Alors que s’ouvre ce jeudi 12 octobre la 3e édition de l’événement Inno Génération de Bpifrance, réunissant plus de 30 000 entrepreneurs français, le sujet du droit à l’erreur entrepreneurial reste toujours trop peu considéré par le pouvoir politique.
Jusqu’à présent, celui-ci n’a que trop faiblement légiféré en la matière, dans un pays ayant pour ambition de devenir une « start-up Nation » avec l’innovation et la prise de risque portés au rang de véritables moteurs de son économie. Or, la recherche, l’innovation ou encore la prise de risque peuvent inclure des tentatives échouées sur le chemin du succès. A l’instar d’autres pays comme les Etats-Unis, considérant ces échecs comme faisant partie de la courbe d’expérience, comment changer le regard sur les défaillances d’entreprise, afin de permettre le rebond du dirigeant ?
Les faillites en France touchent en premier lieu les jeunes entreprises
En 2016, la France a connu 57 844 défaillances, soit 8,3 % de moins qu’un an plus tôt. Pour autant, si ces chiffres sont le reflet d’une meilleure conjoncture, la prévention de la difficulté continue à faire défaut. Près de 70 % des jugements sont des liquidations directes, soit près de 40 000, un taux invariable, qui peut s’expliquer en partie par la nature des entreprises défaillantes (des micro-entreprises pour les ¾, disposant généralement d’une vision courte de leur activité et n’ayant, pour beaucoup, que rarement recours aux dispositifs préventifs mis en place par les tribunaux de commerce.)
Sur les 40 000 liquidations judiciaires directes, 85 % concernent des entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1,5 million d’euros. Enfin, 50 % des défaillances d’entreprises concernent les sociétés âgées de moins de 5 ans. Ainsi, chaque année, près de 20 000 créateurs de jeunes entreprises connaissent une liquidation judiciaire et risquent ainsi d’être inscrits au fichier FIBEN de la Banque de France, malgré l’avancée législative en la matière de septembre 2013 sous l’initiative de la ministre Fleur Pellerin (abrogation de la notation du dirigeant 040).
Le dirigeant ayant connu au moins deux liquidations judiciaires (cas fréquent lors de schéma de structure juridique comportant plusieurs entités juridiques) reste noté à titre personnel « 050 » ou « 060 ». Ces notations prévoient une inscription dans le fichier FIBEN de la Banque de France, rendant impossible l’obtention de nouveaux financements voire même d’établir de nouvelles relations bancaires. De facto, aucun droit à l’erreur économique, ni même droit à l’oubli, n’est permis et le primo dirigeant peut se retrouver bloqué dans son souhait d’entreprendre dès sa première idée. Et pourtant, les success stories de grands dirigeants dans le monde intègrent des épisodes d’échecs constructifs.
Ces constats sont fortement liés à la culture de l’échec de notre société, qui assimile la défaillance d’une entreprise à l’échec personnel de son dirigeant sans trier le bon grain de l’ivraie.
Un travail profond en matière économique, sociale et législative doit permettre de différencier les entrepreneurs qui seront capables de redémarrer un projet et qui bénéficieront d’un droit à l’erreur. En apportant un regard particulièrement vigilant au caractère psychologique de l’échec, plusieurs pistes d’amélioration s’ouvrent alors :
1 – Supprimer les notations 050 et 060 des dirigeants
Ce système de notation tend à mette au banc des bannis de la société notre entrepreneur de manière systématique dans les cas précités. Il est marqué au fer rouge ! Pas de droit à l’erreur…
La cotation 050 est d’autant plus détestable qu’elle vise à la fois les dirigeants de deux entreprises en liquidation judiciaire, tout comme l’entrepreneur individuel ayant obtenu un plan de redressement judiciaire ou un plan de sauvegarde.
Ceci peut sembler paradoxal car il est bien évident qu’à l’heure où nous savons que près de 90 % des plans de redressement obtenus ne franchissent pas le cap des trois ans de viduité, on ne peut que s’étonner que la cotation bancaire établie par la Banque de France demeure à 050.
En effet, force est de constater que l’effort du dirigeant pour faire face aux difficultés économiques, afin de conserver l’emploi et préserver l’actif, n’est pas nécessairement le même entre une liquidation judiciaire et un plan de redressement. Or, ces cotations sont strictement identiques. Ce système totalement déséquilibré de cotation du dirigeant est contraire au principe du droit à l’erreur, qui permettrait à certains dirigeants de rebondir et de re-créer de l’emploi. Il conviendrait donc de supprimer les cotations 050 et 060 dans le cadre d’un projet de loi.
2 – Supprimer la terminologie juridique du débiteur
En France, un dirigeant qui traite ses difficultés devient par la loi « le débiteur » de ses créanciers.
Cette terminologie malheureuse contribue à la fois à la destruction de l’estime de soi, brisant peu à peu le dirigeant, mais confère à la situation une dramaturgie disproportionnée. Pour autant, de nombreux de chefs d’entreprise connaissant des difficultés ont encore en eux la dynamique pour utiliser l’échec du moment et le transformer en opportunité et s’en servir dans leur courbe d’apprentissage.
Il convient donc de supprimer la terminologie « débiteur » et la remplacer par le dirigeant ou le mandataire social, qui sont les termes employés dans le cadre des entreprises in bonis.
3 – Communiquer sur les vertus de l’échec
Aux Etats-Unis, de nombreuses « fail conf » sont organisées dans les plus grandes universités pour faire comprendre aux jeunes entrepreneurs que l’échec n’est pas un coup d’arrêt, mais qu’il peut être utilisé dans leur courbe d’apprentissage.
En France, les quelques associations existantes et dont l’objet est le rebond consacrent l’essentiel de leurs moyens à soutenir psychologiquement des dirigeants sans emploi et sans projet. Il conviendrait de créer les Etats Généraux du rebond, consacrant définitivement le droit à l’erreur et permettant d’afficher une réelle volonté gouvernementale d’inverser la perception de l’échec.
A l’heure où la France cherche à mobiliser tous les moyens disponibles pour rendre ses entreprises plus performantes, afin de nourrir sa croissance économique et de lutter durablement contre le chômage, il est essentiel de permettre à tout dirigeant d’entreprise de porter de nouveaux projets, même en cas d’échec lors d’une première tentative. Il s’agit là d’une mesure simple et non-coûteuse, susceptible de dynamiser encore davantage le tissu des PME tricolores.
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