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Jean Lassalle, candidat de « Résistons ! »: « Nombreuses sont les start-up qui ne sont que dans la croissance à l’excès »

Député des Pyrénées-Atlantiques, l’homme de 61 ans, qui fut un proche de François Bayrou avant de s’en éloigner, est candidat à la succession d’Emmanuel Macron. Il a accepté de répondre à nos questions sur son programme économique et sur sa vision de l’innovation en France.

 

« La French Tech compte aujourd’hui 27 licornes… La “start-up nation” imaginée par Emmanuel Macron a-t-elle tenu ses promesses?

Jean Lassalle : Laissez-moi reformuler la question. La « start-up nation » étant imaginaire n’a pas pu elle-même tenir ses promesses. Mais Emmanuel Macron a-t-il tenu sa promesse en parlant de Start-up Nation ? Et cette promesse était-elle celle qu’il fallait au pays ?

Pour une part, la part « start-up », la promesse est respectée, puisqu’en effet, beaucoup d’argent a été dépensé pour permettre l’éclosion d’un écosystème de start-up, et de champions dans cet écosystème : les licornes mentionnées dans la question. Cependant, cette stratégie nous rend très dépendants des Etats-Unis. L’ensemble de notre économie dépend des infrastructures américaines, et tout particulièrement celle des start-up. Or, nombreuses sont les start-up voire les licornes qui ne sont pas encore rentables. Elles ne sont que dans l’hypercroissance ou, doit-on dire, dans la croissance à l’excès. Si elles se heurtent à un concurrent venu de l’autre côté de l’Atlantique, alors elles risquent fort de subir le même sort que ce qu’il est advenu de nos champions passés aux premières heures de l’internet. Que sont devenus les viadeo ou autres dailymotion ?

Mais il y a aussi l’autre part, la part nation. Les incubateurs, les start-up, les licornes sont concentrés dans les métropoles, et en particulier en région parisienne, tout comme les financements pour l’innovation. Par ailleurs, le déficit dans l’éducation ou la formation fait que cette nouvelle économie ne s’adresse pas à tous, loin s’en faut : toute une partie de la population en est écartée du fait de son âge, de sa classe sociale, de son lieu d’habitation. Ceci est loin de faire une nation !

 

Si vous êtes élu en avril prochain, est-ce que l’entrepreneuriat fera partie de vos priorités ? Quelles mesures allez-vous prendre en la matière ?

L’entrepreneuriat de tout type sera dans mes priorités, mais mon objectif est que celui-ci se développe partout sur notre territoire, et parmi toutes les populations. Je ne vise pas forcément les licornes, mais un tissu de PME qui imprègne l’ensemble du pays. C’est pourquoi d’une part, nous créerons des zones franches dans les territoires, et d’autre part nous permettrons à ces PME d’accéder aux marchés publics en leur y donnant une priorité.

Pas de secteur préférentiel non plus, mais le tout service doit être abandonné car il faut d’abord réindustrialiser la France. Et l’industrie, même quand il s’agit d’industrie du futur, doit répondre aux besoins fondamentaux, pas s’occuper uniquement de niches. C’est pourquoi nous imaginons un plan Marshall pour l’industrialisation du pays.

Par ailleurs, c’est au niveau de l’éducation et de la formation que beaucoup de choses se passent. Le sujet de la robotisation : faire cohabiter l’homme et le numérique est central.

 


Jean Lassalle :  Nous sommes en mondialisation, et même s’il y a un réel mouvement de démondialisation, les économies sont extraordinairement imbriquées et la mondialisation ne s’arrêtera pas demain, pour la France du moins.


 

Pensez-vous que la technologie et l’innovation sont à même de trouver une solution à l’équation climatique ?

Toutes les bonnes idées sont bonnes à prendre. Mais il faudrait être d’abord sûr de ce que recoupe l’équation climatique : il y a des questions économiques et des questions sociétales. Le ressenti de beaucoup est que certaines personnes « de la bonne société » dont le style de vie n’est pas particulièrement frugal profitent de la crise climatique pour se transformer en donneurs de leçon. La technologie est souvent pour elles un alibi de différenciation, plus que d’optimisation. Nous nous méfions de cela.

 

Quelles ambitions pour les entreprises françaises et leur faculté à faire le poids sur la scène économique mondiale ?

Ce sont les entreprises qui décident de leurs propres ambitions. Et c’est à l’économie française, dans son ensemble, de faire le poids sur la scène économique mondiale, pas forcément aux entreprises une par une. Il vaut mieux de nombreuses petites entreprises agiles que de gros mastodontes.

Bien sûr, en matière d’infrastructure, nous pensons notamment aux infrastructures numériques, aux infrastructures énergétiques où il y a un besoin d’investissement massif. C’est alors que l’État doit intervenir. 

 

Est-ce possible de concilier patriotisme économique et mondialisation ? 

Il faut utiliser le patriotisme économique dans la mondialisation. Il n’y a pas à chercher à concilier. Nous sommes en mondialisation, et même s’il y a un réel mouvement de démondialisation, les économies sont extraordinairement imbriquées et la mondialisation ne s’arrêtera pas demain, pour la France du moins. Mais il doit en être fini de la mondialisation béate. Et être fier de ce que l’on est, de tout ce que l’on est, être fier de ses produits. Avoir un marché intérieur est toujours un avantage.

 

Comment assurer notre souveraineté économique et technologique face à la Chine, aux Etats-Unis et aux Gafam ?

Un certain nombre d’infrastructures doivent être réalisées en matière numérique pour asseoir notre indépendance : pensons aux moteurs de recherches laissés à Google en Europe depuis 20 ans, au cloud et au stockage des datas laissés à Microsoft et Amazon, à l’internet satellitaire laissé à Elon Musk !

La communauté européenne semble incapable de prendre une décision sur le sujet, trop prisonnière des Gafam et des USA, qu’elle qu’en soit la raison. La dernière signature permettant aux USA de récupérer les données des Européens pour raison antiterroriste, malgré le RGPD, en est une preuve supplémentaire.

Il faut donc, comme pour nos réussites précédentes, s’appuyer sur les seuls États qui voudront participer à la construction de ces infrastructures indépendantes sans passer par la CE, quels que soient le nombre et la puissance de ces États. C’est un « quoi qu’il en coûte » aussi valable que d’autres.

 


Jean Lassalle : Si vous versez de l’eau sur un amas de pierre, alors tout descendra jusqu’au bas de la fontaine.


 

Face à notre dépendance aux matières premières et la chaîne d’approvisionnement mondiale qui nous les achemine, une relocalisation est-elle possible ? Comment y parvenir ?

La question n’a pas à se poser globalement. Il y a bien évidemment des éléments qui ne peuvent pas être relocalisés. Nous n’allons pas par exemple trouver du pétrole en France dans les années qui viennent – à moins de vouloir fracturer les Causses, ce qui serait un désastre -, et il n’y aura pas de substituts développés suffisamment rapidement.

Par contre, il faut sortir de 2 logiques qui prédominent depuis bien trop d’années en France. En premier, le mépris de la population et de la fabrication française. Nous avons encore beaucoup d’atouts dans notre pays et encore plus dans notre population. Nous souffrons qu’une part trop importante de cette population ne soit pas intégrée, ne soit pas considérée. Il y a des possibilités de développement de productions en France pour nombre d’éléments actuellement fabriqués à l’étranger.

En second lieu, la logique financière de court terme : il n’y a pas qu’une logique financière ou même une logique économique à prendre en considération dans des décisions de développement. La tournure de l’histoire va d’ailleurs dans ce sens : c’est la fin du « Just In Time ». Reste à savoir si nous allons vers le « Juste en Stock » ou vers le « Justement produit ». Privilégier le local est notre forme d’écologie. Ce sera aussi un moteur de la relocalisation.

 

Quelle règle devrait-on impérativement instaurer pour réguler les marchés publics ?

Nous en proposons une fondamentale : donner la priorité aux petites et moyennes entreprises dans les appels d’offres lancés par les collectivités locales avant ouverture aux multinationales.

 

Est-ce que la théorie du ruissellement est valable selon vous ? Permettrait-elle plus de croissance et d’innovation ?

Si vous versez de l’eau sur un amas de pierre, alors tout descendra jusqu’au bas de la fontaine. Si vous arrosez par contre un monticule de sable, alors l’eau sera bue sans avancer d’un centimètre. La réussite de la théorie du ruissellement dépend directement de la soif – ou de la voracité ? – de ceux qui se trouvent au sommet de la pyramide.

Sept à huit ans d’expérience en France sont suffisantes pour constater que le ruissellement ne fonctionne pas aujourd’hui. L’élite du pays (c’est ainsi qu’elle-même se désigne) n’est pas tournée vers la base française, mais vers l’extérieur. Il faut d’abord refaire société, et pour refaire société, il faut lutter contre certaines inégalités extrêmes. Certaines de nos propositions sur l’ISF ou le Smic vont en ce sens. Sur un mauvais terrain, pour bien irriguer, quelques drains sont souvent nécessaires.

 

Par Eve Sabbah

 

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