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Hadrien Toucel, co-responsable de l’espace programme de LFI : « Beaucoup de startupers voudraient se rendre utiles à la Nation plutôt que de justifier leur rendement à court terme »

Dans notre série d’interviewes de candidats à la présidentielle, il manquera Jean-Luc Mélenchon, qui a délégué à l’un de ses collaborateurs en charge du programme du candidat LFI la mission de répondre à nos questions. Hadrien Toucel connait parfaitement la doxa insoumise comme le démontrent ses réponses « cash ».


 

La French Tech compte aujourd’hui plus d’une vingtaine de licornes à son actif… La “start-up nation” imaginée par Emmanuel Macron a-t-elle tenu ses promesses selon vous ?

Hadrien Toucel : La start-up est une forme d’entrepreneuriat. C’est une manière de générer des bénéfices, pas une façon de gouverner un pays. On ne dirige pas les personnes comme on produit de la valeur ajoutée : ce sont les peuples qui se dotent de règles collectives pour organiser la production, pas l’inverse ! Avec son ambition de fonder une “start-up nation”, Emmanuel Macron acte le renoncement à l’idéal démocratique du vote, au profit de l’idéal actionnarial du droit de tirage. Mais la République requiert un gouvernement, pas un capitaine d’entreprise. Car l’économie ne vise pas à satisfaire les premiers de cordée, mais à répondre à des besoins populaires. À cet égard, le nombre de licornes n’est pas la priorité – mais leur utilité sociale, elle, est cruciale.

 

D’autant que le bilan économique du quinquennat est désastreux. Enrichissement des 1% les plus fortunés, perte nette pour les ménages les plus pauvres, destruction d’emplois industriels, éclatement des chaînes de valeur, pénuries de fournisseurs, déficit commercial record… tous les voyants sont au rouge. Posons la vraie question : à quoi peuvent servir les start-up dans ce cadre ? Que proposons-nous aux inventrices et inventeurs, les Émilie du Châtelet ou les Gustave Trouvé du XXIe siècle ? Il y a un foisonnement entrepreneurial à l’heure actuelle – qui prend aussi la forme progressiste de coopératives d’activités et d’emploi – dont il faut orienter l’énergie vers l’intérêt collectif.

 

Comment faire de l’écosystème de start-up un atout pour la France ?

 

Ironiquement, la start-up est aujourd’hui le mode de production socialiste le plus avancé : 9 sur 10 sont dirigées collectivement par un petit groupe qui partage les risques et les décisions. L’imaginaire du pouvoir solitaire – incarné par Emmanuel Macron – ne correspond pas à leur réalité. Beaucoup de startupers voudraient se rendre utiles à la Nation, plutôt que de justifier leur rendement à court terme. Ils et elles  espèrent changer le monde en inventant des biens et des services susceptibles de révolutionner la vie.

 

Contrairement à la mythologie présidentielle, les start-ups sont totalement tributaires de l’État social. Aucune opposition entre les deux, puisqu’un grand nombre de start-up sont créées par des individus au chômage, qui utilisent leur indemnisation pour préparer un projet entrepreneurial. À chaque coup de rabot sur le montant ou la durée des allocations, ou à chaque renforcement de l’obligation d’accepter tout emploi, des centaines d’entrepreneurs disparaissent. Revenir sur la réforme Macron de l’assurance-chômage constitue donc le plus sûr moyen de sécuriser l’entrepreneuriat.

 

Une fois lancées, la plupart des start-ups ne génèrent pas un chiffre d’affaires suffisant pour s’autofinancer. Les initiateurs sont alors contraints d’aller chercher des financements externes, soit un prêt d’honneur dans des réseaux spécialisés, soit un prêt d’amorçage auprès de BpiFrance, soit une levée auprès de fonds de capital-risque. Dans tous les cas, les jeunes start-upers sont questionnés sur la rentabilité immédiate et prévisionnelle de leur entreprise. Ils sont tous en concurrence pour lever les fonds, et seuls ceux qui parviennent à convaincre qu’ils génèreront plus de profits que les autres gagnent. On marche sur la tête : l’avenir des start-ups, c’est la création d’un pôle public de banques socialisées, qui leur accorderont des prêts fondés sur l’utilité sociale du projet. Même s’ils ne rapportent que 0,1% de profit net, les projets de bifurcation écologique ou de bien-être social seront les bienvenus !

 

Outre les difficultés au lancement, les start-ups connaissent une véritable exploitation par les grands groupes. Ceux-ci sous-traitent leur R&D, confient toute la recherche incertaine pour se débarrasser des risques, et n’hésitent pas à multiplier les appels à projets auprès des start-ups pour voler les idées novatrices. Pire encore, une partie des start-up constituée avec l’argent public, par exemple via le réseau d’Instituts Carnot, sont achetées et liquidées par des groupes financiers étrangers, sans aucun soutien public au-delà de la mise initiale. Dans ce monde violent, il faut de l’ordre et de la sécurité : protéger le brevetage et la propriété intellectuelle des petits entrepreneurs, suivre et protéger les investissements publics dans la durée et faire porter les risques sur les multinationales, via une caisse de péréquation interentreprises qui obligera les grands groupes à surcotiser au profit des TPE.

 

Si vous êtes élu.e en avril prochain, est-ce que l’entrepreneuriat fera partie de vos priorités ? Quelles mesures allez-vous prendre en la matière ?

Un certain imaginaire collectif considère la start-up comme un idéal d’émancipation, qui motiverait les plus jeunes. Une manière de s’affranchir des grands groupes, de la hiérarchie, de la bureaucratie, pour contribuer à une forme de bien commun. Mais cet idéal est restreint à un petit groupe : 80% des start-ups sont créées par des bac+5. Les prêts publics aux start-ups s’apparentent ainsi à une sixième année d’étude. Pour mettre fin à cet accaparement de l’entrepreneuriat par certaines écoles de commerce, la démocratisation scolaire s’impose. C’est pourquoi nous rendrons gratuit l’enseignement supérieur public et accorderons 1063€ par mois à tout étudiant qui ne dépend pas de ses parents. En augmentant le niveau général des qualifications, nous amènerons de nouveaux groupes sociaux dans l’entrepreneuriat – et donc de nouvelles manières de voir le monde, de penser la production et le service aux autres.

 

La barrière des diplômes n’est pas la seule. Il y a aussi des logiques importantes de discrimination. Les femmes ou les jeunes issus de l’immigration ont moins de chance d’obtenir un prêt bancaire pour leur projet entrepreneurial qu’une autre personne à dossier égal. C’est là qu’intervient le pôle bancaire public. D’une part, il luttera explicitement contre les inégalités d’accès au crédit. D’autre part, il jugera les projets en fonction de leur utilité sociale et de leur concordance avec la planification écologique, la profitabilité n’étant plus l’objectif cardinal. C’est une libération pour celles et ceux qui espèrent inventer des biens ou des services, plutôt que de restreindre leur imagination à des plans prévisionnels de rendement des actifs…

 

Mais le mouvement central dont tireront parti les entrepreneurs est celui du grand plan d’investissement à 200 milliards, qui fera bifurquer l’économie du pays vers la soutenabilité totale – ce que nous appelons la règle verte, c’est-à-dire l’interdiction de prélever plus à la nature qu’elle n’est capable de reproduire. Ce plan d’investissement implique une vaste commande publique. C’est un énorme guichet pour les entrepreneurs qui veulent répondre aux besoins populaires.

 

Il faut aussi multiplier les participations publiques au capital de nos entreprises pour permettre l’émergence de nouveaux marché en France. Un objectif qui ne peut d’ailleurs pas être dissocié de conditions strictes quant à l’interdiction de réquisitions générales ou modulations du droit des actionnaires dans ces entreprises

 

Pensez-vous que la technologie et l’innovation sont à même de trouver une solution à l’équation climatique ?

La solution au changement climatique n’est pas de l’ordre technologique mais bien politique. Des décisions collectives doivent être prises pour assurer la reproduction de l’écosystème et la survie humaine. Car il y a une contradiction entre la recherche du profit maximum et les mesures de sobriété pour la transition climatique. En conséquence, nous ne pouvons pas répondre au grand défi de l’humanité en déléguant les choix fondamentaux à une poignée de grands groupes financiers européens, dont le crédit est consacré à des activité carbone et dont l’approvisionnement va au moins cher. Il faut donc revoir ce qui est produit, la manière dont on le distribue et les pratiques de consommation, pour assurer une vie digne à toute la population.

 

Aucune percée technologique ne limitera le réchauffement climatique sans être politiquement dirigée. En revanche, la planification démocratique orientera les technologies vers le bien commun, via une nouvelle manière de gouverner : une coordination nationale, mais non-étatique, pour définir collectivement les objectifs climatiques de la France à l’horizon 2030. Cette planification sera largement communale, en restituant du pouvoir et des dotations budgétaires aux communes, premier échelon de la bifurcation. Ces tâches seront appuyées par des assemblées citoyennes régionales d’orientation et suivies par des défenseurs de la nature dans chaque municipalité.

 

Nous sommes républicains, convaincus que le débat éclairé et les choix démocratiques favorisent des décisions bonnes, justes et acceptables. La convention citoyenne pour le climat représente un modèle. Réunir des citoyens tirés au sort, qui apprennent rapidement les coordonnées-clé d’un problème, aboutit à des propositions révolutionnaires.

 

Face à notre dépendance aux matières premières et la chaîne d’approvisionnement mondiale qui nous les acheminent, une relocalisation est-elle possible ? Comment y parvenir ?

 

La relocalisation est un impératif. Premièrement, il s’agit d’une sécurité démocratique : lorsque l’on dépend d’un ou deux pays pour s’alimenter ou se soigner, on n’est pas maître de ses choix. Deuxièmement, il s’agit d’une priorité écologique : on ne peut pas continuer le grand déménagement du monde, dégageant des quantités de CO2 exorbitantes pour assembler le moindre objet dont quatre pièces ont fait le tour du monde. Troisièmement, il s’agit d’un gage d’efficacité économique : la production relocalisée permet d’organiser des plans de filières et de coordonner différents établissements, en intervenant sur les choix de gestion plutôt que de les subir depuis l’étranger.

 

Pour que cela se produise, il faut d’abord un changement dans les têtes, c’est-à-dire des décideurs qui regardent le réchauffement climatique et pas seulement la rentabilité des capitaux propres ; des décideurs qui défendent l’intérêt national au lieu de dépecer des entreprises comme General Electric au profit des Etats-Unis d’Amérique ; des décideurs qui ne raisonnent pas de manière sectaire en s’attachant à de grandes paroles (« le libre-échange c’est la paix ») mais observent la réalité (pénuries multipliées, prix envolés, retards de livraison croissants) et en déduisent une action vigoureuse.

 

Nous nous doterons d’outils appropriés. Au centre, une agence spécifique de relocalisation, qui étudie chaque chaîne de valeur sectorielle pour assurer nos capacités nationales à les structurer, dans l’acier, l’aluminium ou le médicament par exemple. Si l’on veut produire des batteries ou des pales d’éolienne, on doit assurer les consommations intermédiaires. Et sans se cantonner aux champions nationaux, mais en incluant tout leur écosystème productif. Cela permettra de reconstruire des patrimoines territoriaux sur plusieurs années, en leur assurant un débouché, des tissus localisés de fournisseurs et de producteurs assez proches géographiquement.

 

Il faut aussi multiplier les participations publiques au capital de nos entreprises pour permettre l’émergence de nouveaux marché en France. Un objectif qui ne peut d’ailleurs pas être dissocié de conditions strictes quant à l’interdiction de réquisitions générales ou modulations du droit des actionnaires dans ces entreprises. Mais en échange, cela signifie une sécurisation des activités économiques à terme, sans volatilité des subventions. En outre, nous augmenterons la présence des salariés aux conseils d’administration afin de leur déléguer le contrôle sur l’outil de production et d’en garantit le maintien sur le territoire. Celui-ci sera même incontournable, puisque les droits de vote des actionnaires seront modulés en fonction de l’ancienneté de détention des titres, favorisant les propriétaires durables sur les nouveaux acheteurs.

 

Notre logique est celle d’un protectionnisme solidaire : établir une taxe kilométrique aux frontières, qui intègre le coût écologique dans les produits importés. Nous souhaitons également mettre fin à la directive sur les travailleurs détachés qui donnent lieu à la fabrication de produits dans des conditions inacceptables. La règle « à travail égal, salaire égal » doit s’appliquer à toutes et tous, quel que soit le sexe ou bien le pays de signature du contrat. Nous nous exposons sinon au risque de dumping social, alimentant la délocalisation à bas prix.

Enfin, il faut garantir des conditions dignes à la recherche publique sur le long terme afin d’éviter la fuite des cerveaux, qui fait disparaître des centaines de jeunes chercheuses et chercheurs chaque année. Pour cela, nous mettrons à contribution la fuite des portefeuilles, via un impôt universel sur les ménages aisés qui paieront la différence entre la fiscalité effective de leur pays de résidence et la fiscalité théorique qui les frapperait en France.

 

Quelle règle devrait-on impérativement instaurer pour réguler les marchés publics ?

 

Nous avons deux logiques : conditionnalité et utilité. Après les élections, nous sifflerons la fin de la récréation pour certaines grandes multinationales qui reçoivent de l’argent public sans contrepartie, alors que les petites et moyennes entreprises tirent la langue pour survivre, notamment au lendemain des confinements successifs. Les aides d’État seront conditionnées à des objectifs sociaux, écologiques et fiscaux – si les bénéficiaires ne respectent pas les contreparties, qu’ils remboursent. Plus généralement, la commande publique engagera un tournant en direction des petites et moyennes entreprises inscrites dans les territoires : des critères de localisation de l’activité, d’égalité femmes/hommes, de nombre d’accidents du travail et de composition des importations constitueront la nouvelle base d’attribution des aides. Celles-ci seront élargies, par une révision du Code des marchés publics, aux entreprises de l’économie sociale et solidaire, afin de renforcer l’alliance entre État et coopératives vers un nouveau mode de production.

 

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