L’ancien maire de Londres Boris Johnson s’est auto-proclamé porte-parole de Winston Churchill. Depuis qu’il a publié en 2015 WINSTON, il est convaincu que si Churchill était encore des nôtres, il soutiendrait sans réserve le Brexit, cad la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne.
Le journaliste du GUARDIAN Martin Kettle lui oppose exactement les arguments contraires. Selon lui, “tout ce que nous savons” de Churchill nous porte à croire que celui-ci se serait battu farouchement pour rester au sein de l’Union Européenne. Si les connaissances de Kettle sur Churchill l’amènent à cette conclusion, c’est qu’apparemment, il ne connait pas beaucoup de choses sur ce grand homme !
Voici certains points que Martin Kettle a occulté dans sa reflexion et qui me semblent tout de même importants à prendre en considération pour tirer une conclusion sur la position de Churchill vis-à-vis de l’Union Européenne.
Winston Churchill a commencé -et terminé- sa vie au parti Conservateur mais c’était avant tout un libéral, au sens entendu à la fin du 19ème siècle. Il était convaincu de l’évidence du libre-échange, c’est ce qui l’a poussé à quitter le parti Conservateur après 1903 quand celui-ci s’est positionné en faveur du protectionnisme. S’il a accepté la “Préférence Impériale” (tarifs préférentiels et favorisés pour les pays de l’Empire et du Commonwealth) c’est parce qu’à ce moment précis l’économie devait faire face à la Grande Dépression – et non pas par conviction.
En quoi est-ce important à présent?
Quand on se penche sur ses discours, cela semble pourtant évident !
L’Union Européenne a été fondée sur un accord de libertés intra-Europe, ce qui est le contraire de ce que Churchill espérait pour l’Europe. Si les échanges commerciaux sont libres au sein de l’UE, ils sont totalement verrouillés avec le reste du monde et c’est exactement ce que Churchill a toujours combattu. Le Royaume-Uni de Churchill est un pays historiquement habitué à échanger et à commercer avec le reste du monde. l’UE lui a réduit considérablement son champs d’action en étant un marché trop étriqué.
A l’époque de Churchill la Grande Bretagne importait déjà beaucoup de denrées alimentaires du bout du monde et il était absolument convaincu de l’importance du libre-échange de la nourriture – bien sûr pour le bien des anglais mais aussi parce que beaucoup de produits venaient des pays membres du Commonwealth comme le Canada, l’Australie et la Nouvelle- Zélande.
L’un des principaux combats de Churchill était celui de l’ouvertures de toutes les frontières avec l’espoir que cela permette enfin à l’Europe de devenir une terre sans conflits « majeurs ». C’est en tout cas ce qu’il dit en 1942 à Anthony Eden, qui sera Premier Ministre en 1955. Il lui dit croire en des Etats-Unis d’Europe – “United States of Europe”- dans lesquels « les barrières entre les nations seraient considérablement réduites et les mouvements des biens et personnes totalement libres ».
Il est encore plus explicite, selon ses mémoires officielles, avec Staline en 44 : « Un des principaux maux de l’Europe est d’être forcés, quand nous voyageons dans les différents pays, d’utiliser pléthore de monnaies différentes, de franchir trop de douanes. Cela constitue un énorme frein pour les échanges commerciaux. ». Il voyait dans ce projet le moyen de rendre à l’Europe sa prospérité et de retrouver sa gloire passée face au reste du monde. Il espérait qu’ainsi, les haines entre pays s’éteindraient et que les différentes nations se fédèreraient autour d’intérêts commerciaux communs.
Cet idée est légitime pour quelqu’un qui a connu l’Europe du 19eme siècle. A cette époque, l’Europe est le centre de la civilisation moderne mais il avait conscience que les deux guerres : la Grande Guerre et la Seconde Guerre Mondiale qu’il appelait « Guerre Inutile » avaient énormément affaiblit l’Europe et l’avait éloigné des sommets de la culture et du pouvoir.
Le but de ce projet européen était de recréer un accord proche de ce qui était sorti durant le Congrès de Vienne (En 1813, alliance entre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, l’Empire russe, le royaume de Prusse et l’empire d’Autriche,) mais plus axé sur les inter actions commerciales entre pays, la simplification des échanges avec une réelle place pour les petites nations. C’est une vision très noble, bien lointaine de la lourdeur bureaucratique actuelle et de la centralisation des décisions de l’UE. Churchill croyait en une grande “Famille Européenne”, regroupée autour d’une civilisation commune. Il définissait ces “Etats-Unis d’Europe”, comme il le dit dans son discours de 1940, comme “Une grande demeure regroupant de nombreuses familles dans laquelle il y aurait de la place pour tous”.
C’est une très grosse faute d’interprétation que d’entendre Bruxelles quand Churchill prononce le mot Europe. C’est occulter son histoire, sa vie et ses batailles, sa profonde connaissance de l’Europe, de l’Histoire, des Arts, des Religions et des Cultures. Sa conception de l’Europe était bien plus ambitieuse et grande que celle que l’on a proposé et construit actuellement !
Churchill était un homme de son époque et un habile politicien. La plupart de ses grands discours d’après-guerre concernant l’Europe datent d’une période allant de septembre 46 (Zurich) jusqu’à mai 48 (LA HAYE ). Ils sont donnés à la sortie de la guerre et juste avant la création de l’OTAN, avant que le plan Marshall ne soit envisagé et mis en place. Il craignait à cette période que les Etats-Unis agissent comme après la guerre de 14-18 et repartent en laissant l’Europe face à son sort. Dès qu’il a été évident que les Etats-Unis allaient s’impliquer dans la reconstruction européenne et que l’Allemagne n’allait pas être morcelée en une multitudes de petites républiques fédérales, Churchill a stoppé ses discours visionnaires sur l’Europe.
Quoi qu’il en soit, les déclarations de Churchill sur l’Europe après 1945 ne sont pas juste le reflet de son anxiété sur un potentiel abandon par les Etats-Unis qui laisserait l’Europe sous le joug Soviétique. Churchill voulait aussi clairement montrer que le gouvernement Travailliste au pouvoir après 1945 ne pouvait pas mettre en place un projet d’Europe. Il y avait du vrai dans ses attaques mais il ne faut tout de même pas oublier que c’est ce gouvernement Travailliste qui est à l’origine de la création de l’OTAN. D’ailleurs, une fois revenu au gouvernement en 1951, Churchill s’est apparemment satisfait de ce qu’avaient accompli les Travaillistes et n’a pas développé d’autre projet européen.
Les discours de Winston Churchill sont un savant mélange de calcul politique, de désespoir stratégique et d’idéalisme visionnaire – un mélange qui est difficile à démêler et surtout, qui n’a rien à voir avec les questions européennes d’aujourd’hui ou avec l’Union Européenne actuelle.
Mais pour parfaitement comprendre ce en quoi Churchill croyait vraiment, il suffit de regarder ce qu’il a effectivement accompli à cette époque – maintenir la Grande-Bretagne à l’écart des toutes les décisions politiques européennes. Pour lui, les institutions comme la Communauté européenne de Défense (CED) étaient vouées à l’échec. Il utilise même le terme d’«amalgame vaseux» et avait un mépris immodéré pour tout ce qui ressemblait de près ou de loin à la machine bureaucratique. Il ne s’est d’ailleurs pas précipité pour rejoindre la Communauté du Charbon et de l’Acier (CECA) ou aucune autre institution européenne naissante de son époque.
En fait, je pense que Kettle s’est basé sur le projet d’Union franco-britannique pour penser que Winston Churchill aurait fait le choix de rester dans l’UE.
Cet Union franco-britannique n’est qu’une parenthèse dans l’histoire de Churchill et ne reflète pas une volonté politique sur du long terme, ce n’est qu’une proposition éphémère d’union globale entre le Royaume-Uni et la France qu’il a élaboré à Londres avec Jean Monnet et proposé au gouvernement français le 16 juin 1940. Contrairement à ce que pense Kettle, ce ne fut pas une «tentative enthousiaste» de la part de Churchill car comme l’écrit son secrétaire privé John Colville, à ce moment il voulait par tous les moyens faire venir des soldats français pour combattre en Grande-Bretagne et était «moins intéressé par l’idée grandiose d’une union franco-britannique ». Il n’a monté ce projet que dans l’espoir de maintenir la France dans la guerre et une fois qu’il a été évident que ce ne serait pas le cas, Churchill a abandonné définitivement cet idée.
Malheureusement il n’y a pas beaucoup d’autres informations sur ce que Churchill pensait de la CEE, le prédécesseur de l’Union européenne d’aujourd’hui. Il a dit qu’il soutenait la candidature britannique à se joindre en 1961 – mais cela découle de son soutien à Macmillan, car il était son dauphin politique. Face à cela, le Marechal Bernard Montgomery a rapporté avoir vu Churchill à la mi-1962, assis dans son lit, vitupérant contre l’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE. Churchill désavoue ensuite Monty sur ce fait, se sentant trahit que ses conversations privées soient reportées au public.
Je suis pourtant convaincue de la véracité de ce qu’a rapporté Monty, même si cela ne nous permet pas de conclure avec certitude que Churchill n’était pas pro CEE car toutes ses paroles et pensées sur un projet d’Europe commune sont bien antérieures à la CEE ou à l’UE. Il faut avoir conscience que les fondements de son idée d’Europe sont formatés par la pensée d’un riche lord anglais, né dans l’ère victorienne, convaincu du bien-fondé du libre-échange et de la libéralisation des instances politiques.
N’occultons pas son admiration pour la Chambre des Communes. Churchill était un partisan de cette organisation politique qu’il considérait comme le secret du succès de la Grande-Bretagne dans ses combats. Selon lui, c’est la Chambre des Communes qui a permis à son pays de sortir vainqueur face à l’Allemagne impériale puis face à l’Allemagne nazie. Il ne croyait pas à la centralisation des pouvoirs. On peut citer un moment important de 1917, (vol. six de sa biographie officielle) quand il tient en pleine nuit un discours sur les vertus de la Chambre: «Regardez-la!» dit-il. «Cette petit pièce est notre principale différence avec l’Allemagne. C’est grâce à elle que nous connaîtrons le succès et c’est son absence chez ces brillants allemands qui les conduira la catastrophe finale. Cette petite chambre est le sanctuaire des libertés du monde ».
C’est au public qu’il faut laisser décider ! Est-ce qu’aujourd’hui Sir Winston Churchill demanderait de voter pour rester dans l’Europe quand la majorité des règlements et des lois de son pays est décidée par Bruxelles et n’est plus soumise aux débats et échanges constructifs de sa tant aimée Chambre des Communes ?
Malheureusement, personne n’a la réponse…
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