Rechercher

Crise de l’immobilier aux États-Unis : un enjeu électoral majeur

Maison-Blanche
La Maison-Blanche, à Washington D.C., aux États-Unis. | Source : Getty Images

Acheter une maison aux États-Unis est désormais plus difficile que jamais, et une baisse significative des taux d’intérêt hypothécaires semble se profiler à l’horizon. Les initiatives prises par Joe Biden dans le secteur de l’immobilier pourraient jouer un rôle déterminant dans sa perspective de réélection.

Un article de Bob Ivry pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

David Kent, agent immobilier et propriétaire à Charleston, en Caroline du Sud, aimerait déménager dans une maison plus petite maintenant que ses enfants sont partis. Cependant, il est prisonnier de ce qu’il appelle « les menottes dorées » : un taux d’intérêt de 2,35 % sur son prêt hypothécaire de 15 ans, qui grimperait aux alentours de 7 % s’il achetait ailleurs.

Propriétaire de The Real Buyers Agent et fort de 29 ans d’expérience dans l’immobilier, il affirme : « Nous n’avons jamais vu une telle disparité. Le cycle naturel de l’immobilier a été perturbé ».

 

Baisse de l’activité immobilière

Les économistes, les décideurs, les hommes politiques et les observateurs du marché, perplexes face au sentiment négatif du public envers ce qu’ils perçoivent comme une reprise économique post-pandémique, n’ont qu’à jeter un œil du côté du marché immobilier résidentiel. Les données peignent un tableau alarmant : les prix des maisons atteignent des sommets historiques et l’offre sur le marché est au plus bas. Bien que les taux hypothécaires à 30 ans aient déjà chuté à 6,88 % selon Freddie Mac, un niveau jamais vu depuis 23 ans (7,79 % en octobre), les ventes stagnent, voire diminuent, et même en cas de nouvelle baisse des taux, le marché ne serait pas nécessairement dynamisé à temps pour les élections américaines de novembre. En effet, des millions de propriétaires attendent le retour de l’époque glorieuse avec des taux de 2,35 %, espérant ainsi pouvoir déménager et acquérir une nouvelle maison.

« Le problème, c’est que toute une génération s’est habituée à des taux d’intérêt de 2,5 à 5 % », explique Dave Liniger, qui suit les flux et les reflux depuis 55 ans et qui est cofondateur de Re/Max, une organisation immobilière qui compte 140 000 agents dans 9 000 bureaux à travers le monde.

De plus en plus de signaux indiquent que la difficulté d’acheter un logement pourrait être un enjeu de l’élection entre le président Joe Biden et l’ancien président Donald Trump. Malgré le taux de chômage le plus bas depuis 54 ans et un marché boursier qui bat des records, M. Trump est considéré par les électeurs comme plus apte à gérer l’économie, à 39 % contre 33 %, selon un sondage Reuters/Ipsos de février. Bien que le taux d’inflation global ait baissé, il reste un élément important du mécontentement des électeurs à l’égard de M. Biden, et les coûts du logement, en particulier, se distinguent.

 

L’accessibilité du logement : une inquiétude qui influencera les votes

Près de 80 % des Américains ont jugé 2023 peu propice à l’achat de maisons, un record depuis que Gallup a commencé ses sondages dans les années 1970. Selon une enquête menée en février auprès de 3 000 propriétaires et locataires par Redfin, plus de la moitié des Américains déclarent que l’accessibilité du logement influencera leur vote. C’est une mauvaise nouvelle pour Joe Biden. Selon la National Association of Home Builders, seulement 38 % des logements vendus au cours du dernier semestre 2023 étaient à la portée financière d’une famille dont le revenu médian est de 96 300 dollars (88 600 euros), soit le pire résultat depuis que l’association a commencé à suivre cette statistique en 2012. Selon le même sondage Redfin, près des deux tiers des Américains estiment que l’incapacité à acheter une maison porte préjudice à l’image économique du président américain Joe Biden.

La plupart des locataires n’ont guère confiance en leur capacité à acheter un logement. Seuls 18 % des locataires qui ont déclaré l’an dernier au National Multifamily Housing Council qu’ils aspiraient à acheter un jour cherchent activement un logement, contre 21 % en 2021. En attendant, ils ont subi une hausse moyenne de 30 % des loyers depuis avant la pandémie, selon Zillow.

 

Les récentes mesures prises par Joe Biden

Il semblerait que le président ait compris le message. La semaine dernière, il a proposé des crédits d’impôt pouvant aller jusqu’à 10 000 dollars (9 200 euros) pour les primo-accédants. Il a également dévoilé un plan visant à construire plus de deux millions de nouveaux logements.

Les experts affirment qu’une réduction des taux d’intérêt, ne serait-ce que d’un point de pourcentage, donnerait un coup de pouce psychologique susceptible de déclencher un flux de ventes. Mais la Réserve fédérale des États-Unis semble réticente à cette idée, et les récentes informations sur l’inflation ont repoussé à juin les prévisions des économistes concernant une éventuelle diminution. D’après M. Liniger, une diminution signalerait une tendance à la baisse des taux, encourageant ainsi les acheteurs à franchir le pas en anticipant un refinancement futur à des taux plus avantageux.

 

L’immobilier est une affaire locale

Des variantes de la crise du logement sont observées dans tout le pays. À l’aéroport international de Bozeman Yellowstone, l’odeur du kérosène flotte dans l’air pur du Montana, tandis que les avions privés tournent au ralenti sur le tarmac. Le prix médian d’une maison individuelle dans la région atteint le chiffre record de 1,2 million de dollars (1,1 million d’euros). Les habitants de la région imputent ce prix élevé aux « Californiens » qui viennent visiter les stations de ski et finissent par acheter des résidences secondaires. Parmi eux, le milliardaire Bill Gates, Justin Timberlake et Tom Brady.

Les prix de l’immobilier à Bozeman ont été dopés par un flux d’acheteurs étrangers cherchant à s’éloigner des grandes villes durant la pandémie de Covid-19, et même aujourd’hui, environ la moitié des maisons sont achetées au comptant. Cela signifie que les taux ne devraient pas avoir d’importance pour eux. Mais c’est pourtant le cas, affirme Everdawn Charles, agent chez Keller Williams Montana Realty et native du Montana. « Beaucoup d’acheteurs restent en retrait », assure-t-elle. « Même si le paiement mensuel ne les concerne pas directement, ils se demandent si investir sur le marché immobilier est une bonne idée. Cela influe sur leur état d’esprit. »

À Jackson Hole, dans le Wyoming, autre refuge pour les acheteurs fortunés qui ont fui les villes pendant la pandémie, le marché connaît une grave pénurie, comme l’indique Devon Viehman d’Engel & Volkers. L’année dernière, seules 330 maisons ont été vendues dans le comté de Teton, alors que les ventes avaient culminé à 1 500 en 2010. Selon elle, 70 % des acheteurs paient en liquide et le prix de vente médian était de 5,5 millions de dollars (5 millions d’euros) l’année dernière.

 

La crise du logement met en péril la stabilité financière des travailleurs locaux

Cela pose de gros problèmes aux personnes qui ne disposent pas d’une telle somme. « Il est difficile pour la main-d’œuvre locale d’acheter un logement », explique Mme Viehman. « Nous nous interrogeons sur la possibilité d’atteindre un seuil où notre communauté ne comptera plus de travailleurs de service, et où les nouveaux arrivants auront du mal à subvenir à leurs besoins quotidiens, et ne pourront pas se permettre de manger à l’extérieur ou d’entretenir leur jardin. Les travailleurs locaux éprouvent de plus en plus de difficultés à maintenir leur niveau de vie dans ces conditions. »

Au niveau national, 4,8 millions de logements ont été vendus l’année dernière, soit le nombre le plus faible depuis 2011, selon Freddie Mac. Les ventes de logements existants, par opposition aux logements neufs, se sont élevées à 4,1 millions, soit le niveau le plus bas depuis 30 ans. Cela reflète une baisse de l’offre, et non une baisse de la demande. Jessica Lautz, économiste en chef adjointe de la National Association of Realtors, indique qu’il y a 2,7 offres pour chaque annonce dans le pays – un rêve pour les vendeurs, mais un cauchemar pour les acheteurs.

Il en résulte une situation inhabituelle dans de nombreuses régions très peuplées, et pas seulement dans de petits avant-postes pour les riches comme Jackson Hole. À Phoenix, les prix des maisons individuelles ont grimpé d’ environ 40 % pour atteindre 430 000 dollars (395 000 euros) depuis 2019, alors que le revenu des ménages n’a augmenté que de 6 % entre 2019 et 2022. À Long Island, dans l’État de New York, le prix médian des maisons s’élevait le mois dernier à 645 000 dollars (593 000 euros), en hausse de 12 % par rapport à février de l’année dernière, selon Redfin. Le nombre de maisons sur le marché dans la région de Dallas-Fort Worth a chuté de plus d’un tiers par rapport au sommet atteint avant la pandémie en 2019, selon Realtor.com.

 

Perspectives pour 2024

Daryl Fairweather, économiste en chef de Redfin, estime que les perspectives pour le reste de l’année sont mitigées. « Une baisse des taux en juin pourrait donner un bon coup de pouce au pouvoir d’achat des acheteurs juste avant les élections », déclare-t-elle.

D’après ses estimations, une diminution d’un point de pourcentage des taux hypothécaires signifie qu’un acheteur peut s’offrir une maison d’environ 40 000 dollars (36 000 euros) de plus, en assumant un paiement mensuel fixe d’environ 3 000 dollars (2 750 euros).

Selon l’économiste Jessica Lautz, le moyen permanent d’équilibrer l’offre et la demande est de construire davantage de logements. Ce point de vue est partagé dans tout le pays. Mais le scepticisme est largement répandu quant à la volonté des collectivités de tout le pays d’autoriser la construction de nouveaux logements. Il reste à voir si le gouvernement Biden pourra tenir sa promesse de lancer la construction de deux millions de nouveaux logements.

À l’heure actuelle, ce sont les baby-boomers qui détiennent le pouvoir. Si un nombre considérable d’entre eux choisissent de mettre leurs biens en vente, cela déclenchera une réaction en chaîne, susceptible d’augmenter l’offre de biens disponibles pour les nouveaux acheteurs. « La durée pendant laquelle les gens restent dans une même maison a changé », explique Mme Lautz. « Autrefois, c’était six ou sept ans. Aujourd’hui, c’est dix ans. Les gens ont tendance à rester plus longtemps dans leur logement, y trouvant un moyen de constituer un capital. »

M. Kent, l’agent immobilier de Caroline du Sud, se range dans ce camp. Nous ne reverrons peut-être jamais un taux hypothécaire de 2,35 %, alors pourquoi l’abandonner pour un taux plus élevé ? Et il a une raison personnelle de rester dans sa maison de Charleston, qu’il habite depuis longtemps. « J’apprécie mes voisins », confie-t-il.

 


À lire égalementStar Courtage Immobilier élargit les horizons de l’immobilier en Suisse

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC