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La bataille autour de la politique sur TikTok

TikTok
Logo TikTok devant le drapeau américain. | Source : Getty Images

Certains employés de TikTok ont fait valoir que les messages politiques sont bons pour les affaires et ont exhorté l’entreprise à assouplir son interdiction des publicités politiques. D’autres craignent que la politique n’empoisonne l’essence même de la plateforme.

Article d’Emily Baker-White pour Forbes US – traduit par Flora Lucas

 

Au cours d’un week-end en juin dernier, l’équipe d’employés de TikTok chargée d’empêcher la diffusion de publicités politiques sur l’application a reçu un message étrange de la part de son patron. Il s’agissait d’une vidéo de l’ancien président Donald Trump, qui avait tenté pour la première fois d’interdire TikTok en 2020, annonçant qu’il s’opposait désormais à l’interdiction de la plateforme. La vidéo était accompagnée d’un message d’un seul mot, écrit en majuscules : « YEP… »

Ce message a suscité une vague de discussions au sein de l’équipe et sur l’application anonyme de réseautage social Blind, où les membres du personnel de TikTok se sont demandé ce qu’il signifiait, le cas échéant, et ce qu’il en était de l’interdiction de longue date des publicités politiques au sein de l’entreprise. Le patron de TikTok, employé de longue date de ByteDance China et vivant désormais à Singapour, exprimait-il une préférence pour Donald Trump en raison de son opposition soudaine à l’interdiction de l’application ? Ou avait-il simplement signalé la nouvelle à son personnel américain ?

Quelques heures à peine après avoir été envoyé, le message a été supprimé, rappelant ainsi la tension qui règne au sein de TikTok. Depuis des années, un débat fait rage au sein de l’entreprise sur la manière de gérer le discours politique sur sa plateforme, qui compte aujourd’hui plus d’utilisateurs américains que de personnes ayant voté à l’élection présidentielle de 2020. La question est d’autant plus sensible que l’entreprise a dû faire face à de multiples enquêtes législatives, à une enquête criminelle fédérale, à des poursuites judiciaires de la part de nombreux procureurs généraux d’État et à l’adoption d’une nouvelle loi qui oblige sa société mère chinoise, ByteDance, à vendre l’application sous peine de la voir interdite.

Selon six personnes proches du dossier, l’entreprise a envisagé de modifier sa façon de traiter les messages politiques « organiques » et les publicités politiques.

 

L’une des propositions présentées au groupe au début de l’année consisterait en ce que l’entreprise s’associe à certaines publications d’information « faisant autorité » afin d’en stimuler la distribution.

Un groupe de travail composé d’employés de haut rang, connu sous le nom de Project Core, se réunit régulièrement depuis plusieurs années pour examiner le rôle des discours potentiellement polarisants sur la plateforme. Le nom du groupe est un clin d’œil à l’idée que TikTok est, à la base, un endroit où l’on peut visionner des vidéos amusantes, plutôt que de « shitposting » ou de « doomscrolling ». Le Core Project a pris en compte des recherches sur les causes de la « toxicité » sur la plateforme, ainsi que des propositions sur la manière dont TikTok devrait traiter les informations « dures » et la politique dans le fil d’actualité « Pour toi » de TikTok.

L’une des propositions présentées au groupe au début de l’année prévoyait que l’entreprise s’associe à certaines publications d’information « faisant autorité » afin d’accroître leur diffusion sur la plateforme. Les opposants à cette proposition s’inquiétaient de la manière dont les partenaires seraient sélectionnés, et certains ont suggéré que l’entreprise mène une étude de cas sur le passif mouvementé de Facebook avec les éditeurs politiques avant d’aller de l’avant.

TikTok a refusé de commenter le Core Project et de répondre à des questions sur le fait de savoir si l’entreprise a commencé à surclasser certaines publications d’information qu’elle a jugées dignes de foi.

En ce qui concerne les publicités, certains dirigeants ont fait valoir que l’assouplissement de l’interdiction de la publicité politique sur la plateforme serait une source facile de croissance des revenus pour l’entreprise.

 

Le fait que la plateforme n’accepte pas d’argent pour les publicités politiques ne signifie pas que les utilisateurs de TikTok ne les voient pas.

Les membres de l’équipe chargée de l’intégrité de la monétisation de TikTok (l’équipe chargée de faire respecter les règles en matière de publicité) dépendent à la fois du directeur de Global Business Solutions (qui gère les ventes de publicités) et du directeur de Trust & Safety (confiance et sécurité) de l’entreprise. Certains employés considèrent la relation entre le département et leurs collègues chargés de la vente de publicités comme un conflit d’intérêts : les équipes chargées de la vente de publicités sont censées générer des revenus pour l’entreprise, tandis que les équipes chargées de l’intégrité de la monétisation examinent les publicités en fonction des politiques de l’entreprise et suppriment celles qui ne devraient pas y figurer, ce qui réduit le nombre total de publicités et les dépenses publicitaires de la plateforme.

Jusqu’à présent, les partisans de la modification de l’interdiction de TikTok sur les publicités politiques n’ont pas eu gain de cause. La plateforme interdit toujours aux gens de placer des publicités politiques payantes sur sa plateforme, comme c’est le cas depuis 2019, a déclaré le porte-parole Ben Rathe à Forbes. Cependant, ce n’est pas parce que la plateforme n’accepte pas d’argent pour les publicités politiques que les utilisateurs de TikTok ne les voient pas : les comptes TikTok gérés par des candidats, des partis et des groupes de défense publient régulièrement de courtes vidéos sur la plateforme qui sont diffusées sous forme de publicités à la télévision et sur d’autres plateformes sociales. Les messages ne sont pas affichés comme des publicités sur TikTok (les candidats, les campagnes et les groupes de pression ne paient pas TikTok pour leur diffusion). Au lieu de cela, les messages sont dits « organiques » et leur portée est déterminée par l’engagement et d’autres facteurs pris en compte par l’algorithme opaque de TikTok.

Il est également possible, dans certains cas, de payer TikTok pour diffuser des publicités sur des sujets politiquement sensibles. La plateforme interdit les publicités qui incitent les gens à soutenir un candidat, un parti ou une plateforme spécifique, mais n’interdit pas celles qui affirment, par exemple, que l’avortement est un meurtre, que les prix des produits alimentaires sont trop élevés ou que les villes sanctuaires sont gangrenées par la criminalité, tant que ces publicités ne violent pas les autres politiques de l’entreprise, comme celles qui interdisent la discrimination, le harcèlement et l’intimidation.

En 2024, l’entreprise a également modifié son approche des publicités représentant des victimes de la guerre. Alors qu’elle interdisait auparavant ce type d’images dans les publicités, elle a assoupli sa politique pour autoriser les campagnes humanitaires. « La promotion de l’arrêt des guerres et des conflits armés et la sensibilisation aux victimes de la guerre peuvent être autorisées tant que le contenu de la publicité n’enfreint pas nos politiques publicitaires, y compris la représentation de scènes de guerre réelles », indique désormais la politique de l’entreprise.

Des centaines de publicités sur le conflit israélo-palestinien ont été diffusées sur TikTok, dont beaucoup montrent des images de dévastation et d’enfants blessés à Gaza. Bien que ces publicités ne mentionnent pas la politique américaine, il n’est pas difficile d’imaginer comment elles pourraient influencer les électeurs américains, en particulier dans les communautés musulmanes de la diaspora comme Dearborn, dans le Michigan, où les publicités sur la guerre ont été agressivement ciblées sur les électeurs.

Contrairement à ses principaux concurrents américains, Meta et Google, TikTok ne dispose pas d’une bibliothèque publique de publicités montrant celles qu’elle a diffusées aux États-Unis et comment elles ont été ciblées. L’entreprise dispose en revanche d’une bibliothèque de publicités pour les marchés européens, où la loi l’exige. Cependant, alors que Meta et Google ont volontairement choisi de révéler qui fait de la publicité sur la politique et les questions sociales aux États-Unis et combien ils dépensent, TikTok a gardé ces informations secrètes. Néanmoins, des tests récents effectués par des chercheurs montrent que l’entreprise a laissé des publicités ouvertement politiques être diffusées sur sa plateforme, malgré son interdiction.

 

Le passif compliqué de TikTok avec les contenus politiques

TikTok a une histoire compliquée avec les contenus politiques. En 2019, l’entreprise a été critiquée pour avoir censuré des messages sur les manifestations à Hong Kong et d’autres sujets sensibles pour le gouvernement chinois. Elle a ensuite modifié ses politiques de contenu et ne censure plus ces sujets aujourd’hui. En 2022, Forbes a révélé que le gouvernement chinois avait mené une campagne sur la plateforme visant les législateurs américains des deux partis politiques à l’approche des élections américaines de mi-mandat. À l’époque où cette campagne était active, le principal lobbyiste de l’entreprise, Michael Beckerman, a déclaré à Brian Stelter de CNN que TikTok n’était « pas le lieu de prédilection pour la politique ». Lorsque Brian Stelter a demandé si TikTok pouvait « influencer le comportement commercial, culturel ou politique des Américains », Michael Beckerman a répondu : « Oui, mais ce n’est pas le cas. »

En mars 2024, Michael Beckerman semble avoir changé d’avis. En réponse à l’introduction d’un nouveau projet de loi visant TikTok au Congrès (projet qui deviendra finalement la loi que l’entreprise combat actuellement), son équipe de politique publique a conçu une série de pop-ups qui apparaîtraient lorsque les utilisateurs de TikTok ouvriraient leur téléphone, les incitant à appeler leur député ou sénateur pour s’opposer au projet de loi. Rapidement, les bureaux des législateurs ont été inondés d’appels, dont certains émanaient d’enfants et de personnes menaçant de se faire du mal ou d’en faire à d’autres si le projet de loi était adopté.

L’initiative a échoué et la loi sur la protection des Américains contre les applications contrôlées par des forces étrangères a été adoptée en avril, avant que Donald Trump, dans un revirement stupéfiant, ne déclare qu’il ne donnerait pas suite à l’interdiction s’il était à nouveau élu président.

Malgré l’opposition de Donald Trump à la loi, il n’est pas certain qu’il puisse l’empêcher d’entrer en vigueur. À moins qu’un tribunal n’invalide la loi ou ne la suspende dans l’attente d’une procédure ultérieure, Apple et Google devront retirer les applications de leurs magasins d’applications en janvier, sous peine de se voir infliger des amendes. Si un procureur général de Donald Trump peut décider de ne pas appliquer les amendes, un gouvernement ultérieur pourrait toujours choisir de le faire, et les géants américains de la technologie pourraient alors devoir payer des amendes se chiffrant en milliards de dollars.

 


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