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Cinq raisons pour lesquelles la guerre en Ukraine pourrait obliger Washington à repenser son pivot vers l’Asie

Washington
La maison blanche. Getty Images

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a considérablement compliqué les calculs militaires et diplomatiques des États-Unis, mais elle ne semble pas avoir modifié la conviction officielle de Washington selon laquelle la Chine est la plus grande menace.

 

Une fiche d’information distribuée par Washington décrivant la stratégie de défense nationale du gouvernement Biden décrit l’approche américaine de dissuasion de l’agression comme « donnant la priorité au défi de la RPC dans la région indo-pacifique, puis au défi russe en Europe ».

Ce classement des dangers futurs pourrait ne pas survivre aux années Biden, car l’agression que Vladimir Poutine a déclenchée en Europe de l’Est représente un problème militaire plus urgent que tout ce que Pékin fait à l’Est. Poutine décrit l’invasion de l’Ukraine comme le signal de l’émergence d’un autre ordre mondial, dans lequel l’Amérique ne domine pas.

Il ne manque pas non plus l’occasion de rappeler au monde que la Russie possède un arsenal nucléaire capable d’anéantir l’Occident en quelques heures. Ce type de rhétorique va bien au-delà de tout ce que le président chinois Xi a pu déclarer en public.

 

Les paroles ne valent rien, mais il existe des raisons plus importantes de penser que le pivot vers l’Asie de Washington devra être réévalué. En voici cinq : 

 

La géographie

La Chine et la Russie ont une histoire similaire de construction d’empire qui remonte à plusieurs siècles, mais les circonstances géographiques qui dictent leurs objectifs de sécurité sont différentes. La Russie européenne occupe une vaste plaine qui s’étend presque sans interruption des montagnes de l’Oural à la mer du Nord. Il existe peu d’obstacles topographiques à l’expansion vers l’ouest.

La Chine, en revanche, est encerclée de tous côtés par des obstacles géographiques majeurs : montagnes, déserts et, bien sûr, l’océan Pacifique. L’une des raisons pour lesquelles Taïwan occupe une place si importante dans la stratégie indo-pacifique de Washington est que cette petite nation insulaire est le seul endroit que les militaires de Pékin pourraient plausiblement chercher à occuper au cours de cette décennie.

Ce n’est pas le cas de la Russie : en l’absence de défenses occidentales crédibles, son armée pourrait occuper n’importe quel pays voisin, de la Moldavie à la Finlande. La rhétorique de Poutine encourage la croyance que l’Ukraine pourrait n’être que le début d’une nouvelle ère de construction d’empire.

 

Les dirigeants

Xi Jinping et Vladimir Poutine sont tous deux des dictateurs vieillissants qui sont peu enclins à abandonner le pouvoir. Faire appel au ressentiment populaire à l’égard de torts passés prétendument perpétrés par des puissances étrangères est un outil dans leurs efforts pour rester à la tête de leurs nations respectives.

Toutefois, l’approche du président Xi visant à accroître la stature mondiale de Pékin repose sur un plan à multiples facettes qui ne se concentre pas principalement sur la puissance militaire. Ces dernières années, l’approche de Poutine a été centrée sur l’utilisation de la force pour récupérer les territoires perdus.

Ishaan Tharoor écrit dans le Washington Post que la mentalité néo-impérialiste de Poutine est fondée sur « un récit de destinée mythique qui supplante tout impératif géopolitique et qui a placé la Russie sur une trajectoire de collision avec l’Occident ».

Le président Xi a sans doute sa propre conception du destin manifeste de la Chine, mais il ne s’agit pas de s’emparer de territoires au-delà de Taïwan. Contrairement à Poutine, qui se compare au conquérant Pierre le Grand, Xi n’est pas prêt à se comparer aux empereurs Qing qui ont doublé la taille de la Chine. Le succès de son plan ne repose pas sur la conquête ouverte d’États voisins.

 

Caractère de la menace

La préoccupation de Poutine pour les aspects militaires du pouvoir découle en partie de la faiblesse des autres outils à sa disposition. L’économie extractive de la Russie, qui repose largement sur l’exportation de combustibles fossiles, n’est pas compétitive par rapport à l’Occident en matière de technologie avancée.

Dans toute guerre conventionnelle avec l’Occident, la Russie serait rapidement vaincue en raison de son manque d’armes sophistiquées et de ressources économiques. Les fréquentes allusions de Poutine à l’arsenal nucléaire de Moscou sont donc une expression de faiblesse, le reflet du fait que même dans le domaine militaire, sa nation n’est pas de taille à affronter ses rivaux occidentaux tant qu’ils restent unifiés.

L’histoire de Pékin est différente. Depuis son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce en 2001, la Chine est devenue la plus grande puissance industrielle du monde, dépassant la capacité de production combinée de l’Amérique, du Japon et de l’Europe occidentale. Ses capacités technologiques indigènes ont fait des progrès constants et, dans certains domaines, elles sont désormais en tête du classement mondial.

Si la Chine se contente de rester sur le vecteur économique qu’elle a établi au cours des deux dernières décennies, elle deviendra la puissance mondiale dominante, même sans une armée de premier ordre. Ce n’est pas une option pour la Russie. Ses efforts pour suivre le rythme ont échoué, et il ne lui reste donc que l’armée pour poursuivre le rêve de Poutine d’une grandeur retrouvée.

 

Intensité de la menace

Bien que la Chine consolide rapidement ses forces, la menace militaire qu’elle représente au-delà de Taïwan est largement hypothétique. Dans le cas de la Russie, la menace militaire est évidente et pourrait persister pendant des générations.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson et le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg ont tous deux averti la semaine dernière que la guerre en Ukraine pourrait se poursuivre pendant longtemps, voire des années. Même lorsque les hostilités cesseront, les troupes russes se trouveront toujours aux frontières d’une demi-douzaine de pays de l’OTAN.

Le danger de guerre ne disparaît donc pas en Europe, quels que soient les résultats de la dernière campagne d’agression de Poutine. L’intensité du conflit actuel rend les actions de Moscou impossibles à ignorer, alors que la menace militaire posée par la Chine dans le Pacifique occidental est plus nébuleuse.

Même si l’expansion militaire actuelle de Pékin se poursuit, le principal défi posé par la Chine restera de nature économique et technologique. La puissance militaire américaine dans le Pacifique occidental ne changera rien au fait que la Chine commercialise régulièrement de nouvelles innovations avant les États-Unis et que ses universités affichent huit fois plus d’étudiants en sciences et technologies de l’information.

 

Traçabilité de la menace 

Dans la mesure où la Chine représente effectivement une menace militaire régionale, les solutions sont relativement faciles à envisager. Par exemple, le déploiement permanent d’une brigade blindée de l’armée américaine à Taïwan suffirait probablement à dissuader toute invasion depuis ce que l’on appelait autrefois le « Mainland ».

Les solutions en Europe sont beaucoup plus difficiles, car les grandes distances et les barrières géographiques qui isolent des pays comme le Japon de la Chine n’existent pas en Europe. Une attaque éclair de Moscou contre plusieurs pays voisins pourrait réussir avant même que l’Amérique ne parvienne à se mobiliser. Et toute réponse occidentale devrait tenir compte de la présence de plus de mille armes nucléaires tactiques russes dans la région.

Ainsi, le danger que représente la Russie en Europe de l’Est va de plus en plus dominer les calculs stratégiques de Washington. La Chine, qui dispose de plus d’options et d’un leadership plus subtil, sera en mesure de poursuivre son ascension à l’Est sans susciter le genre d’inquiétudes que Poutine a engendrées.

Le pivot du Pentagone vers l’Asie risque donc de se diluer, même si la rhétorique émanant de Washington suggère le contraire.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Loren Thompson

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