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Immigration : Libéralisme Et Nationalisme Peuvent-Ils Cohabiter ?

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La professeure Jill Lepore à l’Université de Harvard, autrice de This America: The Case for the Nation, ouvre son livre portant sur l’immigration avec cette dédicace : « En mémoire de mon père, dont les parents immigrés l’ont appelé Amerigo en 1924, l’année où le Congrès a fait passer la loi interdisant les immigrants comme eux. »

Le libéralisme classique est l’idéologie qui a guidé la Révolution Américaine et ses idées. Le libéralisme classique n’a rien à voir avec le terme « libéral » que l’on utilise parfois pour décrire une orientation politique de type centre-gauche. Le libéralisme se situe plutôt dans la tradition de penseurs tels que John Locke, Thomas Jefferson et Friedrich Hayek.

Quelle est la différence entre le libéralisme et le nationalisme ? « Le libéralisme est la conviction selon laquelle les individus sont bons et devraient être libres, et que ces derniers mettent en place des gouvernements afin de garantir cette liberté », écrit Lepore. « Les nations sont collectives et le libéralisme concerne les individus […]. Le libéralisme a embrassé un ensemble d’aspirations à propos de la liberté et de la démocratie considérées comme étant universelles […]. Mais le nationalisme promeut l’attachement à un pays en particulier, en insistant sur les différences nationales. »

Le débat actuel sur l’immigration semblerait étrange aux pères fondateurs des États-Unis. « Les États-Unis ont été fondés en tant que terre d’asile et refuge : un sanctuaire. C’était une forme de patriotisme », remarque Lepore. Thomas Paine appelait l’Amérique « un asile pour l’humanité » et les signataires de la Déclaration d’Indépendance ont décrié le roi pour son obstruction de l’immigration et de la naturalisation.

George Washington comme Thomas Jefferson voyaient les États-Unis comme un lieu d’accueil pour les réfugiés. « J’avais toujours espéré que ce pays devienne un Asile protégé et agréable pour les éléments vertueux et persécutés de l’humanité, peu importe leur nation d’origine », écrivait Washington. De son côté, Thomas Jefferson écrivait en 1817 que l’Amérique offrait « un sanctuaire pour ceux que le chaos de l’Europe pourrait forcer à rechercher le bonheur sous d’autres cieux. »

Jefferson avait ajouté : « Ce refuge, une fois connu, produira une réaction sur le bonheur même de ceux restés là-bas, en avertissant leurs maîtres que lorsque les malheurs de l’oppression égyptienne deviennent plus difficiles à supporter que l’abandon de son pays, un autre Canaan s’ouvre, dans lequel leurs sujets seront reçus comme des frères, et protégés contre les oppressions par la participation au droit d’auto-détermination. »

Cette vision des pères fondateurs contraste avec les efforts actuels de l’administration Trump d’interdire de facto l’asile, que ce soit par ses règles ou via des décisions du Procureur Général refusant la plupart des demandeurs d’asile, ou en admettant peu voire aucun réfugié chaque année. Face aux critiques, les partisans de Donald Trump répondent généralement que le président ne s’oppose pas aux demandeurs d’asile ou aux réfugiés, mais qu’il élabore certaines politiques visant à sa réélection. Quand bien même, que les actions de l’administration présidentielle soient motivées par la politique ou l’idéologie, on se doit de les juger pour ce qu’elles sont, car elles affectent des individus bien réels et encouragent les partisans du président actuel à développer des arguments visant à défendre ces politiques et convaincre d’autres personnes que de telles actions sont justifiées.  

En 1869, il avait été demandé à l’abolitionniste et esclave affranchi Frederick Douglass s’il était favorable à ce que les Asiatiques soient autorisés à immigrer aux États-Unis : « Si vous me demandez si je suis favorable à une telle immigration, je réponds que je le suis », avait rétorqué Douglass.  « Seriez-vous favorable à leur naturalisation, et à leur investissement dans tous les droits que confère la citoyenneté américaine ? Je le suis… Il existe une chose dans ce monde qu’on appelle les droits humains… Lorsqu’il y a un conflit supposé entre les droits humains et les droits nationaux, il faut pencher du côté des droits humains. »

Avec quelques exceptions, telles que la Loi d’exclusion des Chinois de 1882, la politique fédérale en matière d’immigration est restée ouverte pendant toute l’histoire des États-Unis jusqu’aux années 1920. « La restriction de l’immigration, une pratique associée à la montée du nationalisme antilibéral, se résume à considérer des étrangers provenant de nations alliées comme étant des armées d’envahisseurs », écrit Lepore. « Aux États-Unis, un pays fondé sur l’idée d’une terre d’asile pour les opprimés, c’était un tournant assez radical. La création d’une justification pour ce dernier a conduit à embrasser l’eugénisme, a un antisémitisme d’un genre nouveau, et a une alimentation de la peur envers le catholicisme et le socialisme comme étant des importations européennes. »

Le Congrès rédigea les quotas « des origines nationales » qui entrèrent en vigueur en 1924 afin de limiter l’entrée des Juifs, des Italiens (catholiques), des Grecs et des Européens de l’Est, en particulier des Polonais et des Russes. Les partisans de ces quotas avaient publiquement déclaré que le Congrès devrait empêcher les individus en provenance de ces pays d’immigrer en Amérique, car leurs « races » étaient inférieures. « L’année suivante, dans Mein Kampf, Adolf Hitler, qui avait lu la première édition allemande du Passing of the Great Race [un livre populaire au sujet de l’eugénisme portant sur l’immigration], avait applaudi les démarches américaines de restriction de l’immigration consistant ‘‘simplement à exclure certaines races de la naturalisation’’ », remarque Lepore.

Il aura fallu attendre encore quarante ans avant que les États-Unis ne reviennent, d’une manière un peu différente, à des politiques d’immigration ouvertes. Les historiens s’accordent à dire qu’une des conséquences majeures de la loi sur l’immigration de 1924 a été le fait que 6 millions de Juifs ont péri lors de l’Holocauste car ils n’avaient nulle part où s’enfuir après que l’Amérique, un lieu de refuge historique, avait fermé ses portes. Bon nombre de ces vies auraient pu être sauvées. Mais comme le fait remarquer l’historienne Mae Ngai, « la plupart des libéraux qui s’étaient battus pour la Loi sur l’Immigration de 1965 avaient cessé de questionner l’idée de restriction de l’immigration en elle-même ; ils avaient simplement changé la façon dont cette restriction opérait », écrit Lepore. « Ils traitaient l’idée de restriction de l’immigration comme si c’était une tradition américaine ancestrale, alors qu’en fait, tout comme le régime des origines nationales lui-même, elle datait seulement de 40 ans. »

Lepore note que les gens confondent souvent le nationalisme avec le patriotisme.  « Il n’y a rien de mal à aimer l’endroit où vous vivez et les gens avec lesquels vous vivez, ni avec le fait de vouloir que cet endroit et ces gens prospèrent », écrit Lepore. « Mais au cours des premières décennies du 20ème siècle, avec la montée du fascisme en Europe, le nationalisme avait fini par avoir un sens différent du patriotisme, quelque chose de féroce, quelque chose de violent : moins un amour pour son propre pays qu’une haine des autres et de leurs peuples, et une haine des individus de son propre pays n’appartenant pas à une majorité ethnique, raciale ou religieuse. »

Et il existe un lien entre le nationalisme et l’immigration, explique Jill Lepore : « Les politiques d’immigration sont le sujet de débats politiques […]. Mais haïr les immigrés, comme s’ils étaient de sous-humains, est une forme de nationalisme qui n’a rien à voir avec le patriotisme. »

Dans l’esprit de Thomas Jefferson, George Washington et Ronald Reagan, le fait que des personnes d’autres pays souhaitent s’installer en Amérique – et que les États-Unis les accueillent – était une source de fierté et de patriotisme qui définissait cette nation.

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