Iconoclaste, Cyril Benoit l’est assurément. En témoigne son parcours : philosophe de formation, ayant traversé les allées du pouvoir dans les années 90, il a fondé sa propre banque d’investissement, présente notamment en Chine et en Afrique. L’homme est aussi un citoyen très engagé, à l’heure où la France reste crispée face aux réformes. Interview.
Vous avez créé B&A investment bankers en 2011. Sur quel modèle ?
Cyril Benoit : La banque d’investissement est, d’abord et avant tout, une affaire d’entrepreneurs. Historiquement, les frères Lazard sont devenus banquiers dans l’effervescence entrepreneuriale de la ruée vers l’or, du négoce et du rail. Notre maison de conseil s’inspire de cette tradition, et notre vision consiste à relier les territoires de maturité économique à ceux de croissance. La croissance se trouve dans les territoires émergents et la productivité dans les territoires de maturité.
Rapprocher des entreprises françaises et chinoises, spécialité où nous sommes leaders, c’est faire profiter les premières de la croissance et de la profondeur des marchés en développement, et les secondes de compétences, de savoir-faire, qui leur restent à développer. Quand nous avons monté le rachat du leader européen de la mode pour enfants, Kidiliz, par le géant chinois Semir, l’acquéreur a non seulement repris un portefeuille de 15 marques, qui lui aurait pris dix ans à construire, mais aussi découvert qu’un groupe occidental était capable de sourcer à un meilleur prix que lui !
Quant à Kidiliz, ses marques et ses salariés, ils bénéficient d’un marché en croissance de plus de 20% par an, alors que le secteur textile est décimé en Europe. Cette réciprocité, c’est ce que nous cherchons à construire dans nos transactions. Au fond, nous faisons du développement davantage que de la finance.
Quelles sont les opérations les plus emblématiques que vous ayez menées?
C.B. : Nous sommes évidemment fiers de la première. En 2012 nous avons vendu Diva, un négociant bordelais, au groupe d’État chinois agroalimentaire Bright Food, qui venait d’échouer à racheter Yoplait. Ce qui comptait, c’était d’avoir ouvert la voie d’un premier deal franco-chinois sophistiqué pour valoriser une pépite française.
Dirigée par Emmanuel Gros, qui vit à Shanghai depuis 18 ans, notre activité en Chine est aujourd’hui aussi diverse que de conseiller la PME française Mont Blanc Materne ou le géant américain Mars pour leur développement en Chine, Engie ou Saint-Gobain pour la vente d’activités industrielles, La Française des Jeux pour sa Joint-Venture avec la loterie chinoise, ou d’avoir arrangé le financement du restaurant iconique du regretté Joël Robuchon à Shanghai.
Nous sommes aussi très impliqués aux côtés de la Semmaris, gestionnaire du marché de gros de Rungis, pour tout son développement international. En Afrique, notre première mission a consisté à conseiller le gouvernement ivoirien pour la création de sa Caisse des dépôts et consignations.
Justement, vous venez de lancer votre activité en Afrique. Quelles sont vos attentes ?
C.B. : L’Afrique, c’est maintenant ! Les besoins d’investissements y sont considérables : plus de 100 milliards d’euros par an rien que pour les infrastructures, sans parler de l’éducation, la santé, l’agroalimentaire…, en rapport avec l’explosion démographique du continent qui aura la première population active au monde en 2045, et déjà la plus jeune. Des géants économiques naissent. Mais il manque de ponts et de passeurs. A cet égard, je crois particulièrement à la nouvelle génération d’entrepreneurs africains en train d’éclore.
Nourrie à l’universalisme d’une mondialisation juste, durable et équitable, se tenant à distance des vieilles pratiques politiques, cette nouvelle génération prend petit à petit les commandes de l’économie africaine, pour y installer les standards des économies de maturité… sans en reproduire les erreurs. Il nous fallait en trouver un représentant emblématique. C’est le sens du recrutement de Khaled Igué comme associé. Franco-béninois de 36 ans, il a passé plus de dix ans dans l’industrie énergétique et minière sur le continent. Il a aussi fondé le think tank « Afrique 2030, et a été désigné Global Young Leader du Forum économique de Davos en 2018. Ce sont de tels profils qui redéfinissent la relation entre nos deux continents.
Vous avez un parcours atypique pour un entrepreneur !
C.B. : La vie, c’est la conquête de l’autonomie : nouer des liens, relier le maximum de points, mais n’appartenir qu’à son destin. Mes collaborations avec des patrons brillants et exigeants m’ont enrichi, puis affranchi. Effectivement, je suis normalien et j’ai fait des études de philosophie. J’ai débuté mon parcours professionnel dans la vie publique aux côtés de Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée nationale, puis je l’ai suivi lorsqu’il est devenu Ministre de l’économie. Entre les deux, j’ai passé un moment à Washington, auprès de l’emblématique Congressman démocrate Tom Lantos.
De Laurent Fabius, j’ai été la plume, un conseiller politique, un agitateur d’idées et un animateur de réseaux. Ma proximité, parfois critique, avec cet homme d’État a été essentielle dans ma construction personnelle. J’aurais pu poursuivre dans cette voie, mais j’ai eu le sentiment qu’il fallait que j’apprenne un vrai métier, ancré dans le réel. C’est ce qui m’a conduit à évoluer progressivement en rejoignant le service international du Trésor, puis l’Agence des participations de l’État. Je connais les arcanes de l’État de l’intérieur, ce qui m’a permis d’aiguiser un certain esprit critique… J’ai ensuite travaillé aux côtés d’un homme d’affaires hors norme, Léon Bressler, qui dirigeait le groupe Unibail. Il m’a formé à l’investissement et aux fusions-acquisitions, me faisant travailler avec les meilleurs banquiers et avocats d’affaires du monde. Je l’ai suivi chez Perella Weinberg Partners à Londres, en pleine crise financière de 2008 – quelle leçon ! L’hyper-financiarisation, je sais exactement ce dont il s’agit.
Puis en 2012, j’ai décidé de créer ma propre entreprise. Au total, j’ai travaillé sur des projets dans une quinzaine de pays. Les humanités, la philosophie en particulier, ont été la meilleure préparation possible à ce parcours professionnel original et pluriel.
Banquier et philosophe, cela rappelle le parcours d’Emmanuel Macron…
C.B. : Dois-je le prendre comme un compliment … ? On n’est pas philosophe parce qu’on a fait des études de philosophie. Philosopher, c’est l’œuvre d’une vie. Mais la matière est certes prometteuse pour les plus hautes fonctions publiques : elle devrait donner du recul, et non de la distance, porter la tempérance, plutôt que l’arrogance, et éclairer des chemins à travers la complexité du réel.
Quant au passage d’Emmanuel Macron chez Rothschild, il me semble plus obéir au cursus honorum des élites administratives et économiques françaises qu’à un engagement entrepreneurial. En tant que citoyen, je constate d’ailleurs que la politique suivie par le gouvernement est malheureusement empreinte de la culture de l’aristocratie d’État à la fois hors sol, loin du réel, et hors monde, dont elle n’a qu’une vision très théorique et, finalement, approximative.
Vous avez été très impliqué dans la vie politique, en fondant le club « Vouloir la République » au milieu des années 90 qui rassemblait hors des partis politiques. Que vous inspire la situation française ?
C.B. : L’obsession de la réforme, ce mot utilisé à tout bout de champ, m’a toujours inquiété. Au service de quelle vision de l’humanité fait-on une réforme ? Voyez la réforme des retraites qui se finit en une discussion paramétrique absconse. Quand je prendrai ma retraite, la plupart des emplois actuels seront assurés par des intelligences artificielles. Je lisais une étude d’IBM indiquant que 120 millions de travailleurs du monde vont être remplacés par des robots d’ici trois ans.
Ces robots, leurs employeurs, vont-ils payer des cotisations sociales ? J’aurais préféré qu’on intègre les implications de cette révolution à une réflexion plus profonde sur l’articulation entre la vie et le travail, la dureté du réel et la vulnérabilité des êtres, le revenu universel… Et quid de l’environnement ? Il n’y a aucun sens à travailler plus au sein d’un système productif qui détruit la Terre ! Le projet libéral, humaniste, entendait fonder la démocratie dans l’équilibre entre la liberté des personnes, la liberté d’entreprendre et celle d’échanger. Il a été dévoyé.
Les peuples ont le sentiment de ne plus maîtriser leurs vies, et de toujours subir des contraintes dictées par un ailleurs, celui de la finance et de la technocratie particulièrement. C’est, je crois, le sens profond des mouvements sociaux que nous connaissons aujourd’hui, en France et partout dans le monde. Au-delà des confusions et des violences, de part et d’autre, qui choquent, il y a un légitime questionnement sur ce que nous devenons en tant qu’humanité. Il devient impossible, pour quiconque, de rester désengagé. L’animal politique en chacun de nous doit se réveiller.
<<< A lire également : Vitaly Malkine, Banquier Philosophe >>>
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits