Partout, l’on constate la résurgence des frontières et des barrières. Sous des formes diverses et parfois inattendues : physiques, commerciales, climatiques, migratoires, technologiques, juridiques, sanitaires ou encore concurrentielles, elles n’ont de cesse depuis quinze ans de se multiplier et de se complexifier. Le temps où l’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman décrivait en 2002 les mérites de la mondialisation triomphante dans son best-seller « La Terre est plate » est, semble-t-il, révolu. Voilà pourquoi.
Les chiffres sont implacables. Depuis 2008, les mesures protectionnistes ont augmenté de 10 % par an en moyenne, avec une accélération notable depuis 2016. Selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), plus de 2 000 nouvelles barrières commerciales ont été instaurées au cours de la dernière décennie. Les États-Unis et la Chine ont été les principaux protagonistes de cette montée des barrières, mais l’Europe n’a pas été en reste, multipliant les régulations visant à protéger ses marchés stratégiques.
Le Brexit symbolise cette tendance à la re-nationalisation des politiques économiques. Les frontières se réaffirment non seulement dans le commerce mais aussi dans les flux migratoires. En 2023, l’Union européenne a enregistré une augmentation de 18 % des demandes d’asile par rapport à l’année précédente, poussant certains pays à renforcer leurs contrôles aux frontières. De nouvelles barrières technologiques apparaissent également, avec des géants chinois exclus de certains marchés occidentaux pour des raisons de sécurité nationale.
Le néo-libéralisme vacille
Face à cette fragmentation, le néo-libéralisme vacille. Les systèmes économiques et politiques devront s’adapter à une nouvelle réalité. Dans ce cadre, certains économistes plaident pour une « mondialisation régulée », où la coopération internationale se ferait sous des règles strictes visant à prévenir les excès du libre marché. D’autres voient dans la montée des barrières l’opportunité de renforcer les économies locales et de repenser les chaînes d’approvisionnement pour les rendre plus résilientes.
Les voix les plus influentes du monde économique appellent désormais au sursaut et estiment que le dernier clou dans le cercueil du néolibéralisme doit être enfoncé. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie – qui est tout sauf un radical- estimait récemment dans une contribution au Washington Post que le néo-libéralisme a définitivement échoué et que nous avons besoin d’un nouveau contrat social qui place l’équité et la durabilité au cœur de nos systèmes économiques.
Car paradoxalement, l’impasse actuelle pourrait ouvrir la voie à des innovations sociales et économiques. Les crises sanitaires, comme celle du Covid-19, ont montré l’importance d’avoir des systèmes de santé robustes, autonomes, et de coordonner les efforts de recherche sur le plan mondial. L’urgence climatique pousse également à repenser nos modèles de production et de consommation. La transition écologique pourrait devenir le moteur d’un nouveau modèle économique, plus durable et plus équitable.
Les statistiques montrent que les investissements dans les énergies renouvelables ont augmenté très rapidement au cours des cinq dernières années, atteignant près de 600 milliards de dollars de dépenses en 2023. Ce phénomène a entraîné une recrudescence des projets de recherche et développement dans le secteur des technologies vertes, créant de nouveaux emplois et dynamisant les économies locales.
Revoir notre modèle de développement
Sur le plan social, la montée des mouvements pour la justice économique et climatique met en lumière la nécessité de revoir notre modèle de développement. Des économistes comme Thomas Piketty, dont les travaux ont une résonnance de plus en plus substantielle, plaident pour une fiscalité plus progressive et des investissements massifs dans les infrastructures publiques. L’objectif ? Que l’économie du XXIe siècle soit une économie de partage et de coopération et que les politiques fiscales et sociales soient redessinées pour garantir une répartition plus équitable des richesses.
Cette nouvelle ère de régulation pourrait également voir l’émergence de systèmes économiques hybrides, combinant les avantages de la globalisation avec des protections locales renforcées. Le modèle scandinave, avec son mélange de libre marché et de solides filets de sécurité sociale, pourrait servir de boussole. En Suède, par exemple, le taux de chômage est resté inférieur à 7 % grâce à des politiques actives de soutien à l’emploi et à la formation continue.
Équilibre entre ouverture et protection
Néanmoins, cette transition ne sera pas sans défis. Les tensions géopolitiques, exacerbées par les politiques protectionnistes, risquent de freiner la coopération internationale nécessaire pour lutter contre les crises mondiales telles que le changement climatique et les pandémies. De plus, l’essor des nationalismes économiques pourrait conduire à des guerres commerciales prolongées, avec des effets délétères sur la croissance mondiale.
De fait, la clé du succès pourrait résider dans la capacité des nations à trouver un équilibre entre ouverture et protection. Un système économique viable doit être capable de protéger ses citoyens tout en restant connecté au reste du monde. Cette vision équilibrée pourrait bien être la feuille de route vers une économie mondiale plus résiliente et inclusive.
Enfin, il est crucial de rappeler que les barrières ne sont pas nécessairement synonymes de recul. Elles peuvent également signifier une protection accrue contre les abus et une meilleure gestion des ressources. À cet égard, les initiatives visant à créer des économies circulaires et à promouvoir la durabilité à long terme sont des exemples concrets de la manière dont les barrières peuvent être utilisées de manière positive. De même, les initiatives visant à réguler les abus de position dominante et les monopoles sont absolument indispensables pour l’équilibre des marchés à long terme. Elles empêcheraient notamment les géants de la Tech de confisquer à la fois nos données et la capacité d’entrer sur le marché de nouveaux entrants disposant d’infiniment moins de capital.
Si nous assistons peut-être aux dernières heures du néo-libéralisme tel que nous le connaissons, cela ne signifie pas la fin de la coopération internationale ou du libre-échange. Au contraire, nous pourrions entrer dans une nouvelle phase où les règles du jeu sont réécrites pour mieux répondre aux défis du XXIe siècle. Une phase où l’économie mondiale est guidée non par la quête incessante de profits, mais par la quête de durabilité, d’équité et de résilience. A ce titre, les prochains mois seront déterminants pour dessiner les contours du monde post-néo-libéral avec notamment une élection américaine qui n’a jamais été aussi incertaine…
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