S’il y a bien un élément au cœur de l’échiquier géopolitique, c’est l’énergie. Le différend opposant la Russie à l’Ukraine en est un nouvel exemple saisissant.
Dans un discours prononcé lundi 21 février, le président russe Vladimir Poutine a annoncé que des troupes russes se rendraient bientôt dans les régions de Donetsk et de Lougansk pour une « mission de maintien de la paix. » Ces deux régions sont peuplées par une majorité d’habitants d’origine russe et depuis de nombreuses années, elles sont le théâtre de fréquents affrontements entre les dissidents pro-russes et les forces gouvernementales ukrainiennes. Tout comme il l’a fait en 2015 en Crimée, il semble évident que le but ultime de Vladimir Poutine est l’annexion de ces deux régions.
En réponse à l’incursion du président russe, le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé que son gouvernement mettrait en suspens les efforts visant à obtenir l’approbation finale et la certification du gazoduc russe Nord Stream 2. L’Allemagne va évaluer d’autres moyens d’assurer un approvisionnement adéquat en gaz naturel pour son pays. « Les services compétents du ministère de l’Économie vont procéder à une nouvelle évaluation de la sécurité de notre approvisionnement à la lumière des changements survenus ces derniers jours », a déclaré le chancelier allemand.
Si la situation entre la Russie et l’Ukraine devait continuer à se détériorer, Olaf Scholz et l’Allemagne devront identifier des sources alternatives pour l’approvisionnement en énergie, et plus précisément en gaz naturel, qui est si crucial pour le réseau électrique et l’économie du pays. Depuis l’automne dernier, le gouvernement du chancelier allemand s’est trouvé dans l’obligation de s’approvisionner en gaz de manière adéquate, car l’industrie éolienne, sur laquelle l’ancienne chancelière Angela Merkel avait misé l’avenir énergétique du pays, n’a pas tenu ses promesses. De nombreux autres pays européens se sont retrouvés dans la même situation en raison de décisions de politique énergétique tout aussi irréfléchies.
Jusqu’à présent, le salut de l’Europe en matière d’énergie et de gaz naturel a pris la forme d’une augmentation des importations de gaz naturel liquéfié (GNL), dont la majeure partie a été fournie par les États-Unis et, dans une moindre mesure, par le Qatar. En parallèle, l’expansion de la nouvelle capacité d’exportation de GNL aux États-Unis, si elle se poursuit, pourrait à terme fournir des volumes d’exportation suffisants pour aider l’Allemagne et d’autres pays européens à être moins dépendant du gaz russe.
Néanmoins, dans le même temps, les membres du gouvernement Biden à la tête de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC), de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) et du ministère de l’Intérieur continuent de multiplier les nouvelles mesures pour encadrer l’industrie pétrolière et gazière américaine. L’un des points forts de cette réglementation a été le refus d’accorder des permis pour les gazoducs destinés à acheminer le gaz naturel vers les marchés, y compris vers les installations d’exportation de GNL. Pas plus tard que la semaine dernière, la FERC a publié une nouvelle orientation politique concernant les approbations de permis pour les gazoducs, ce qui a entraîné des réactions de la part du chef de la minorité de la Chambre des représentants, Steve Scalise. « Depuis des mois maintenant, des dizaines, voire des centaines, de demandes de gazoducs languissent devant cette même Commission, contribuant à des augmentations record des coûts de l’énergie pour les familles américaines qui travaillent dur », a déclaré Steve Scalise dans un communiqué.
Le 19 février, le ministère de l’Intérieur s’est emporté en réponse à une décision de justice défavorable en annonçant mettre un terme à tous les efforts de délivrance de permis pour les activités pétrolières et gazières sur les terres et dans les eaux fédérales, y compris dans le Golf du Mexique. Un juge fédéral de Louisiane a bloqué les efforts du gouvernement qui souhaitait augmenter de plus de 700 % le calcul du « coût social du carbone » lié à la production de pétrole et de gaz, un volet utilisé par le gouvernement Obama pour bloquer le développement de gazoducs sur les terres fédérales, et que le gouvernement Biden espère relancer.
En raison de ces mesures et de tant d’autres, le gouvernement américain navigue à contre-courant de l’appétit croissant de l’Europe pour le GNL américain. Cela signifie que, pour le reste de la présidence Biden, les États-Unis pourraient ne pas être un partenaire d’approvisionnement fiable en énergie pour Olaf Scholz. Le Qatar a pu augmenter ses propres exportations vers l’Europe au cours de l’hiver, mais son industrie a également des engagements contractuels envers d’autres clients qui doivent être honorés. Tout cela a pour effet de fournir au président russe un levier géopolitique dans son effort apparent de s’attaquer à nouveau à l’Ukraine.
La même dynamique est à l’œuvre concernant le pétrole russe à une échelle encore plus importante. L’équation mondiale de l’offre et de la demande de pétrole est très délicate, même avec l’arrivée sur le marché de quelque dix millions de barils par jour de Russie. Si une partie ou la totalité de cette offre devait disparaître en raison des sanctions imposées par les États-Unis et l’Europe, le prix de 100 dollars le baril deviendrait rapidement un prix plancher pour cette matière première. L’économie mondiale étant déjà affaiblie et confrontée à une inflation croissante, les dirigeants de ces démocraties occidentales savent que leurs pays ne peuvent se permettre d’imposer de telles sanctions.
Ainsi, comme on le constate si souvent, l’énergie joue un rôle majeur dans la géopolitique. En l’état actuel des choses, Vladimir Poutine semble tenir l’Europe et le gouvernement américain. Le chancelier allemand a peut-être suspendu l’avancement de l’approbation finale de Nord Stream 2 pour le moment, mais étant donné le besoin de gaz naturel de son pays et le manque apparent d’alternatives fiables, il sera intéressant de voir combien de temps cette suspension peut durer.
Article traduit de Forbes US – Auteur : David Blackmon
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