l’annoncer lui même : « Sur le privé, la CGT passe deuxième organisation syndicale avec 24,86% et la CFDT fait 26,38% ».
Philippe Martinez, le pétulant et parfois un peu bourru secrétaire général de la CGT, va pouvoir lisser ses moustaches, il aura du mal à dormir. Les semaines qui viennent vont être difficiles.
Pour Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, l‘heure de la revanche a sonné. Pour lui, le petit, celui qu’on moquait dans la cours des grands syndicats. Personne ne lui contestera désormais le rôle de premier interlocuteur du prochain président de la République.
Le rendez-vous de cette nouvelle mesure était décisif et attendu par tout le monde des affaires et la classe politique. D’abord parce que ce calcul prend en compte certaines nouvelles règles établies par la loi Larcher, appliquée par étapes depuis 2008. Ensuite, parce que son résultat fait basculer un paysage syndical jusqu’ici dominé par la CGT.
C’est évidemment « un choc dans le paysage syndical et social français ». Alors, la CGT garde la place de tête dans les TPE, les très petites entreprises, mais perd sa place de leader au niveau national. C’était attendu parce qu’on savait bien que la CGT, le plus ancien syndicat français, avait déjà perdu du terrain dans plusieurs de ses bastions entre 2014 et 2016 (fonction publique, SNCF, Orange…).
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, avait toutefois estimé après le débat confus sur la loi El Khomri, que la montée en puissance de son syndicat allait représenter un grand changement paysage syndical et social français.
Les résultats communiqués jeudi agrègent plusieurs suffrages, décidés dans le cadre de la loi Larcher de 2008 sur la représentativité syndicale : votes recueillis entre janvier 2013 et décembre 2016 dans les entreprises de plus de 11 salariés ; votes dans les TPE entre décembre 2016 et janvier 2017 ; votes des chambres départementales d’agriculture qui ont eu lieu en janvier 2013 pour les salariés de la production agricole.
Au total, 5,3 millions de personnes ont voté, soit 200.000 de plus qu’en 2013. Or, en mars 2013, la CGT et la CFDT étaient au coude à coude : 26,77% des voix pour la CGT, 26% pour la CFDT, suivies de FO (15,94%), la CFE-CGC (9,43%) et la CFTC (9,3%).
C’est évidemment un grand changement. La CGT était la plus ancienne, la plus politique et la plus radicale de tous les syndicats français. Très liée au parti communiste, la CGT était le bras armé de la gauche communiste dans les entreprises et dans l’administration. Le syndicat a finalement suivi de quelques années le recul du parti communiste dans la classe politique pour les mêmes raisons. La CGT, portait une stratégie de lutte des classes, et n’entendait les rapports sociaux que comme des rapports de force.
La CGT a toujours protégé ses bastions historiques qu’était l’industrie, la sidérurgie, l’automobile, les grandes entreprises publiques, SNCF, l’aéronautique et l’administration. Ceci dit, la CGT a perdu de son influence quand ces grands bastions ont perdu de leur puissance et de leurs potentiels.
Les grandes mutations qui ont traversé le monde depuis 25 ans ont changé la donne syndicale. La mondialisation a entrainé un déplacement des centres de production, la généralisation de l’économie de marché a privé la CGT du rêve d’un système alternatif d’économie étatique et centralisé, le progrès technologique, le digital a bouleversé l’organisation du travail et même le statut salarié. Dernier point, le poids et surtout le cout du modèle social européen, sur lesquels les syndicats et particulièrement la CGT ont beaucoup prospéré, se sont effrités.
La CGT n’a pas voulu ou n’a pas pu pour plein de raisons idéologiques et politiques, prendre en compte ces mutations et s’y adapter. La CGT a plutôt combattu ces mutations en s’y opposant par la force et par le conflit. La CGT a même utilisé sa force dans les services publics pour bloquer le pays et faire plier les gouvernements. La CGT a sans doute été le frein principal aux réformes en France.
La CFDT, de son côté, a développé une stratégie très différente de compromis. La CFDT ne s’est jamais mise en position de condamner le système capitaliste, mais plutôt de le corriger ou de le réguler. La CFDT ne s’est jamais mise en position de nier la mondialisation ou le progrès technologique, l’Union européenne ou l’euro.
Plus important encore pour l’avenir, la CFDT a développé toute une série de projet de réformes pour accompagner la modernisation du système de production et de redistribution afin de mieux protéger le salarié. La CFDT ne s’est même jamais opposée frontalement à d’autres formes de travail comme le travail indépendant ou l’ubérisation. Au contraire, elle a cherché à aménager le système pour qu’il soit à la fois plus avantageux et plus efficace.
La CFDT a pour ligne stratégique la recherche du compromis avec le patronat, s’adapter au système pour qu’il soit plus performant. La CFDT se retrouve donc sur la même ligne que les syndicats allemands qui ont été des pièces maitresses de la réussite économique allemande.
Que la CFDT arrive aujourd’hui en tête des syndicats français prouve à l’évidence que le monde de l’entreprise et des salariés du privé ne sont pas aussi fermés au progrès et à la compétitivité nécessaire.
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