Dans une déclaration de son ministre des Affaires étrangères, Pékin souligne son « amitié » avec la Russie. La Chine se dit prête à une « médiation » en Ukraine. En choisissant de soutenir Vladimir Poutine, la Chine de Xi Jinping pourrait faire face à de lourdes conséquences économiques ?
L’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine a placé Xi Jinping face à un choix cornélien : renforcer son alliance en pleine évolution avec son voisin autoritaire ou reconnaître que ses intérêts à long terme résident dans les démocraties orientées vers le marché, qui sont les principaux clients de la Chine. Malgré quelques hésitations au début, peut-être en réponse à une forte pression des États-Unis, Xi Jinping se range clairement du côté du dictateur russe. Il s’agit d’une erreur lourde de conséquences pour deux raisons essentielles. De toute évidence, la Russie n’est guère une valeur sûre en termes de poids économique ou de dynamisme susceptible d’inverser le ralentissement de la croissance chinoise. Enfin, l’agressivité de Vladimir Poutine incite les démocraties, avec à leur tête les États-Unis, à coopérer plus étroitement.
La Chine s’est effectivement jointe à l’homme fort russe revanchard dans sa volonté de défaire l’ordre politique post-Seconde Guerre mondiale. Cette coopération face à une guerre brutale et non provoquée est également susceptible de renforcer la détermination de l’Europe à s’opposer aux efforts incessants de la Chine pour dominer l’économie industrielle mondiale et imposer un nouvel ordre mercantile pour remplacer le système de Bretton Woods qui a ancré l’ordre d’après-guerre.
Le partenariat économique de la Chine avec la Russie de Vladimir Poutine était au mieux mort-né. L’économie russe, dominée par les matières premières et souffrant d’un effondrement démographique ainsi que d’un manque d’innovation et de vigueur entrepreneuriale, n’offre pas grand-chose à la Chine, si ce n’est une source commode de pétrole, de gaz naturel, de métaux et de céréales. La Russie a fourni des équipements militaires de pointe à la Chine à mesure qu’elle se dotait de capacités modernes. Cependant, la Chine a déjà copié une grande partie des technologies de base et peut les produire plus efficacement que ses partenaires du Nord, comme le veut la procédure habituelle des Chinois avec leurs partenaires commerciaux. Sur la totalité des exportations russes vers la Chine, 70 % concernent le pétrole, le gaz naturel et le charbon, qui peuvent tous être obtenus auprès d’autres sources.
En tant qu’importateur et lieu d’investissement, la Russie offre peu de valeur durable à la Chine. Environ 1 % de l’énorme machine à exporter des biens de la Chine, soit 49 milliards de dollars en 2020, va à la Russie. En 2009, Vladimir Poutine et Jiang Zemin se sont mis d’accord sur une liste de plus de 200 projets d’infrastructures et de développement, sorte de précurseur de l’initiative « Belt and Road » (BRI, Nouvelle route de la Soie). Cinq ans plus tard, seuls 10 % de ces projets ont été lancés, même si Vladimir Poutine ne cesse de souligner la nécessité d’une amélioration massive des infrastructures. Bien que la frontière s’étende sur plus de 4000 km, il n’y a que 25 points de passage entre les deux géants asiatiques. De nombreux investissements chinois dans le commerce russe ont entraîné des réactions négatives de la part des populations et des entreprises locales, dans le prolongement des animosités historiques. De nombreux litiges frontaliers persistent également et contribuent aux tensions. L’initiative BRI ne manquera pas d’entraîner davantage de frictions, car elle implique en grande partie un développement et un commerce important avec les anciens territoires soviétiques.
Le commerce et les investissements directs de la Chine avec les démocraties occidentales éclipsent ceux avec la Russie de Vladimir Poutine. Les États-Unis et l’Union européenne (UE) importent collectivement près de 1000 milliards de dollars par an de ressources chinoises, rien qu’en marchandises, soit 20 fois le niveau des importations russes. Les marchés des capitaux américains et européens sont d’importantes sources de financement pour l’économie chinoise, de plus en plus endettée. Les entreprises chinoises cotées sur les bourses américaines valent plus de 2200 milliards de dollars. Par ailleurs, les ventes d’obligations souveraines et du secteur privé sur les marchés occidentaux sont essentielles pour maintenir la liquidité des marchés chinois, en particulier le marché immobilier menacé. L’accès encore facile du capital-risque chinois aux start-up occidentales est crucial pour la poursuite de la volonté du pays d’acquérir des technologies occidentales.
Comme l’on fait valoir plusieurs experts, y compris au sein du FMI, l’économie chinoise ralentit et, en raison de ses niveaux élevés d’endettement et d’une crise immobilière croissante, la Chine risque d’entrer dans une spirale économique descendante. Dans ces circonstances, la Chine peut difficilement se permettre de s’aliéner davantage les nations occidentales en se rangeant du côté de l’aventurisme téméraire de Vladimir Poutine aux frontières de l’Europe.
L’Europe enregistre déjà un déficit commercial considérable avec la Chine, qui a atteint 207 milliards d’euros l’année dernière. En 2021, l’emblématique et gigantesque industrie automobile allemande fonctionnait encore environ à la moitié du niveau d’avant la pandémie et n’est pas en mesure d’accroître sa part de marché en Chine, le secteur des véhicules électriques devenant plus important pour la croissance. Le Royaume-Uni présente également un déficit important avec la Chine, de 40 milliards de livres en 2021.
L’un des principaux outils déployés par la Chine pour faire face à son propre ralentissement économique consiste à redoubler d’efforts dans son économie axée sur les exportations. La surproduction persistante de la Chine continue d’entraîner des excédents commerciaux, en particulier dans le secteur des biens, qui nuisent à l’industrie manufacturière occidentale. Les États-Unis ont déjà imposé des droits de douane, des contrôles à l’exportation et des limites aux investissements chinois pour contrer ce mercantilisme. Le soutien de Xi Jinping aux efforts russes visant à saper l’ordre d’après-guerre ne peut que renforcer la détermination européenne à relever ce défi économique et politique.
Les populations et les principales industries d’Europe ressentent déjà l’impact de la hausse des prix de l’énergie que leurs propres politiques antinucléaires et anti-combustibles fossiles ont engendrée. L’utilisation par la Russie de sa position dominante sur les marchés européens de l’énergie, où elle fournit 40 % des importations de gaz naturel, a fortement contribué à l’augmentation des prix cette année. Les prix de cette ressource à faible teneur en carbone sont quatre à cinq fois plus élevés qu’aux États-Unis. La Chine ne peut contribuer à résoudre ce problème pour l’Europe et ne fera que compliquer les conséquences de la dépendance de l’Europe en augmentant ses propres achats de gaz russe. Le 4 février dernier, Vladimir Poutine et Xi Jinping ont annoncé un nouvel accord qui augmentera les importations chinoises par gazoduc de 25 %. D’ici 2025, le nouveau gazoduc permettra aux importations chinoises totales d’égaler celles du gazoduc Nord Stream 2 que l’Allemagne a suspendu après l’invasion russe en Ukraine.
Il convient de noter que la production de gaz naturel russe est de loin la plus grande source mondiale de méthane s’échappant dans l’atmosphère. Le méthane est bien plus important pour le réchauffement de la planète que le CO2, ce qui doit certainement être un facteur pour les décideurs européens lorsqu’ils envisagent l’interaction entre le climat et les politiques économiques internationales.
En revanche, les États-Unis peuvent aider matériellement à résoudre les problèmes énergétiques de l’Europe, qui ont atteint un niveau de crise à cause de la guerre. Les États-Unis ont suffisamment de capacité de gaz naturel liquéfié (GNL) pour compenser la perte de Nord Stream 2, et potentiellement pour Nord Stream 1 si le gouvernement Biden ne bloque pas les nouvelles capacités d’exportation de gaz naturel, de transport par pipeline et de GNL. Les installations d’exportation en cours de construction et qui devraient être mises en service cette année seulement ajouteront suffisamment de capacité pour remplacer Nord Stream 2, et le nouveau gouvernement allemand a annoncé le week-end dernier qu’il construirait ses deux premières usines d’importation de GNL aussi rapidement que possible pour commencer à remplacer les fournisseurs russes. La Commission fédérale américaine de régulation de l’énergie a déjà autorisé la construction de suffisamment d’installations d’exportations de GNL pour remplacer toutes les exportations de gaz naturel russe vers l’Europe au cours des prochaines années. En résumé, les États-Unis peuvent aider considérablement l’UE à réduire sa dépendance à l’égard de la Russie s’ils assouplissent les politiques anti-développement qui entravent sa capacité d’exportation de GNL. Cela contribuerait à cimenter la revitalisation de l’alliance entre les États-Unis et l’UE.
La Chine a peu à gagner économiquement d’une entente avec la Russie et beaucoup à perdre des sanctions occidentales. L’économie chinoise est menacée par une grave crise immobilière et par la répression des secteurs numériques. L’incursion russe en Ukraine et la réponse occidentale à cette agression rendront la reprise économique chinoise encore plus problématique. Les sanctions américaines contre la Chine seraient considérablement renforcées par une approche conjointe avec l’Europe, notamment sur des questions telles que l’accès aux procédures de compensation bancaire, aux marchés des capitaux et aux technologies occidentales sensibles. La politique énergétique des deux côtés de l’Atlantique peut contribuer à approfondir la coopération pour relever le défi de l’ordre économique d’après-guerre, que le mercantilisme de Xi Jinping et son soutien à l’agression russe ont cristallisé. La décision du dirigeant chinois de soutenir son homologue russe affaiblira les perspectives économiques à court et à long terme de la Chine, ce qui pourrait avoir des conséquences politiques intérieures sur la tentative de Xi Jinping de rester dirigeant à vie.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Thomas Duesterberg
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