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États-Unis : pourquoi le sujet du salaire minimum est-il resté en arrière-plan au cours de cette campagne électorale ?

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États-Unis : pourquoi le sujet du salaire minimum est-il resté en arrière-plan au cours de cette campagne électorale ? Getty Images

Malgré l’inflation, l’augmentation du salaire minimum fédéral aux États-Unis est restée en retrait des débats, alors que trois États ont voté pour rehausser leurs propres seuils, peu d’Américains gagnant encore le minimum fédéral, stagnant depuis 15 ans.

Un article de Maria Gracia Santillana Linares pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Au cours des quatre derniers mois, depuis que la vice-présidente Kamala Harris est devenue la candidate démocrate à la présidence, elle et Donald Trump ont débattu d’un large éventail de propositions économiques, allant de l’accès au logement abordable aux baisses d’impôts et aux droits de douane. Pourtant, malgré l’inflation et la hausse des prix alimentaires, qui figuraient parmi les enjeux majeurs de la campagne cette année, un sujet est resté en retrait : l’augmentation du salaire minimum fédéral.

En octobre, Donald Trump a brièvement travaillé à la friteuse d’un McDonald’s en Pennsylvanie, mais il n’a pas soutenu publiquement une hausse du salaire minimum fédéral dans cette campagne électorale. Interrogé à ce sujet à la fenêtre d’un drive-in de McDonald’s, il a évité la question. Lors des élections de 2020, il avait déclaré à la presse qu’il « envisagerait » de porter le seuil fédéral à 15 dollars, mais est resté silencieux depuis. Le « Project 2025 », un plan politique conservateur dont M. Trump a tenté de se distancier, propose même que les États puissent demander des dérogations au Fair Labor Standards Act, qui fixe le salaire minimum fédéral. 

Mme Harris, qui avait déjà soutenu une hausse du salaire minimum lors de sa campagne de 2020, a réitéré sa position depuis sa nomination comme candidate démocrate en août, sans toutefois préciser le montant. Après la visite de M. Trump chez McDonald’s, elle a déclaré à NBC qu’elle appuierait « au moins 15 dollars de l’heure » comme nouveau seuil fédéral. Quelques jours plus tard, en campagne dans le Michigan, elle a qualifié le salaire minimum actuel de 7,25 dollars de « salaire de misère ». Selon Ben Zipperer, économiste principal à l’Institut de politique économique, un organisme progressiste, « une augmentation du salaire minimum fédéral avait beaucoup plus de chances d’être adoptée sous une administration Harris ».

Les experts identifient deux raisons principales expliquant la faible médiatisation de cette question : d’une part, les hausses de salaire minimum se sont largement concentrées au niveau des États depuis plus de 15 ans, soit depuis la dernière fois que le Congrès a adopté une augmentation fixant le seuil fédéral à 7,25 dollars de l’heure en 2009 (équivalant à 10,61 dollars aujourd’hui). Parallèlement, ces initiatives locales ont fortement réduit le nombre de travailleurs touchant le salaire minimum fédéral ou moins : en 2023, seuls 1,1 % des travailleurs américains déclarent gagner ce salaire, un niveau historiquement bas, selon le Bureau of Labor Statistics. (Et ce chiffre inclut des employés qui pourraient, avec les pourboires, percevoir un revenu supérieur, bien que ces derniers ne soient pas comptabilisés dans l’estimation officielle.)

Shannon Meade, directrice exécutive du Workplace Policy Institute chez Littler Mendelson, l’un des plus grands cabinets d’avocats spécialisés en droit du travail, explique : « La législation sur les salaires n’a jamais abouti et reste bloquée au Congrès. Ce que l’on observe, c’est que les États ont pris l’initiative de combler ce vide, et cela continuera, que l’administration soit celle de Trump ou de Harris. »

Au cours des 15 dernières années, le Congrès, qui détient le pouvoir de fixer le salaire minimum fédéral par la loi, n’a pas revu ce seuil à la hausse depuis l’instauration du plancher salarial dans le cadre du Fair Labor Standards Act en 1940. En réponse, ce sont les États qui ont pris le relais en augmentant les salaires : aujourd’hui, 34 États, territoires et districts appliquent leur propre salaire minimum, presque tous supérieurs à 10 dollars.

Mardi dernier, les électeurs de trois États – l’Alaska, la Californie et le Missouri – se sont prononcés sur des mesures visant à augmenter directement le salaire minimum dans leur État, pour le porter entre 14 et 18 dollars de l’heure.

Dans deux autres États (le Massachusetts et l’Arizona), des propositions liées aux salaires pour les travailleurs à pourboires seront également soumises au vote. (Trump et Harris ont tous deux soutenu la suppression des taxes sur les pourboires, une position critiquée par certains experts en politique fiscale). Si elle est adoptée, la mesure du Massachusetts éliminera le salaire minimum pour les pourboires d’ici 2029, avec une première hausse pour les employeurs à 9,60 dollars en 2025. En Arizona, les employeurs ne pourront verser un salaire horaire inférieur aux travailleurs à pourboires que s’ils prouvent qu’avec les pourboires, les employés atteignent au moins 16,35 dollars de l’heure.

L’augmentation du salaire minimum au niveau fédéral devra toujours être approuvée par le Congrès avant que le président ne puisse la signer ou la bloquer par un veto. Les législateurs démocrates et de gauche ont tenté à plusieurs reprises d’inscrire un salaire minimum de 15 dollars dans la loi, la dernière fois en 2021 dans le cadre du plan de sauvetage américain. Mais ils ont été stoppés par leurs homologues républicains, qui estiment que la question devrait être laissée à l’appréciation des États et du marché libre, explique Christopher Tang, professeur à l’UCLA et directeur de la faculté du Center For Global Management.

Selon M. Zipperer, il s’agit néanmoins d’une politique populaire. Selon Ballotpedia, une question électorale demandant une augmentation du salaire minimum n’a pas échoué depuis 1996, lorsque les électeurs du Missouri ont voté contre une mesure augmentant le salaire minimum par paliers annuels.

Les experts avaient estimé que cette popularité pourrait jouer un rôle stratégique dans des États-clés comme la Pennsylvanie, la Géorgie et la Caroline du Nord, où le pourcentage de travailleurs rémunérés au niveau du salaire minimum fédéral ou en dessous dépasse la moyenne nationale. « Si vous ne défendez pas un salaire minimum, les travailleurs peuvent facilement penser que vous ne vous souciez pas d’eux », expliquait M. Tang. « Il y a une ligne fine entre répondre aux attentes des travailleurs et celles des petites entreprises. »

En l’absence de hausses fédérales, les employeurs eux-mêmes sont devenus des acteurs clés d’un changement à grande échelle. Portés par un marché du travail favorable aux employés en 2021 et 2022, ainsi que par une concurrence accrue pour attirer les talents, de nombreuses entreprises ont instauré des salaires minimums nationaux pour leurs employés. Des entreprises comme Bank of America, Costco et Home Depot ont ainsi relevé leur salaire minimum à 15 dollars ou plus depuis la pandémie. Bank of America a même annoncé son intention de porter ce seuil à 25 dollars de l’heure d’ici l’année prochaine.

Les initiatives des entreprises ont fait monter les salaires à un niveau tel qu’une hausse fédérale modérée, à 9 ou 12 dollars de l’heure, pourrait finalement avoir un impact limité, selon M. Tang. « Tout cela est avant tout politique », souligne-t-il. « Très peu de gens gagnent encore moins de 10 dollars de l’heure. Relever le salaire minimum est surtout une prise de position politique. »


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