La pandémie n’est pas finie que nous voici en crise. Dans la série d’entretiens Face au Virus, Forbes échange avec les hommes et les femmes qui travaillent aux adaptations nécessaires.
La medtech xRapid Group, que Jean Viry-Babel dirige, a élaboré une technologie de sécurisation des tests sérologiques pour dépister la Covid-19. Alors que le marché des tests individuels s’apprête à décoller, l’entrepreneur lamente l’indécision politique et les lenteurs administratives françaises.
Forbes. Que penser du risque de deuxième vague épidémique ?
Jean Viry-Babel. Nous travaillons au quotidien avec des hôpitaux de Paris et de Marseille et, malheureusement oui, c’est tout à fait possible. Les autorités ont laissé les gens se dé-confiner sans leur donner la possibilité de savoir s’ils sont positifs ou non. Et ne sachant pas s’ils sont contagieux, les gens se mélangent naturellement. On aura beau fermer les berges de la Seine, inventer les « plages dynamiques » et réglementer les sentiers de montagne, les Français prendront l’apéritif en groupe et les porteurs asymptomatiques transmettront la maladie. Des clusters se recréent déjà dans les transports, dans les entreprises… avec un double effet pervers. D’une part, la peur continue de régner. C’est le syndrome du pestiféré : on s’éloigne de tous ceux qui sont potentiellement contagieux… c’est-à-dire, en l’état actuel, tout le monde ! Et d’autre part, les Français en veulent de plus en plus à un Etat qu’ils ressentent comme intrusif, répressif et inefficace.
Forbes. Peut-on l’éviter ?
Jean Viry-Babel. Oui. De la manière la plus simple qui soit. En un mot, ou plutôt trois : par les tests. C’est l’absence de dépistage qui risque de nous faire entrer dans un cycle confinement/déconfinement. Au contraire, à Taïwan, un pays de 25 millions d’habitants, la Covid-19 n’a fait que 7 morts grâce à une politique de dépistage massif. En France, la Haute Autorité de Santé n’a rendu son avis que la semaine dernière, alors que la Belgique a déjà commandé plus de 3,5 millions de tests sérologiques dits « unitaires », qu’on appelle tests de diagnostic rapide s’ils sont administrés en laboratoire, tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) dans d’autres lieux et « autotests » si c’est le patient lui-même qui les pratique.
Il faut bien comprendre ce que sont ces tests et ce qu’on peut en attendre. Quand on parle de tests, en France, on se réfère généralement aux tests virologiques, en hôpital: la PCR, qui permet de déterminer ou non la présence du virus. Ces tests sont lents et coûteux : un dépistage généralisé est impensable. Il existe en complément deux sortes de tests sérologiques. Les tests Elisa, que l’on fait en laboratoire, avec une prise de sang, permettent de quantifier les anticorps et les antigènes et donc de dater l’infection. En Italie, la Croix-Rouge est en train de tester 150 000 personnes de cette manière. En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) les a réservés au personnel de santé et forces de l’ordre. Et puis il y a les tests sérologiques «unitaires». Quand vous pratiquez un «autotest», il y trois réponses possibles, selon la présence de deux types d’anticorps produits quand votre organisme lutte contre le virus : les immunoglobulines de type G (IgG) et de classe M (IgM). Si aucun anticorps spécifique au virus n’est présent, vous n’êtes pas malade et ne l’avez pas été, du moins récemment. Si les IgG sont présentes mais pas les IgM, vous avez eu le virus mais vous êtes guéri (sans avoir forcément présenté de symptômes). En revanche, la présence d’IgM dans le sang sonne l’alarme : il vous faut aller voir un médecin. Mais dans les deux autres hypothèses, votre entourage n’a rien à craindre. C’est vrai dans le cadre familial, mais aussi en entreprise : les autotests permettent de lever l’appréhension et de restaurer la confiance.
Forbes. N’y a-t-il pas encore des doutes sur ces tests rapides ?
Jean Viry-Babel. Pas sur leur principe. Déjà utilisés pour le VIH et la malaria, ces tests sont largement disponibles et efficaces à 95%, voire 99 %. Ils sont devenus par exemple un outil majeur de la lutte contre le sida, ce qui a conduit à laisser les tests en vente libre. Pour la Covid-19, on a vu apparaître une grande diversité de tests, certains parfaitement efficaces et d’autres à la limite de l’escroquerie. L’Espagne a dû ainsi jeter plus de 600 000 tests. Une première liste de tests homologués a été publiée la semaine dernière par l’Institut Pasteur, bien après les autres pays.
Il est clair que, en cas de test positif au virus, le parcours doit être fléché pour le grand public, pour éviter toute panique. Mais il est beaucoup plus simple de le faire pour la Covid-19 que dans des maladies chroniques comme le diabète, où pourtant le patient est déjà très fortement responsabilisé.
Forbes. D’où vient alors ce retard français ?
Jean Viry-Babel. Il y a une sorte de principe de précaution politique : même si le danger sur les tests sérologiques personnels est tout petit, personne ne veut faire le premier mouvement et s’exposer à un contre-coup politique. Ce risque est double. D’une part, il n’y a pas encore de certitude que les anticorps protègent de la maladie. Il existe donc un risque de ré-infection : certaines personnes pourraient se croire protégées sans l’être. Le risque est extrêmement faible mais on ne peut pas l’écarter totalement. En outre, comme tous les diagnostics, les tests unitaires génèrent une petite part de résultats incorrects. A l’hôpital, le diagnostic humain peut souvent les déceler et redresser la barre. Mais ce n’est pas le cas d’un test en vente libre, et la possibilité qu’il y ait des mouvements de panique effraie les autorités. La Haute Autorité de Santé s’inquiète ainsi du fait que les autotests soient difficiles à déchiffrer pour le grand public. C’est vrai, et c’est ce qui nous a conduit à développer l’app mobile xRDT, qui permet de sécuriser l’utilisation des tests en s’assurant de leur validité et en évitant toute erreur d’interprétation du résultat. Nous nous apprêtons à publier les résultats de nos recherches avec l’AP-HP. A ce moment-là, nous rendrons l’app disponible pour le grand public. Mais le manque de clarté des tests n’explique pas la frilosité de l’Etat. On préfère interdire et réprimer plutôt que laisser chacun se tester et faire confiance au sens civique des Français. C’est aller contre le sens de l’histoire. Internet a renforcé le mouvement d’information et de libération du patient qui avait commencé avec le Sida et les tests à la maison sont en train de se développer, qu’il s’agisse de grossesse, d’intolérance au gluten, de VIH, de certains cancers comme la prostate ou le côlon… On ne pourra empêcher longtemps les Français de se procurer des tests librement accessibles sur Internet. Pour nous, notre choix est clair : nous soutenons des sites comme TestezMoi.fr, pour que chacun puisse se tester librement. Laissez les Français se tester !
Forbes. Quel est le coût d’un test ?
Jean Viry-Babel. Le coût total oscille entre 10 et 30 euros, selon qu’on laisse les gens se tester seuls ou que l’on fait pratiquer le test en laboratoire. Cela peut devenir un énorme marché mais je pense que dans un premier temps, plutôt que de parler de remboursement, il faut miser sur la médecine du travail et les entreprises. Le prix est assez bas pour permettre à toutes les entreprises de suivre l’exemple d’Orange, qui prévoit de proposer des tests à tous ses salariés. C’est une question d’intérêt bien compris : retour à l’activité, engagement social, qualité de vie au travail et pérennité de l’entreprise sont tous alignés face au virus. On ne peut pas conduire une entreprise à l’aveugle, sans gérer le risque sanitaire de ses employés et en exposant les autres parties prenantes.
– Les salariés veulent savoir où ils en sont, eux et leur famille C’est l’intérêt de l’entreprise de leur en donner les moyens.
– Les clients et les fournisseurs sont inquiets de rencontrer des inconnus ? C’est l’intérêt de l’entreprise de les rassurer, en investissant dans la santé de ses hommes et ses femmes.
En un mot : dans l’intérêt même de l’entreprise, toutes les personnes qui entrent en contact avec elle doivent être sécurisées. Et les tests unitaires le permettent désormais.
Forbes. Les apps comme StopCovid, qui sera disponible à la fin de la semaine, ne vont-elles pas dans la même direction ?
Jean Viry-Babel. En Chine et en Corée, les apps de geotracking ont montré pouvaient qu’elles peuvent être utiles, à condition d’accepter un niveau d’intrusion dans nos vies personnelles incompatible avec la démocratie telle qu’on l’entend en Europe. Et surtout il y a ici une absurdité. Comment demander aux gens de déclarer s’ils ont les symptômes de la Covid-19 mais leur interdire de se tester ? On est en train de commettre la même erreur sur les tests que celle que le gouvernement a faite sur les masques, quand il a fait croire qu’ils n’étaient pas importants au lieu d’admettre qu’on en avait pas assez. On prend des décisions non pas pour le bien-être des Français mais pour qu’on ne puisse rien vous reprocher administrativement ou politiquement. Il faut cesser d’infantiliser les Français : se tester soi-même, c’est reprendre le contrôle sur sa vie et sa santé.
Propos recueillis à la levée du confinement en France, du 11 au 25 mai 2020.
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