Chantre de la fameuse « start-up nation » et maître d’œuvre d’une politique largement favorable aux entreprises, Emmanuel Macron a repris à son compte certains « process » de ces dernières, au premier rang desquels l’entretien individualisé pour ses ministres. Enième « mise en scène » ou véritable volonté de maintenir sous pression ses équipes pour les prochaines échéances ? Mathilde Aubinaud, communicante et coauteur du livre Concours d’entrée en écoles de communication, décrypte pour Forbes les enjeux de cette nouvelle séquence médiatique.
Depuis ce mardi Edouard Philippe reçoit à tour de rôle les ministres pour faire le bilan de leur action. Est-ce une « nouveauté » dans l’histoire de la Ve République ?
Nous sommes, dans le cas d’espèce, devant ‘la’ séquence médiatique par excellence. En outre, cela colle parfaitement avec le « management » qu’a voulu impulser Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Elysée il y a maintenant un an. Et pourtant, l’évaluation, au sens strict, des membres du gouvernement n’est absolument pas une nouveauté en soit. Car sous le mandat de Nicolas Sarkozy, son Premier ministre, François Fillon, procédait déjà de la même manière avec son équipe avec cette même idée, en filigrane, de mettre en avant l’efficacité et le résultat. Cette démarche s’inscrit donc dans la droite ligne de ce qui a été fait par certains des prédécesseurs d’Emmanuel Macron. Autre aspect à prendre également en considération, le fait que le président de la République a souvent été en première ligne, parfois, pour ne pas dire souvent, au détriment des ministres. Il veut ainsi instiller l’idée que ses équipes, aussi, sont en mouvement, « en marche » pour reprendre la dialectique macroniste, et ne doivent pas être perçues comme en retrait ou installées dans le paysage. Cela permet ainsi de garder le gouvernement « sous tension » en faisant, à l’approche des vacances d’été, une évaluation annuelle, comme pour les salariés.
Quelle est justement la plus-value, à vos yeux, de ce « modus operandi », largement emprunté aux entreprises privées comme vous le souligniez ?
On dresse le bilan de la première année au pouvoir qui est un passage obligé, notamment pour pléthore de ministres sans aucune expérience ministérielle précédente. Avec les nombreuses réformes entreprises et mises en œuvre depuis mai 2017, il est évident que le président et son gouvernement sont attendus au tournant de l’opinion publique. La principale vertu de cet exercice est donc de poursuivre l’élan. De faire un premier état des lieux, en somme. Par exemple, est-ce que la feuille de route des uns et des autres a été scrupuleusement respectée ? Cela correspond aussi au tempérament d’Emmanuel Macron qui ressemble, à certains égards, à celui d’un entrepreneur. A savoir, ‘on va y aller, on ne va pas se disperser’, et surtout avec la volonté, chevillée au corps, de poursuivre le rythme des réformes sur les quatre prochaines années du mandat. La hantise du président de la République est que ses équipes, ou lui-même, soient perçues comme se reposant sur leurs lauriers. Il veut conserver ce « cap » du mouvement permanent.
A l’inverse, ce processus ne risque-t-il pas de stigmatiser et de mettre en exergue les faiblesses de certains membres du gouvernement par rapport aux « bons élèves » ? Ces évaluations peuvent-elles déboucher sur un remaniement ministériel ?
C’est tout l’enjeu de l’exercice. Edouard Philippe a d’ores et déjà affirmé, avant les premiers entretiens individuels, ne pas vouloir être dans la sanction mais dans l’amélioration. Dès lors, on peut se demander quelle va être la véritable valeur de ces rencontres entre les ministres et leur ‘responsable’. S’il n’y a aucune sanction pour les « mauvais élèves », cet exercice fera davantage office, aux yeux de l’opinion, de posture médiatique. La question de l’agenda et du timing mérite également d’être posée. On a vu la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, en grande difficulté ce week-end après l’évasion spectaculaire du braqueur multirécidiviste Rédoine Faïd. Alors est-ce que ces évaluations relèvent de l’effet de style ou posent-elles les jalons d’une nouvelle séquence pour ‘célébrer’ certains ministres dont la qualité du travail est reconnue jusque dans les rangs de l’opposition, je pense notamment à Jean-Michel Blanquer à l’Education ? Aux antipodes, que va-t-il ressortir de l’entretien de Nicolas Hulot, dont la voix sur les sujets écologiques a du mal à porter dans le débat public ? La question reste entière, mais je doute que ces entretiens soient le préalable à un remaniement ministériel. Cela signifierait que la conversation entre le Premier ministre et ses ministres n’aurait pas beaucoup de valeur car une telle décision serait prise en amont par Emmanuel Macron, en concertation avec Edouard Philippe.
Selon vous, est-ce une bonne chose que les canons de l’entreprise soit repris jusqu’au plus haut sommet de l’Etat ? La gestion de l’Etat peut-elle vraiment être calquée sur le modèle de la société privée.
Emmanuel Macron a été élu pour mener à bien des réformes fortes, fondatrices et audacieuses. Avec ce processus, il accompagne également ses ministres dans cette dynamique qu’il a lui-même insufflée, comme je l’évoquais en préambule. L’enjeu pour Emmanuel Macron est de renforcer la cohésion gouvernementale entre des ministres qui ont des parcours et des aspirations très disparates. Et l’approche de l’été est le moment idoine pour cela afin d’aborder la rentrée « gonflé à bloc » pour porter cet esprit d’initiative jusque dans les réformes menées. Pour répondre plus précisément à votre question, les gens attendent de ce quinquennat que des mesures concrètes soient prises. Ils ne veulent plus des « effets de manche » et autres stratégies de communication. Il faut donc montrer que les ministres respectent leur feuille de route et ne perdent pas de vue les objectifs fixés par le chef de l’Etat. Comme au sein d’une entreprise, le président de la République se veut le chantre d’une vision verticale afin de garder le cap pour les prochaines années à venir. Cela correspond d’ailleurs parfaitement à sa vision de la politique, avec toutefois une petite tendance à « événementialiser » les différentes séquences du quinquennat.
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