Ciblant les contribuables désireux de « transférer » leur domicile fiscal hors de France, « l’Exit Tax », mise en place sous Nicolas Sarkozy, vit ses derniers instants. Emmanuel Macron, dans un entretien accordé à nos confères de Forbes US, a, en effet, fait part de son intention de la supprimer afin que « les gens soient libres d’investir comme ils le souhaitent ».Considérant cette taxe comme « un frein à l’attractivité de la France », le chef de l’Etat décline également, tout au long de cette interview réalisée par Randall Lane, le chief of content officer de Forbes US, et Parmy Olson, une des rédactrices basées en Europe, sa « feuille de route » pour « l’entrepreneuriat français ».
Randall Lane : nous avons passé beaucoup de temps en France et notamment à Station F où nous avons pu discuter avec des entrepreneurs de la France entière. Je vous ai vu à Davos, et vous aviez parlé de l’idée de changer pour un système qui met davantage l’accent sur le capital, les baisses d’impôts et l’ouverture garantissant ou soutenant artificiellement la création d’emplois. Vous avez également évoqué le fait que la gauche et la droite sont traditionnellement réticentes à l’idée de changement. Alors que faites-vous pour mener à bien ce changement ?
Emmanuel Macron : La première chose que je veux accomplir durant mon mandat, et j’ai été très clair à ce sujet avec les Français avant les élections, c’est précisément une grande transformation. Comme je l’ai expliqué, nous sommes à l’aube d’une transformation due à la transition numérique, au bouleversement numérique, avec l’intelligence artificielle. Nous voulons jouer un rôle dynamique dans cette transformation mondiale, et c’est pour ça que, par exemple, nous avons organisé, il y a maintenant deux semaines, une grande conférence sur le thème de l’intelligence artificielle. La transition écologique génère également des changements en termes de consommation, d’investissement et de production. Ces deux transitions vont donc transformer notre manière de produire, de consommer, de nous organiser et de penser. En France, depuis trois ou quatre décennies, les gens tentent de résister à ce changement. Les partis politiques de gauche et de droite promettent aux électeurs de les prémunir contre ces changements.
Et je pense avoir réussi à convaincre le peuple français, et j’y travaille encore, afin de pouvoir enfin dire que ce changement est arrivé. Il nous reste maintenant à trouver le moyen d’adopter pleinement ce changement et d’en être fier. Alors comment pouvons-nous attirer un maximum d’investissements, créer un maximum d’emplois et devenir l’un des chefs de file de ce nouveau monde ? Les secteurs de l’agriculture, de l’industrie et des services sont déjà en plein bouleversement. Nous devons donc savoir où nous voulons investir, comment mener à bien les bonnes réformes et de quelle manière nous devons protéger la population.
Ce que je propose, c’est d’expliquer aux Français que le meilleur moyen de se protéger, ce n’est pas de se protéger du changement, car il aura bel et bien lieu. De nombreuses personnes affirment aux citoyens français : « Je vous protégerai des conséquences néfastes d’Uber ou d’Airbnb », mais ces entreprises sont présentent sur le territoire, et les consommateurs français les apprécient, même si elles mettent de nombreux emplois en danger.
Randall Lane : mais elles créent également des emplois…
Emmanuel Macron : Oui, elles créent également beaucoup d’emplois ! Mais ce n’est pas en résistant que l’on maintiendra les « vieux emplois ». Non, c’est en disant « je veux vous fournir une protection. Et cette protection individuelle réside dans la formation et la reconversion ». C’est, selon moi, un bouclier général. Donc, pour résumer, cela implique plus de flexibilité et une accélération de l’économie, une approche favorable aux entreprises, et une protection adaptée aux citoyens et à la population, en investissant massivement dans l’enseignement et la formation professionnelle. C’est ça la vraie protection. Si votre secteur est bouleversé par l’arrivée d’un nouvel acteur, la meilleure protection que je peux fournir, c’est la reconversion professionnelle, afin de vous réorienter vers un autre secteur et de vous inventer un nouvel avenir.
Randall Lane : Cependant, le problème, c’est que vous avez des décennies d’histoire bien ancrées, surtout avec les syndicats ouvriers. Nicolas Sarkozy et François Hollande, vos prédécesseurs, parlaient aussi de réformes, mais ils ont finalement été confrontés à la résistance des syndicats. Alors en quoi cela sera différent cette fois-ci ?
Emmanuel Macron : La première réforme que nous avons adoptée était la plus importante au sujet du marché du travail. L’idée principale de cette réforme est de supprimer de nombreuses régulations prévues par la loi au niveau national, afin de créer plus de flexibilité et ramener de nombreuses décisions au niveau du secteur ou de l’entreprise. Cette nouvelle décentralisation des décisions a entièrement modifié les relations et ont permis dès le départ, de présenter les principaux thèmes des discussions aux représentants syndicaux. C’est d’ailleurs le meilleur moyen de parvenir à un compromis et d’empêcher les syndicats d’entraver la réforme du marché du travail.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une nouvelle série d’oppositions à cause de la réforme de notre système ferroviaire, de nos services publics, etc. Mais nous y ferons face. Le seul moyen de procéder, à mon avis, c’est d’expliquer au peuple français que nous mènerons ces réformes à bout, sans aucun doute.
Nous ne voulons pas ouvrir la boîte de Pandore, nous garderons notre calme et nous expliquerons que si nous prenons le temps qu’il faut, ces réformes seront mises en place. Certains syndicats voudront peut-être organiser des grèves durant des semaines, voire des mois. Nous devons donc nous organiser. Mais je n’abandonnerai pas et je ne reverrai pas nos ambitions à la baisse car nous n’avons pas le choix.
Parmy Olson : Je me suis également entretenue avec de nombreuses start-up, notamment à Station F. Elles semblent ravies des reformes que vous souhaitez mettre en place et elles ont le sentiment que la France sera davantage tournée vers les entreprises à l’avenir. Cependant, il subsiste des inquiétudes quant à savoir si les actions de votre gouvernement seront réellement différentes de celles des gouvernements précédents, et plus particulièrement en matière de soutien aux start-up présentant des modèles innovants – vous avez mentionné un peu plus tôt Uber et l’autopartage – face aux acteurs des secteurs en place. À quel point pouvez-vous garantir aux start-up que vous les soutiendrez dans l’implantation de ces modèles innovants dans le paysage de l’entrepreneuriat français ?
Emmanuel Macron : je pense que la nouvelle génération de start-up est davantage compatible avec les acteurs déjà en place. Elles génèrent une réelle accélération de l’économie. Si vous regardez de plus près les start-up dédiées à l’environnement, à la santé, et d’autres, elles permettent d’accélérer l’entreprenariat classique, sans pour autant être en position de le bloquer. Je pense que dans certains secteurs, comme celui de la mobilité par exemple, si vous parlez d’Uber contre les taxis, d’Airbnb contre les hôtels traditionnels, il peut y avoir des conflits. Le meilleur moyen de les éviter, c’est de gérer directement ces conflits potentiels. Et pour moi, c’est un choix politique. C’est une décision politique. Je veux que mon pays soit ouvert au changement et à ces nouveaux modèles.
De mon point de vue, nous avons défini une stratégie précise pour le pays, et c’est beaucoup plus facile pour elles. Par exemple, si vous vous trouvez dans un pays dont la stratégie n’est pas claire en matière de changement climatique, cela pourrait poser problème à bon nombre de start-up. Parce que, par exemple, il y a de nombreuses centrales à charbon et beaucoup d’industries traditionnelles, l’innovation pourrait alors être ralentie.
J’ai décidé d’un plan très clair, j’ai pris l’engagement suivant : « make our planet great again ». Nous avons attiré un certain nombre de start-up étrangères. Les startups françaises sont également innovantes et peuvent poser quelques problèmes aux grandes entreprises telles qu’EDF. Mais ça ne me dérange pas. Et j’ai d’ailleurs conseillé à EDF d’investir dans ces start-up. Elles vont probablement la perturber, et le meilleur moyen d’éviter ça, c’est de s’associer avec elles. L’état d’esprit de nombreuses grandes entreprises françaises est en train d’évoluer.
Randall Lane : Aux États-Unis, nous avons bien remarqué que vous avez fait appel à des entrepreneurs de la green tech et que la France cherche des talents. Avez-vous réellement attiré de nouvelles entreprises ou était-ce juste un message que vous souhaitiez faire passer ?
Emmanuel Macron : non, nous avons attiré de nombreux entrepreneurs et chercheurs grâce à ce programme. D’ailleurs, j’ai accueilli les premiers lauréats de ce programme en décembre à Station F. Nous avons des gens qui viennent des États-Unis, d’Inde, d’Australie… C’est très positif, mais nous avons surtout réalisé que nous avons fait de nombreuses erreurs par le passé, car un tiers de ces personnes sont françaises. Mais elles avaient pris la décision de partir il y a dix, vingt ou trente ans car elles estimaient qu’il était impossible de réussir ici. Donc j’étais très fier qu’elles aient décidé de revenir. Un tiers de ces entrepreneurs et chercheurs sont français mais ils travaillaient pour des start-up américaines, indiennes ou autres. Un autre tiers vient des États-Unis, et le tiers restant du reste du monde. Nous avons reçu des milliers de réponses, nous en avons sélectionné quelques centaines et nous avons plus particulièrement investi dans les vingt plus intéressantes. Je voudrais mettre en place un programme rapide dans le cadre de l’initiative « make our planet great again » afin de montrer que si l’on investi, si l’on crée les meilleures conditions possibles, on peut alors mener une révolution et créer des emplois.
Je pense que la preuve la plus flagrante de l’efficacité de ce programme, c’est la création d’emplois. C’est le principal moteur de notre population et des classes moyennes. Le défi que nous devons relever est de leur prouver que ces nouveaux modèles d’entreprises créent des emplois. Parce qu’elles voient les emplois existants et ce qui disparaissent et qui sont souvent liés aux secteurs traditionnels, mais elles ne voient pas encore venir les nouveaux emplois. Alors quand vous acceptez l’ouverture, le réel défi, c’est l’accélération. Vous devez montrer que vous pouvez fournir des résultats. Voilà pourquoi je souhaite accélérer et investir de manière continue.
Randall Lane : Ressentez-vous une certaine pression ? Y-a-t-il une urgence ? Vous avez un certain temps pour réaliser ce changement, mais si les résultats tardent à venir, nous voyons ce qui se passe avec les élections dans le monde entier lorsque les populations ne constatent pas de résultats sur une période fixée…
Emmanuel Macron : Vous avez raison. Historiquement, surtout en Europe, la plupart des dirigeants politiques ont lancé de grandes réformes à la fin de leur mandat. J’ai fait l’exact opposé. J’ai mis en place de nombreuses réformes dès le départ. J’ai été élu il y a maintenant onze mois et j’ai lancé une série de réformes, qui ont été jugées impossibles en France. Ma devise est très simple : « Après l’heure, c’est plus l’heure ». Et ce que nous devons faire aujourd’hui ne peut pas être reporté à demain.
L’économie repose sur la confiance et l’assurance. Donc plus vous êtes clair sur vos intentions, plus vous serez efficace. Et une fois que vous avez créé cette relation de confiance avec les entreprises, elles investissent, elles recrutent et elles envoient un message clair aux classes moyennes. Voilà comment nous pouvons créer un cercle vertueux, comment faire accepter le changement aux classes moyennes, en leur montrant que des emplois sont créés, que les émissions de gaz à effet de serre diminuent, que vous proposez un écosystème davantage moderne et adapté. Elles adhèrent à ça. C’est ce qu’elles veulent. Aujourd’hui, le principal problème, c’est que nous n’allons pas assez vite.
Pramy Olson : Je me demande si nous pouvons creuser l’un des aspects de ce cercle vertueux auquel vous faites référence et qui génère la dynamique de la réforme. J’ai déjà entendu plusieurs fois des entrepreneurs dire que, même après vos réformes, l’imposition reste un fardeau pour eux. Ils parlent des cotisations salariales et aussi des fiches de paie et de leurs nombreuses lignes difficiles à déchiffrer. Pouvez-vous nous donner un aperçu de la manière dont vous comptez alléger ce fardeau et le simplifier ?
Emmanuel Macron : oui, bien sûr. Tout d’abord, nous abaisserons l’impôt sur les sociétés à 25 %, contre 32 % aujourd’hui, ce qui représente une baisse de sept points. Ensuite, les cotisations salariales, nous les supprimons, en plus de réduire de nombreuses autres taxes dont les entrepreneurs doivent s’acquitter. Puis, nous simplifions tout. Les employeurs pouvaient bénéficier de crédits d’impôts une fois part an après la rémunération des employés. Ce que vous avez décrit est entièrement vrai. Certains documents administratifs présentent des dizaines de lignes, qui sont parfois difficiles à comprendre pour les entrepreneurs et leurs employés. Nous allons simplifier ça.
Pour ce faire, une grande réforme a déjà été votée, mais elle ne sera mise en place qu’en janvier 2019. Les fiches de paie seront simplifiées et plus claires, car les crédits d’impôts seront remplacés par des réductions immédiates. C’est donc un travail administratif colossal qui a pour but de rationnaliser de nombreuses choses.
Ce fardeau décrit par les entrepreneurs existe bel et bien. Nous passons actuellement une loi sur le droit à l’erreur. Cela représente un gros changement pour les entrepreneurs et c’était une de leurs demandes. Historiquement, l’administration française sanctionne les contribuables en cas d’irrégularité ou d’erreur. Nous souhaitons désormais que notre administration soit capable d’accompagner les Français et les entrepreneurs et de les aider à corriger les erreurs commises. Donc c’est un gros changement. Cette loi sera mise en place à la fin de l’année.
Randall Lane : En matière d’attractivité pour les entreprises et les capitaux étrangers, avez-vous des projets concernant l’exit tax ? Cette dernière inquiète les entreprises étrangères voulant s’implanter en France.
Emmanuel Macron : en ce qui concerne les entreprises étrangères, je veux supprimer l’exit tax. Elle envoie un message négatif aux entrepreneurs en France, plus qu’aux investisseurs. Pourquoi ? Parce que cela veut dire qu’au delà d’un certain seuil, vous êtes pénalisé si vous quittez le pays. Alors, hormis ceux présentant des initiatives écologiques, les investisseurs ne sont pas concernés. Mais c’est une grosse erreur pour nos propres start-up, car bon nombre d’entre elles ont décidé de démarrer leur activité à l’étranger pour justement éviter cette taxe. Donc nous la supprimerons l’an prochain.
Randall Lane : la réduire ou la supprimer purement et simplement ?
Emmanuel Macron : La supprimer. Je ne veux pas d’exit tax. Ce n’est pas logique. Les gens sont libres d’investir où bon leur semble. Si vous pouvez attirer des investisseurs, tant mieux, mais si ce n’est pas le cas, ils devrez être libres de lever le camp. Et je pense que si vous voulez vous marier, vous ne devriez pas dire à votre partenaire « si on se marie, tu ne seras pas libre de divorcer ». Donc je suis pour la liberté de mariage et de divorce.
Et ce n’est pas forcément une bonne chose pour les finances publiques françaises non plus. Donc ce que je veux dire aux investisseurs étrangers, c’est que nous diminuons les impôts sur les sociétés, nous simplifions tout, nous apportons davantage de flexibilité sur le marché du travail et nous accélérons la transformation de l’économie française. De nombreuses réformes passées par le gouvernement depuis le début de mon mandat visent à réduire le coût de l’échec. C’est absolument essentiel selon moi. L’un des plus gros problèmes du pays, c’est que le coût de l’échec est très important et il tue l’investissement. Alors qu’aujourd’hui, cela ne coûte presque rien d’échouer, ce qui est le meilleur moyen d’encourager les entrepreneurs à se lancer et à réussir.
Randall Lane : je suis curieux de savoir comment votre expérience dans le secteur privé influence votre vision du monde. Parce que les entrepreneurs vous comprennent. Cela vient-il de votre expérience dans le secteur privé et du temps que vous avez passé chez Rothschild ?
Emmanuel Macron : Je pense que mon expérience dans le secteur privé m’a amené deux choses. La première, c’est que je comprends assez bien les entrepreneurs et les preneurs de risques. Et c’est important selon moi. Je comprends parfaitement quels sont leurs intérêts, ce qui veut dire que je ne les vois pas seulement à travers le prisme de leurs représentants. L’une des difficultés de notre système politique, c’est que parfois, les représentants des entrepreneurs n’ont pas tout à fait les mêmes intérêts que les entrepreneurs eux-mêmes. Ils sont en négociation permanente avec l’administration et les décideurs politiques.
Avoir des contacts directs dans le secteur privé, de l’expérience dans ce secteur et être capable de comprendre les principaux moteurs d’investissement, c’est le meilleur moyen de comprendre et de prendre la bonne décision.
La seconde chose que j’ai retenue, c’est qu’il est très utile de bien comprendre le président américain. Et quand je pense à notre relation, le fait que nous ayons tous les deux une expérience dans le secteur privé est très important. Votre président est un négociateur. Et pour ne nombreux hommes politiques conventionnels, il fait des choix qui défient toute logique. Lorsque vous le considérez comme un négociateur, ce qu’il a toujours été, c’est très cohérent. C’est ce que j’aime chez lui et c’est pour ça que j’aime travailler avec lui, et c’est la que mon expérience passée m’aide considérablement.
Nous avons différents points de vue sur la mondialisation actuelle. Je suis intimement convaincu que le multilatéralisme est toujours d’actualité. Nous devons le réinventer. Il existe de nombreux problèmes bilatéraux, qui nécessitent parfois une coordination, il faut donc un cadre multilatéral. C’est à ce moment là que la politique entre en jeu.
*Cette interview a été réalisée par vidéoconférence le 13 avril dernier, avant la visite d’État d’Emmanuel Macron aux États-Unis.
Traduit par Anna Chapelle
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