Le 11 avril, la loi Pacte a été enfin adoptée définitivement, faisant suite à une longue période d’auditions, de consultations et de débats, notamment sur la question de la modification de l’objet social. Le Grand débat national, « permettant à toutes et à tous de débattre de questions essentielles pour les français », pose les bases d’un canal de communication direct entre français et nos dirigeants.
Du 23 ou 26 mai enfin, plus de 300 millions d’européens vont être appelés à choisir leurs députés européens pour les cinq prochaines années.
Une telle inflation de rendez-vous exceptionnels démontre combien les temps sont extraordinaires. Or, à quelques jours du scrutin européen, il y a lieu de rappeler l’urgence européenne, sur toile de fond d’un Brexit qui s’enlise aux dépens de tous, des britanniques eux-mêmes.
Certes, l’Europe a, à son actif de nombreuses réussites, Erasmus, la liberté d’aller et venir, l’Europe spatiale. Pourtant, le moment est venu de traiter le dossier Europe avec gravitas et responsabilité, compte tenu des fissures qui la fragilisent et la menacent dans ses ressorts profonds et ses fondations. Or, ce rendez-vous européen, pris en étau entre loi Pacte et Grand débat, ne doit être manqué ou s’enliser dans des considérations purement nationales.
Cette triple actualité invite à une mise en perspective de la gouvernance publique et notamment européenne, et de la gouvernance d’entreprise. Le dénominateur commun est évident, le pacte social et le pouvoir, son organisation, ses modalités d’exercice, afin qu’il ne soit pas dévoyé, qu’il serve et préserve l’intérêt général, l’intérêt des actionnaires, celui des parties prenantes.
Cette mise en perspective rappelle le lien intime, pour ne pas dire fondateur, qui unit gouvernance publique et gouvernance privée. Car, faut-il le rappeler, gouvernance privée et gouvernance publique se sont construites à travers l’histoire, selon un mouvement permanent de flux et reflux, du public vers le privé, du privé vers le public.
Cette promiscuité historique originelle rend du coup pleinement pertinentes les réflexions croisées, et constitue une invitation à se tourner vers l’une pour comprendre l’autre.
Ainsi, les règles de vote, clé de voûte du fonctionnement collectif et de la prise de décision, notamment avec les principes d’unanimité et de majorité, nous viennent des chapitres religieux. Elles ont par la suite transité par la philosophie politique, les institutions politiques, pour enfin se déployer dans la sphère privée, en présidant aux prises de décision dans les entreprises.
Le principe majoritaire est plus que jamais au cœur de la prise de décision, articulant les rapports souvent complexes entre majoritaires et minoritaires, en vertu duquel le plus grand nombre pourrait valablement imposer ses vues aux minoritaires. Pourtant, il n’est pas certain que ce principe ne vacille à son tour, tant dans nos démocraties que dans le fonctionnement des entreprises.
Et si la puissance numérique que représente la majorité ne suffisait-elle plus à asseoir le pouvoir, à lui donner sa pleine légitimité, ce que démontrent en filigrane la crise des gilets jaunes, mais aussi l’activisme, qu’il soit politique ou actionnarial ?
L’unanimité est-elle encore pertinente ? Si on entrevoit sa pleine légitimité au nom du respect supérieur des souverainetés nationales, n’entrave-t-elle profondément le fonctionnement d’une Union européenne élargie, paralysant ainsi les processus décisionnels là ou d’autres modèles opposent un temps de la décision extrêmement rapide ?
Pourtant, la célérité, et de fait, l’efficacité décisionnelle, constituent désormais un facteur de concurrence, notamment économique, à part entière.
De même, le contrat social, qui socle les fondations de nos démocraties occidentales, fait-il puissamment écho à l’affectio societatis, qui unit les associés de l’entreprise dans un projet commun. Or, la montée des populismes, la défiance des démocraties, les flux migratoires, la concurrence de modèles non démocratiques telle que celui de la Chine invitent à s’interroger sur ce qui scelle aujourd’hui le contrat social dans nos sociétés occidentales, et notamment en Europe.
Où en sont le contrat social français, le contrat social européen ? Y a-t-il seulement un alignement ? Construit afin de préserver une paix durable, le projet européen répond-il aux multiples défis et aux attentes complexes d’un monde global ? La génération actuelle d’européens, la troisième, n’a connu ni la guerre ni une Europe morcelée. Se reconnaît-elle dans cette Europe en apesanteur, bureaucratique, construite sur la paix alors que les foyers de crise non conventionnelle se démultiplient ? Où en est l’affectio societatis entre actionnaires, à l’heure du trading de haute fréquence et des prêts de titres ?
Cette genèse croisée fait que les séismes ou mutations qui touchent la gouvernance publique ne sauraient épargner la gouvernance privée. Nos démocraties, qu’elles soient publiques ou actionnariales, sont ainsi profondément affectées dans leur fonctionnement par l’émergence des réseaux sociaux. Ceux-ci se sont invités dans les gouvernances, court-circuitant les canaux traditionnels d’émergence de la volonté collective, en injectant un principe nouveau d’horizontalité. Le mouvement des gilets jaunes en démontre sa force de feu. Le dossier Solocal Group a pu illustrer la puissance nouvelle et jusqu’alors peu explorée par les actionnaires de la plateforme numérique.
En produisant de l’accélération, notamment d’information, ainsi qu’un mécanisme puissant et inédit de fédération, il a ainsi permis à des actionnaires isolés de construire une contestation par voie digitale. La question désormais essentielle du déploiement et de l’intégration maitrisée des réseaux sociaux comme nouvelle forme de démocratie participative constitue un défi redoutable, tant pour nos sociétés civiles que pour les entreprises.
Le défi d’horizontalité lancé à nos gouvernances est sans précédent.
Ces élections européennes vont-elles signer les contours d’un pacte européen renouvelé ? La loi Pacte va-t-elle tenir tant de promesses annoncées ? Le Grand débat national va-t-il réussir à poser les bases d’un contrat social revisité, et ainsi donner un souffle nouveau à notre démocratie ? L’Europe doit montrer le chemin, en insufflant des valeurs, du sens, de la vision, de l’envie, de l’efficacité aussi, ce que l’on attend d’une bonne gouvernance.
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