Au lendemain de la nomination de l’ancien éditorialiste Bruno Roger-Petit en tant que porte-parole d’Emmanuel Macron et également « en charge » du compte Twitter de la présidence, Anthony Babkine, directeur du département médias sociaux de TBWA Corporate décrypte, pour Forbes France, le virage à « 180 degrés » du chef de l’Etat dans sa communication numérique.
La nomination de l’ancien journaliste Bruno Roger-Petit en tant que porte-parole du gouvernement et responsable du compte Twitter de la présidence marque-t-elle un tournant dans la communication numérique du président Macron et peut-elle ainsi lui donner l’occasion de clore la séquence du « président jupitérien » ?
Je suis assez circonspect lorsque l’on martèle que le président de la République s’adresse peu aux Français dans la mesure où il officie quasi quotidiennement sur les médias sociaux au sein desquels on peut presque parler de « surcommunication » de sa part. Tout est filmé, chaque prise de parole est relayée. En ce point, Emmanuel Macron surfe sur le « phénomène Trump », à savoir la « maladie du tweet » et un positionnement « proactif » sur les réseaux sociaux. Il est d’ores et déjà extrêmement proche du nombre de followers de François Hollande (1 935 million contre 2 075 millions pour l’ancien président). Cette « montée en puissance » s’explique par ce qui est désormais le tweet le plus relayé de France, en l’occurrence le fameux discours se concluant par « Make Our Planet Great Again », dans une allusion à peine voilée à Donald Trump après la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat. Mais là où le bât blesse, en dépit de ce côté proactif dépeint en préambule, c’est qu’Emmanuel Macron utilise les médias sociaux comme un média traditionnel, faisant ainsi fi de la notion d’interaction avec le public, qui est l’essence même du média social. Il alimente son compte de manière extrêmement régulière mais la dynamique de conversation est inexistante. Chose qu’il a néanmoins pu faire, avec une certaine réussite, pendant la campagne. Dans ce virage de communication, il va être intéressant d’observer la manière dont il va faire évoluer son compte Twitter qui est son premier média.
Pensez-vous qu’il aura justement davantage recours à des médias de la conversation comme Periscope ou Facebook Live ?
Cela aurait le mérite de le mettre face au peuple et, ainsi, prendre le pouls de l’opinion, et répondre en direct à ses objections, ses questions, ses doléances. La manière dont il va procéder pour remettre une logique conversationnelle sera intéressante à suivre, car actuellement il est malheureusement, avec son usage actuel de Twitter, tombé dans le travers de « Télé Macron » qui compense la rareté de sa prise de parole vis-à-vis des médias traditionnels. Il sera également intéressant d’observer comment Emmanuel Macron va utiliser « l’advocacy » (créer de la confiance via des prises d’initiatives de tiers, en l’occurrence des ministres) pour se retirer un peu des réseaux sociaux et donner ainsi la possibilité à ses ministres d’occuper le terrain. Exemple, comment Mounir Mahjoubi (secrétaire d’Etat au numérique, ndlr) va-t-il incarner davantage les problématiques relatives à la transition numérique qui relève directement de son champ de compétences, alors que c’est souvent Emmanuel Macron qui occupe encore le devant de la scène sur ces questions ? Les ministres semblent néanmoins très connectés mais je doute qu’ils soient réellement accompagnés sur ces questions et qu’ils incarnent encore davantage la fonction.
L’émergence d’un média propre à son mouvement « La République en Marche » ne risque-t-elle pas, à la lueur de vos explications, d’amplifier ce sentiment de « Télé Macron » ?
Dans l’enveloppe de communication attribuée aux partis politiques, le volet « création de contenus » est désormais prioritaire. Il n’est donc pas étonnant que son mouvement entre dans cette logique. La nomination de Bruno Roger-Petit montre parfaitement que l’exécutif a une certaine proximité avec ces créateurs de contenus. Cela signifie également que, dès demain, nous allons avoir une cellule de communication qui va encore se renforcer sur ces dynamiques de création de contenus. Mais le risque de disposer de son propre média, comme vous le soulignez dans votre question, est de tomber dans l’autopromotion et l’autopropagande permanente. Un processus qui met également de côté la problématique conversationnelle abordée dans votre première question. D’ailleurs aujourd’hui, lorsqu’Emmanuel Macron utilise Periscope ou Facebook Live, ces deux applications sont fermées aux commentaires. Il les utilise comme un média télé. Et c’est là tout le travers : se servir de ces nouveaux médias comme d’un ancien média. Faire de la télé sur Twitter ou des tribunes descendantes sur Facebook.
A l’inverse, il peut également faire le choix de réseaux plus « innovants », comme Snapchat ou Instagram davantage en adéquation avec son électorat.
Tout à fait. Il a, en effet, la possibilité de repartir sur ces réseaux dits « jeunes » avec lesquels, notamment Snapchat, il a avait eu un certain succès durant la présidentielle. Réfléchir aussi à cette question en utilisant des médias « jeunes » comme Brut ou encore Kombini avec lequel, là-aussi, il avait échangé pendant la campagne. La force d’Emmanuel Macron est sa maîtrise des réseaux sociaux. Il est, de plus, bien entouré notamment avec Mounir Mahjoubi qui a été le principal artisan de sa communication numérique et qui en maîtrise tous les rouages. Il a pris rapidement conscience de la puissance de feu des réseaux sociaux pour les mettre au service de son élection. A la différence de François Hollande, Emmanuel Macron ne craint pas les réseaux sociaux. S’il en connaît la puissance, il a également conscience de leur pouvoir dévastateur donc il sera très précautionneux à ce sujet. Le zéro risque sur les réseaux sociaux n’existe pas. Et le Président de la République en a bien conscience. Il va devoir faire preuve d’audace sur ces médias. Oser, se lancer, tester et, de facto, parfois, faire face à la critique.
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