Gilets jaunes, robes noires et médiation obligatoire. Une valse de couleurs en plein hiver ? Le mouvement de contestation des « Gilets jaunes » – qui pèserait sur la croissance, est considéré par de nombreux observateurs comme très particulier. Ils ne trouvent pas dans l’Histoire quelque chose de similaire et ils attribuent cette originalité à Internet et aux réseaux sociaux. Certes. Mais à regarder les choses avec plus de distance que le nez collé à l’écran, il est flagrant de constater que les personnes se sont toujours individuellement mobilisées quand elles ont moins à perdre qu’à gagner dans le rapport de force qu’elles subissent déjà en silence – cela dit, sans parti pris sur la question de savoir si la mobilisation est à tort ou à raison : il suffit qu’elle soit vécue comme légitime.
Alors ? Alors, aujourd’hui on peut entendre du fin fond de la démocratie française un ras-le-bol d’être exclu des décisions démocratiques. Est-ce bien cela ? La notion de démocratie aurait pris du sens pour un peuple qui n’en disait rien ? Mieux que le croire, il faut le constater : la discussion, réservée à une élite au temps des Grecs de l’Antiquité, est descendue dans la rue, jusqu’à bloquer les carrefours de la 5e puissance économique mondiale, 2e en Europe et 10e mondiale pour le PIB par habitant en PPA (Parité de pouvoir d’achat) (cf. Banque mondiale). L’enseignement généralisé imaginé par les Lumières du XVIIème siècle a produit ses effets : les citoyens revendiquent une plus grande capacité à décider. Ils sont nombreux à être étonnés que leurs revendications ébranlent les vieux systèmes d’autorité, de la mise sous tutelle impérieuse au paternalisme bienveillant. Ils s’affirment pourtant avec d’autant plus de conviction qu’ils constatent l’extravagance des richesses d’un très petit nombre de personnes face à la paupérisation de ceux qui ont travaillé toute leur vie en contribuant à un enrichissement dont ils ne voient pas les retombées. Leur grogne s’est affublée d’un gilet jaune, symbole de celui qui s’arrête et met la circulation en danger. Cette prévention peut être vue également comme une posture anticipatrice : à ne pas faire attention à ce qui se passe, il ne peut y avoir qu’une aggravation des choses. Et la contestation s’amplifie, rameute, trouve de l’écho même chez les plus jeunes.
Pendant ce temps, des avocats s’en prennent à la médiation obligatoire au civil… en indiquant que la médiation serait payante alors que l’accès au judiciaire serait gratuit. Prenons un peu de temps pour établir les liens…
- Tout d’abord, ce qui est regrettable ici, c’est la confusion manifeste qui apparait entre la notion de « justice » – qui relève d’une relation plutôt mystique – et celle de « judiciaire » – qui est un système de recours à un système arbitral (cf. déclaration de Maître Solange Viallard-Valezy, bâtonnier élu, représentant le bâtonnier Karim Mrabent à France Bleu du 12 décembre 2018).
- Par ailleurs, il est regrettable de faire croire que la médiation ne serait pas prise en charge pour les personnes qui bénéficient de l’aide juridictionnelle ; c’est faux (cf. Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 – Art. 42, Circulaire du 20 janvier 2017 relative à la prise en charge de la médiation au titre de l’aide juridique)
Alors, maintenant, que la réforme territoriale éloigne le dispositif auquel les avocats sont habitués, c’est un fait, mais que faut-il en penser ? L’incitation à la médiation obligatoire pour les affaires civiles, est-elle bénéfique au citoyen ?
Si nous prenons les choses sous l’angle des habitudes de pensée, la réponse est oui, bien sûr. Et dans ce cas, la grogne des avocats est très compréhensible. Toutefois, si nous regardons les effets du judiciaire, la première chose que nous pouvons constater, c’est que le système judiciaire consiste à placer des citoyens sous tutelle, à leur capter leur capacité de décision et à mobiliser de manière coûteuse un ensemble de personnes pour des différends qui ne peuvent être résolus que par les personnes elles-mêmes. Le système judiciaire est donc privatif de la liberté de décision, sans l’efficacité attendue (on ne reviendra pas sur les statistiques publiées par le ministère de tutelle).
Les avocats sont donc les bienvenus à manifester, mais plutôt pour demander que les moyens retirés au système judiciaire soient réaffectés aux dispositifs de médiation obligatoire, car l’enjeu est bien celui de la promotion de la liberté de décision, et donc de la Liberté.
Ainsi, chers maîtres, ne vous trompez pas de combat : le système judiciaire est sans doute un gagne-pain, mais il est aujourd’hui comme le boulier face à l’ordinateur. On ne peut pas dire qu’il n’a pas eu de pertinence, mais il est devenu obsolète. Dans cette grogne hivernale en France, c’est de liberté qu’il s’agit : avoir un pouvoir d’achat convenable, c’est aujourd’hui avoir les moyens d’aller et venir le plus librement possible. Et voyez-vous, la médiation, quand elle est menée par les représentants de la profession de médiateur (CPMN) en tout cas, est tout ce qui est de plus adapté à l’évolution culturelle et aux aspirations citoyennes d’être assistés, non pour abandonner son pouvoir de réflexion, de décision et d’action à des tiers, mais au contraire pour que chacun apprenne à mieux exercer les différentes composantes de sa Liberté. La médiation a pour effet de changer les rapports à l’exercice de l’autorité et donc à la décision. Ce n’est plus une façon de proclamer le droit et de l’interpréter, c’est une façon d’être en relation, de promouvoir mieux qu’un contrat global qui nivelle, un ensemble de dispositifs favorisant l’implication citoyenne.
Et, que nous nous comprenions bien, c’est cela le Droit à la médiation affirmé avec la médiation obligatoire depuis le début de ce siècle : une assistance pour que chacun s’approprie ce droit fondamental à la Liberté qui, depuis 1789, est restée une proclamation, et qui devient de manière de plus en plus claire une exigence citoyenne.
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