Rechercher

La CFDT Arbitre De La Prochaine Campagne Présidentielle ?

Traditionnellement, les syndicats ne font pas de politique. Mais, pour réformer un pays, ils jouent évidemment un rôle essentiel en faveur ou à l’encontre des mesures prises par un gouvernement. La CFDT est devenue le premier syndicat de France – tant mieux, elle est réputée réformiste – elle aura forcément son mot à dire. Laurent Berger sera-t-il l’arbitre du duel Macron-Fillon ? 

Trois hommes vont s’emparer du mois de janvier :

– François Fillon veut s’imposer dans les médias. Pour la gauche en primaire, il sera l’homme à abattre. Pour la droite, il veut être l’homme de la réconciliation

– Emmanuel Macron veut s’imposer dans l’opinion comme l’homme nouveau capable de transformer la gauche contre les archaïsmes du parti. Il veut, en janvier, devenir incontournable pour se retrouver face à Fillon lors du deuxième tour de la présidentielle

Et le troisième homme auquel on n’échappera pas en janvier est sans doute Laurent Berger, le patron de la CFDT, qui va devenir l’arbitre des décisions politiques. La victoire de la CFDT va en faire l’homme clef des réformes à venir. Parce que Fillon comme Macron vont en avoir besoin.

Laurent Berger, c’est évidemment l’homme qu‘on n’attendait pas dans le débat de ce début d’année. Discret mais déterminé. Les élections qui permettent aux salariés des PME de désigner des délégués syndicaux vont hisser la CFDT au premier rang du paysage syndical et sacrer son Secrétaire général, Laurent Berger, comme désormais l’homme fort de l’année 2017.

L’année 2016 a été dominée sur le front syndical par l’omniprésence du Premier secrétaire de la CGT, Philippe Martinez.

Fort en gueule et fort d’une organisation très présente dans les services publics, c’est lui qui a envoyé les troupes de la CGT organiser le blocage de la loi El Khomri. C’est lui qui a poursuivi la lutte alors que le gouvernement avait décidé de passer en force. C’est lui qui a boosté ses partisans les plus jeunes dans le mouvement Nuit debout… C’est encore lui qui a fait le travail de sape et de harcèlement du gouvernement Valls quand les députés frondeurs se sont rendus compte qu’ils devenaient inopérants au Parlement. C’est lui qui a pourri la vie de François Hollande dans la dernière année, mais le président s’y était tellement mal pris.

L’action de la CGT, avec sa force de blocage, a été déterminante dans la dégradation de l‘autorité de la gouvernance française. Ceci dit, sur le terrain des entreprises, la CGT a très souvent eu des attitudes et des positions beaucoup moins radicales. Les grèves ont été peu suivies dans les entreprises privées. Plus grave encore pour la centrale, on a vu des représentations syndicales de la CGT s’abstenir ou même signer des accords de compétitivité. Jamais il n’y a eu d’oppositions frontales et conflictuelles. Dans l’automobile, par exemple, Renault et Psa Peugeot-Citroën se sont redressés en partie grâce à des gains de compétitivité rendus possibles par des accords de modération salariale. La contrepartie est que les emplois ont été protégés.

Le sens profond de tous ces évènements est que le fossé entre les salariés et la principale centrale syndicale s’est creusé. Paradoxalement, la CFDT en a profité: elle a gagné les élections intermédiaires, elle s’est installée très fortement dans les secteurs marchands. Avec l’obligation faite aux PME de désigner des délégués syndicaux, elle peut, en janvier, en sortir comme le premier syndical de France et peser sur le climat social et politique.

Cette mutation, la CFDT la doit à sa pratique près du terrain, sa présence dans les entreprises privées, et surtout à sa culture du compromis.

Depuis ses origines, la CFDT s’est positionnée comme le syndicat qui refuse de considérer que la lutte des classes est une fin en soi, qui considère que l’économie de marché est un état de fait, tout comme la mondialisation. La CFDT, contrairement aux autres centrales syndicales issues de la culture très marxiste, comme la CGT, estime que son obligation est de s’adapter aux mutations et à la réalité du monde, en protégeant au maximum les intérêts des salariés sans remettre en cause le système capitaliste.

La CFDT ne pourra jamais accepter tout et n’importe quoi, mais elle sera intraitable sur les mécanismes de régulation du marché.

Contrairement à ce que prônent les mouvement radicaux (qui virent très souvent au populisme) la CFDT a fortifié son implantation et son offre de négociations fondées sur le compromis, et elle a ainsi répondu à un nombre grandissant de salariés qui lui font désormais confiance.

Si la CFDT sort des élections syndicales comme la première force syndicale française, il est évident que le rapport de force et le climat social peuvent changer. Les conditions de gouvernance politique également.

La CGT de Philippe Martinez peut, certes, continuer à tenter des bras de fer avec le gouvernement, mais la CFDT sera plus légitime et plus puissante pour imposer sa propre culture.

Ces deux candidats sont les deux qui font le plus appel à une politique de réforme en profondeur de la société française pour qu’elle puisse s’adapter aux mutations.

Les autres candidats sont sur des voies différentes. Les extrémistes de droite comme de gauche veulent bouleverser le système et promettent un processus quasi-révolutionnaire. Les autres à gauche sont sur une ligne très keynésienne qui consiste à relancer la machine sans demander d’effort ou de changements aux différentes actrices. Relance budgétaire essentiellement en promettant « la fin de l’austérité ».

François Fillon a gagné la primaire avec une promesse très libérale sur le plan de l’organisation économique et assez sécuritaire au niveau sociétal. Or, l’ensemble de la droite française n’est pas aussi libérale que les amis de François Fillon le souhaiteraient. Sur le droit du travail, sur le financement de la protection sociale, sur le rôle et le périmètre de l’Etat, la baisse des effectifs des fonctionnaires, François Fillon va être obligé de faire beaucoup de pédagogie et d’amendements à son projet pour combattre les forces conservatrices qui sont à l’intérieur de sa propre famille. Le mois de janvier va être caractérisé par une présence dans les médias assez exceptionnelle. Il s’agira pour Fillon de submerger le débat politique par sa communication et par ses arguments. Son agenda à compter de mardi est bourré d’émissions de télévisions et de voyages. Le premier va le conduire à Las Vegas, à la rencontre des geeks français qui réussissent en Amérique.

Le problème de Fillon est de créer les conditions pour qu’après son élection, les réformes annoncées soient applicables. Et pour qu’elles soient applicables et appliquées, il aura besoin d’une majorité, mais plus important, il aura besoin de l’accord des syndicats. Face à ce défi-là, il aura besoin de travailler avec la CFDT.

Emmanuel Macron est dans une position identique, quoique plus compliquée. Son programme d’action est fondé sur les réformes structurelles : « Plus de liberté pour fonctionner ». Au fond, il est très proche des projets de François Fillon. Mais sa position est plus compliquée parce qu’il a peu de relais aguerris. Beaucoup de bonne volonté, mais peu de professionnels et d’experts de la politique. II aura besoin d’une majorité au Parlement. Il aura besoin de relais dans les entreprises et les administrations. Le passage obligé se trouve dans les syndicats. Comme François Fillon, il a besoin de mobiliser l’intelligence de Laurent Berger et la pédagogie de la CFDT.

Sur le terrain politique, les deux hommes, Fillon et Macron, vont avoir besoin de dealer avec François Bayrou pour élargir leur électorat et capter les Centristes. Trêve de naïveté, les deux ont dû engager des négociations secrètes avec le Modem de François Bayrou pour obtenir un soutien public ou un désistement au second tour. C’est évident. François Fillon peut proposer en contrepartie d’aider le Modem à obtenir des députés à l’Assemblée nationale.

Macron peut aussi proposer un deal identique.

Mais ce qui est intéressant, c’est que les deux ont aussi intérêt à consulter Laurent Berger sur sa perception des réformes proposées. Ni la CFDT, ni son Secrétaire général ne pourront faire le prochain roi de France, mais une chose est certaine : la CFDT sera indispensable dans l’exercice du pouvoir par celui que sera choisi.

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC