Le vrai courage, ce n’est pas toujours la fidélité à ses propres convictions, ce peut-être, lorsque les circonstances le commande, la capacité à penser contre ses propres convictions.
Pour être tout à fait concret, j’ai de l’amitié pour le mouvement En Marche. Plus exactement j’avais de l’amitié pour ce que le mouvement portait de beau : cette idée-force de construire avec l’ensemble des hommes et des femmes de bonne volonté, au-delà des partitions souvent stériles des positionnements traditionnels de la classe politique. Amitié nullement de circonstance, puisque cette idée-force, je l’avais dès 2016 conceptualisée et publiée sous le titre La Théorie du Lotissement (ed. PUG).
La Théorie du Lotissement
Très rapidement, parce que ce n’est pas le sujet (quoique, comme nous le verrons ci-dessous), ce que j’ai appelé La Théorie du lotissement.
Comme dans un lotissement, ma maison a d’autant plus de valeur que la maison du voisin a de la valeur. Plus la maison du voisin est belle, plus elle donne de valeur à ma propre maison. Chacune de nos maisons a donc tout intérêt à ce que les autres maisons — et cela vaut pour les entreprises, les organisations, les partis politiques, etc. — soient les plus performantes possible. Si maintenant, au contraire, nos relations sont de mauvais voisinage, qu’elles se résument à discréditer, disqualifier l’autre, voire à tout mettre en œuvre pour détruire la maison du voisin, c’est bien à la destruction de la performance d’ensemble du lotissement que l’on contribue, et donc à la destruction de la valeur de sa propre maison.
Puisque, comme je vous l’ai dit, cela vaut pour les partis politiques, l’on comprend tout de suite que lorsque les politiques passent le principal de leur temps à sertir la petite phrase qui fera mouche parce qu’elle moque les propositions et actions des uns ou des autres, c’est bien à la destruction de la valeur d’ensemble de la classe politique qu’ils participent, et donc à la destruction de la valeur de leur propre parti.
Ce qu’avait compris En Marche, au moins au départ, c’est qu’on ne crée pas de valeur, qu’on ne grandit pas sa propre maison en étêtant la valeur, le faîte et bonnes idées (car il y en a) des autres partis politiques.
Premières épines dans le pied
Mais revenons à notre sujet. Les choses pourtant se sont très vite mises à marcher de travers. Et si tout n’est pas perdu — loin de là —, il m’a semblé très vite, et c’est ce que je porte, que le mouvement aurait vraiment eu à gagner à être beaucoup plus inclusif.
D’une part — certains diront du côté de la gauche ; à voir, quand il n’existe pas de monopole des idées — dans le soin apporté à la réduction des inégalités sociales, au travail sur l’équité. Pour le dire autrement, et même si j’exagère le trait, si tu n’es pas jeune, blanc, homme, diplômé, en poste, avec le réseau qui va bien, en bonne santé ; ah j’oubliais, et habitant plutôt Paris ; la vie en France peut être très, très difficile. Gare si tu ne réponds pas ou plus à l’ensemble des critères. Gare si tu vieillis. Gare si tu te laisses distancer. Gare si tu vis hors des grandes métropoles. Gare, plus simplement, si tu commences à boiter. Gare à ce qu’il y avait de beau, En Marche, pour que cela ne devienne pas un jour… En Marche ou Crève.
D’autre part — certains diront du côté de la droite, à voir, quand il n’existe pas plus ici de monopole des idées — dans le soin apporté au sentiment de sécurité des personnes (respect de l’intégrité physique, respect des biens, ce qui veut dire aussi car cela participe à la sécurité, bénéficier d’un toit, d’un emploi, etc.). Hors cette condition que je dis première, toutes les politiques, quand bien même celles-ci pourraient être créditées de réformes structurantes actées et à venir pour la Nation, échoueront au quotidien de nos concitoyens.
Premiers cailloux dans la chaussure
Les choses malheureusement ne s’arrêtent pas là. Les premières sorties, phrases choc d’Emmanuel Macron — le Président parlerait de « sorties contrôlées », je veux bien mais le résultat est là… — ont refroidi beaucoup d’attentes. En vrac, dans le désordre : « Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. » « Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler. » « Il faut dans ce pays des jeunes qui ont envie de devenir milliardaires. » « Au lieu de foutre le bordel, ils feraient mieux d’aller regarder s’ils peuvent avoir des postes. » « Je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques. » « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux. » « Je traverse la rue et je vous trouve du travail. » Et bien sûr, et qui plus est alors qu’il est en déplacement à l’étranger : « Le Gaulois réfractaire au changement ! »
Si, pour cette dernière phrase, comme pour d’autres, le Président à bien voulu reconnaître « une erreur », le mal a été fait. Plus exactement, une ancienne et toujours même fracture — jamais résorbée, c’est vrai, des gouvernements précédents entre les Français et les Françaises et l’exécutif — s’est encore aggravée. Ce que renvoient ces phrases choc pour beaucoup de Français et de Françaises, c’est du mépris. Ce que montre en réalité le Président — comme on ne montre jamais autant ce qu’on veut cacher — c’est pour partie une non connaissance de la vraie vie, qui est celle de beaucoup de citoyens et de citoyennes. À commencer par le commencement, boucler ses fins de mois.
Premiers clous dans la chaussure
Premier clou dans la chaussure, la pression fiscale. Aux mesures qui n’appellent pas à beaucoup d’imagination, là aussi en vrac, dans le désordre : augmentation de taxes déjà existantes, relèvements de la fiscalité du tabac et des carburants, hausse de la CSG et diminution d’autant des pensions des retraités, baisse des APL, etc.
Deuxième clou, l’incompréhension du mouvement des « gilets jaunes ». Incompréhension très sévèrement pointée sur les réseaux sociaux suite aux interventions de l’exécutif : « Pour résumer [les discours portés par le gouvernement], si le 10 du mois, ton frigo et le réservoir de ta voiture sont vides, change tes fenêtres ! »
Bien sûr, et même si cela fait évidence, il est important de le rappeler, je joins ma voix à celles et ceux qui condamnent avec la plus grande fermeté les flambées de violence en marge des manifestations : les dizaines de blessés, les voitures brûlées, les bâtiments dégradés, les boutiques et commerces vandalisées.
Repartir du bon pied
Ceci posé, ce qui m’intéresse c’est ce qu’on peut faire. Nous sommes partis de la Théorie du Lotissement, et il me semble que l’on tient là quelque chose si l’on veut que la France reparte du bon pied pour ne pas dire se remette en marche.
Vraie pour les entreprises, pour les organisations, pour les partis politiques — nous l’avons vu — elle est vraie également dans nos relations les uns avec les autres. Relations qui s’incarnent dans ce que j’appelle une écologie humaine, clé de voûte du bien vivre ensemble, compréhension qu’il existe entre nos maisons à tous une parenté commune, un bien commun inaliénable, un vouloir-vivre vertueux ancré dans le lien à l’autre maison.
Une écologie humaine, c’est une écologie qui place les hommes et les femmes dans leur radicalité, c’est-à-dire dans ce qu’ils et elles sont, au centre de la Nation. Une écologie humaine, c’est une écologie qui place la responsabilité des politiques au cœur du dispositif, responsabilité si bien décrite par Robert Misrahi quand il nous dit que le politique est responsable de la mise en place des conditions de possibilité du bonheur de chacun. Conditions qui s’ordonnent sur le triptyque déjà mis à jour par Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe : du sens, de la reconnaissance, de l’espoir.
Chaque fois que le politique perd de vue cette évidence, premier de ses devoirs, donner du sens, de la reconnaissance, de l’espoir aux hommes et aux femmes dont il est le représentant, il est actif dans la destruction de ce que Guattari appelait d’un joli mot notre tapisserie commune.
Dans une vision et une visée inspirantes, le politique doit mettre en place les conditions de création de valeur pour la société, ce qui veut dire aussi pour le social, l’environnement et, dans le même temps, mettre en place les conditions de création de valeur pour les citoyens. Non pas en agissant sur le contenu intérieur du bonheur des hommes et des femmes, cela ne le regarde pas, mais, pour poursuivre avec Robert Misrahi, en agissant sur les conditions extérieures de possibilité du bonheur. Ce qui veut dire, santé, justice, emploi, logement et, parce que premiers, sécurité des biens et des personnes, dignité, équité et éducation.
Si, pour l’avoir perdu de vue, le gouvernement, comme trop de gouvernements avant lui, a manqué son premier rendez-vous avec les Françaises et avec les Français, il n’appartient qu’à lui de proposer aux Françaises et aux Français les conditions d’un nouveau rendez-vous.
Pour que celui-ci réussisse, le Chef de l’État et le Premier ministre devront faire preuve d’un vrai courage. Non pas suivre leurs propres convictions comme on le croit souvent, mais, au contraire, car c’est bien là le vrai courage, réussir à penser contre leurs propres convictions.
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