UKRAINE | À nouveau, la Russie et l’OTAN sont en profond désaccord et s’affrontent au cours de négociations tendues. Cette fois, le renforcement des troupes russes à la frontière ukrainienne a mis le feu aux poudres. Cette nouvelle impasse, la plus grave depuis la fin de la guerre froide, dure depuis plusieurs semaines et de nombreux observateurs pensent que l’Europe est au seuil d’un conflit majeur. La guerre étant à ses portes, l’Ukraine est prête à riposter.
Vendredi 11 février, le président américain Joe Biden a demandé aux ressortissants américains de quitter l’Ukraine dans les 48 heures, par crainte de frappes aériennes russes. D’autres pays ont également exhorté leurs ressortissants à quitter le sol ukrainien. « Tout Américain se trouvant en Ukraine devrait quitter le pays dès que possible, et en tout état de cause, dans les 24 à 48 heures à venir », a déclaré le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Jake Sullivan, lors d’un point presse à la Maison-Blanche. Le personnel de l’ambassade des États-Unis à Kiev a été prié de quitter les lieux, et le suspens quant à ce qui pourrait se passer ensuite ne cesse de croître.
Si une action militaire devait être lancée, les forces armées ukrainiennes et le peuple ukrainien ont juré de riposter. Plus important encore, cette nation de 40 millions d’habitants, hautement éduquée et technologiquement avancée, résistera également à toutes conditions diplomatiques imposées par des intervenants extérieurs qui ne sont pas en adéquation avec la vision que l’Ukraine a de son avenir. En fin de compte, c’est le peuple ukrainien qui résoudra tout conflit. Ces derniers jours, des milliers d’Ukrainiens ont participé à des manifestations de solidarité pour montrer leur unité face à la menace russe.
« C’est bien que les efforts diplomatiques se poursuivent, il est vraiment difficile d’émettre la moindre supposition », a déclaré Tymofiy Mylovanov, président de l’École d’économie de Kiev et conseiller du chef du bureau du président ukrainien. « La question devrait être et sera résolue par la diplomatie. »
Selon Tymofiy Mylovanov, l’Ukraine est en guerre avec la Russie depuis huit ans, endurant diverses escalades et incursions militaires. Contrairement à ce qui s’est passé il y a huit ans, lorsque la Russie a enfreint pour la première fois le droit international en envahissant l’Ukraine et en annexant la Crimée, l’économie et la société ukrainiennes ainsi que l’état de préparation militaire sont au beau fixe. La capacité de l’Ukraine à résister est sous-estimée, estime Tymofiy Mylovanov.
La menace d’une action militaire en Ukraine n’est que le dernier chapitre d’une offensive russe menée depuis an contre ses pays voisins. La Russie a envahi l’Ukraine en 2014 après que le peuple ukrainien a chassé son président pro-russe lors de la révolution de Maidan. À l’époque, les forces russes ont pénétré dans la péninsule au sud de l’Ukraine, la Crimée, et l’ont annexée. La Russie a également provoqué des troubles dans la province orientale de l’Ukraine, le Donbas, en fournissant aux séparatistes du matériel et d’autres soutiens, notamment des forces spéciales russes et une assistance militaire.
« L’armée et les volontaires ont réussi à tenir bon en 2014, lorsque le « frère » nous a effrontément poignardés dans le dos », a déclaré le ministre ukrainien de la Défense, Oleksii Reznikov, dans un communiqué conjoint avec le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, le lieutenant-général Valerii Zaluzhnyi. « À l’époque, de nombreuses personnes n’étaient pas psychologiquement prêtes à résister à ceux avec qui elles s’étaient assises à la même table auparavant. Aujourd’hui, la situation est complètement différente. Le Kremlin en est bien conscient, et c’est un facteur de dissuasion important. Aujourd’hui, nous avons l’armée la plus puissante que l’Ukraine ait eue depuis 15 ans et l’armée la plus puissante d’Europe, notre armée est dirigée par des généraux et des officiers de combat. »
L’impasse entre l’Occident et la Russie pourrait bien être le résultat de l’absence de réaction de l’Occident face au non-respect et au mépris du droit international dont la Russie a fait preuve depuis des années sous la direction du président Vladimir Poutine. Outre l’invasion de l’Ukraine, la Russie occupe illégalement des territoires en Géorgie et en Moldavie depuis des années. Lorsqu’elle a annexé la Crimée en 2014, elle a été sanctionnée et initialement exclue du G20 et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Cependant, par la suite, la Russie a progressivement fait son retour au sein de la communauté internationale en réintégrant l’APCE et en accueillant la Coupe du monde en 2018, tout en restant un agresseur, un occupant et un contrevenant au droit international. Les oligarques russes, les personnes du cercle intime de Vladimir Poutine et leurs enfants continuent de vivre dans des pays occidentaux, de stocker leur argent dans des banques occidentales et d’investir dans des biens immobiliers de premier ordre en Europe et aux États-Unis.
La récente montée des tensions est due au déploiement par la Russie de plus de 130 000 soldats, d’artilleries, de véhicules blindés, de chars, d’avions de chasse et d’autres équipements militaires à la frontière ukrainienne, sur des terrains de rassemblement en Russie, en Biélorussie et dans la région séparatiste de Moldavie soutenue par la Russie. En Crimée, une base militaire russe abrite des dizaines de navires de guerre sur la mer Noire. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, a déclaré que la mer d’Azov est complètement bloquée, tout comme la mer Noire, par les forces russes.
L’ensemble de l’opération, que la Russie appelle officiellement un « exercice militaire planifié », ressemble à la préparation d’une attaque militaire totale. Outre les forces militaires et spéciales, la Russie a préparé « des moyens de cyberguerre, de guerre électronique, de commandement et de contrôle, de logistique, de génie et autre le long de la frontière ukrainienne », selon le général Mark Milley, président des chefs d’état-major interarmées des États-Unis.
À l’ouest, l’Ukraine partage ses frontières avec la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie, tous des États membres de l’OTAN. Face au renforcement militaire flagrant et à grande échelle de la Russie, l’OTAN s’est mobilisée et les États-Unis ont placé 8500 soldats dans la région en « alerte renforcée » pour aider à la défense des alliés de l’OTAN en Europe orientale, si nécessaire. Bien que l’Ukraine ne soit pas membre de l’OTAN, l’agression russe a incité d’autres pays à fournir à l’Ukraine une aide importante pour sa défense, notamment 300 missiles Javelin.
« Les États-Unis poursuivent leurs efforts, avec leurs alliés et partenaires, pour inciter la Russie à désescalader les tensions et à choisir la voie de la diplomatie », a déclaré la secrétaire d’État adjointe américaine, Wendy Sherman, lors d’une conversation en ligne avec Kersti Kaljulaid, ancien président de l’Estonie. La conversation a eu lieu sur YES, une plateforme fondée par le milliardaire et philanthrope ukrainien, Victor Pinchuk. « Si la Russie envahit à nouveau l’Ukraine, il y aura des conséquences importantes, bien au-delà ce qu’ils ont affronté en 2014 », poursuit Wendy Sherman.
En trente ans, depuis la dissolution pacifique de l’Union soviétique, sur les 15 anciennes républiques soviétiques, l’Ukraine s’est avérée être un exemple de démocratie de marché libre réussie, tout comme les États baltes qui font maintenant partie de l’Union européenne. Les habitants de Biélorussie et de Russie, incapables de vivre et de travailler normalement dans leur pays en raison de la répression exercée par leurs régimes autoritaires, ont de plus en plus afflué vers l’Ukraine pour y trouver de meilleures opportunités. Le peuple ukrainien, qui a enduré deux révolutions, en 2004 et 2014, est convaincu que la résistance à la dictature peut réussir, même si cela signifie que des vies seront perdues.
L’insécurité de Vladimir Poutine concernant l’Ukraine est au cœur de l’actuel renforcement militaire. Le ralliement de l’Ukraine à l’Occident est probablement ce que le président russe craint le plus, et il a raison de s’inquiéter. Les derniers sondages montrent que la population ukrainienne, qui compte quelque 40 millions d’habitants, est très favorable à l’adhésion à l’OTAN, en raison notamment des actions russes à l’est et de sa lassitude face à la guerre en cours dans les régions orientales de Donetsk et de Lougansk (ou Louhansk en fonction de la transcription du nom de la ville), où la Russie a installé des gouvernements par procuration.
En décembre dernier, la Russie a émis des demandes de sécurité insistant pour que ces régions orientales soient intégrées à l’Ukraine et que des élections soient organisées dans ces zones sans que la Russie ne retire ses forces militaires stationnées sur place. Cela permettrait aux représentants du Donbas de présenter l’agenda du Kremlin au sein du parlement ukrainien et de freiner le pays dans toute initiative progressiste allant à l’encontre des intérêts de la Russie, notamment la coopération de l’Ukraine avec l’Ouest. Les Ukrainiens ne veulent pas de cela et s’opposeront à toute pression de l’Occident pour céder à une telle demande.
Par ailleurs, la Russie a demandé à l’OTAN de refuser l’adhésion de l’Ukraine et d’autres pays de l’ex-Union soviétique à l’OTAN et de supprimer les déploiements de militaires dans les pays de l’ex-bloc soviétique. Après avoir reçu une réponse écrite du secrétaire d’État américain Antony Blinken, Vladimir Poutine a déclaré au président français Emmanuel Macron, le vendredi 28 janvier, qu’il estimait que l’Occident avait ignoré les préoccupations de la Russie en matière de sécurité.
Les tentatives de la Russie pour affaiblir l’Ukraine et la ramener dans son orbite ont historiquement inclus des stratégies visant à déstabiliser son voisin de l’intérieur. En 2014, la Russie a pris le contrôle de Donetsk et de Lougansk en organisant des manifestations pro-russes, prétendument orchestrées par la population locale, après quoi la milice russe s’installait et sécurisait les villes. Selon Tymofiy Mylovanov, « à ce stade, nous n’avons vu aucun type d’activités de ce type, c’est très différent de 2014. »
Alors que la rhétorique américaine veut que la guerre soit imminente ou hautement possible, et que la Russie pourrait attaquer par des frappes aériennes, l’Ukraine, bien qu’en état d’alerte, continue de mener ses affaires comme si de rien n’était.
Par exemple, la semaine dernière, le gouvernement ukrainien a lancé Diia City, une initiative numérique censée faire de l’Ukraine un important pôle technologique européen, en offrant un cadre économique spécial avec des avantages juridiques, fiscaux et en matière d’emploi pour les entreprises technologiques locales et étrangères et leurs employés. Les sommets, conférences et autres évènements organisés à Kiev et dans le reste de l’Ukraine se poursuivent comme prévu.
« Personne ne peut regarder dans la tête des dirigeants du Kremlin et dire avec certitude quelles actions, exactement, pourraient être prises », a déclaré Oleksii Reznikov, le ministre ukrainien de la Défense. « Mais nous envisageons absolument tous les scénarios de développement et nous sommes prêts à les affronter. Aujourd’hui, de nombreuses déclarations sont faites, et Moscou dit même que l’Ukraine envisage d’attaquer la Russie. C’est absurde. Nous n’allons attaquer personne, mais nous faisons tout pour renforcer nos défenses et éliminer la possibilité d’une escalade. Nous avons l’intention de suivre la voie politico-diplomatique. »
Article traduit de Forbes US – Auteure : Katya Soldak
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