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Bruno Le Maire : « La France Est Le Pays Des Entrepreneurs »

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Erigé en « priorité de la rentrée parlementaire », l’examen de la loi PACTE a débuté ce mardi 25 septembre à l’Assemblée nationale. Destiné à « lever tous les verrous de l’économie française », ce « Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises » doit également faire de la France « la grande nation de l’innovation en Europe », selon les propres termes de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, qui revient, pour Forbes, sur les grandes lignes de ce projet de loi particulièrement attendu.

Repoussée à maintes reprises, pour cause d’encombrement législatif, la loi PACTE est examinée par la députés depuis ce mardi et a vocation à « libérer le potentiel de croissance inexploité et à réduire le chômage structurel trop élevé ». Quels sont à vos yeux les leviers pour justement faire grandir nos entreprises et les rendre plus compétitives ?

BLM : A l’origine de la loi PACTE, un constat : la France souffre d’un cruel déficit d’ETI. Elles sont « seulement » 5 800 dans notre pays, contre 12 500 en Allemagne. Or, ce sont ces entreprises qui créent le plus d’emplois, qui ont le plus de moyens pour innover et qui, de facto, parviennent à conquérir de nouveaux marchés. Pour gagner la bataille de l’emploi et de la balance commerciale, nous devons permettre à nos entreprises de grandir. Pour ce faire, il faut une action globale et coordonnée. Notre économie a besoin d’une somme de dispositions concrètes pour accompagner les entreprises dans toutes les étapes de leur vie et dans tous les aspects de leur activité. Il faut transformer en profondeur notre modèle économique.

Comment comptez-vous y parvenir ?

BLM : Tout simplement grâce à trois grandes orientations : réguler moins pour produire plus ; valoriser le travail ; et favoriser l’innovation, qui conditionne l’avenir de nos entreprises et de notre économie. La première de ces orientations est essentielle. De la création à la transmission d’une entreprise, il y a des barrières accumulées pendant des décennies : barrières de délais, barrières de coût, barrières réglementaires. C’est en levant ces obstacles que nous permettrons aux entreprises d’exprimer tout leur potentiel. Le premier d’entre eux, bien connu par toutes les entreprises, mais qu’aucun responsable politique n’a osé transformer depuis plus de 20 ans, ce sont les seuils d’effectifs. Aujourd’hui, il existe 49 niveaux, 199 obligations, 4 modes de calcul et aucun délai d’adaptation aux nouvelles règles. Ces seuils viennent stopper net la croissance et les plans d’embauche de nos PME. Avec le PACTE, nous réduirons cela à trois niveaux – 11, 50, 250 – avec un mode de calcul unique et un délai d’adaptation de 5 ans.

Sur les 4 millions d’entreprises que compte la France, 3,8 millions sont des PME dont « seulement » 125 000 exportatrices, loin des standards de nos voisins comme l’Italie ou encore l’Allemagne. Quelles sont vos ambitions chiffrées en la matière ? Plus largement, comment remédier à cette situation et remettre en lumière « le savoir-faire français » ?

BLM : En l’espace de quelques semaines, les relations commerciales mondiales se sont historiquement tendues. Face à cette instabilité, notre politique à l’export doit être d’autant plus forte. Parce que derrière notre commerce extérieur, il y a bien sûr des emplois et de la croissance, mais il y a surtout la vision du monde que nous défendons. Un monde ouvert où l’échange est le moteur du progrès, où, grâce à nos entreprises, on exporte les innovations qui feront notre avenir, où, grâce à nos entreprises, on transmet l’excellence et le savoir-faire de notre industrie, comme en Iran où le comble de la distinction est d’avoir une voiture française. Je ne pense pas que le nombre d’entreprises exportatrices soit le premier critère sur lequel s’alerter. Le premier, c’est l’état de notre balance commerciale. Depuis 14 ans, chaque année, chaque mois, on constate un nouveau déficit commercial. Cette année encore ce sont 63 milliards d’euros qui ne vont pas dans les comptes de nos entreprises et qui ne sont donc pas réinvestis pour faire grandir nos PME et créer de l’emploi. Notre commerce extérieur est perclus de faiblesses : déficit de compétitivité de nos entreprises, manque de compétences et d’accompagnement à l’export, absence d’organisation collective des filières. La première des solutions à apporter pour équilibrer notre balance commerciale, c’est de restaurer notre compétitivité. C’est l’objectif principal des mesures que nous mettons en place depuis plus d’un an. Nous avons créé un cadre favorable à l’embauche dans les PME, instauré une nouvelle politique fiscale pour encourager l’investissement et permis une refonte de notre formation professionnelle pour que chacun puisse obtenir les compétences adéquates pour trouver un emploi. A cela s’ajoute, comme le Premier ministre l’a annoncé en février, une stratégie globale afin de mieux accompagner et de financer les entreprises à l’export. Un guichet unique qui regroupera les expertises de Business France et des CCI sera créé dans chaque région pour que les entreprises aient un accès simplifié à l’international quel que soit le territoire ou le secteur d’activité. Au-delà de ces outils qui aideront individuellement chaque entreprise, nous devons mettre en place un ‘jeu collectif à l’international’. C’est d’ailleurs ce que nous nous évertuons à créer avec le Conseil national de l’industrie en élaborant pour chaque filière une stratégie à l’export.

Dans le même ordre d’idées, l’image de la France à l’international semble avoir évolué positivement aux yeux des investisseurs étrangers depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, comme en attestent les prochaines installations à Paris de nombreux employés de la City (HSBC, Citigroup etc.), à la recherche d’une « terre d’accueil » après le Brexit. Comment expliquez-vous ce basculement ? D’autres mesures ou initiatives vont-elles venir amplifier le mouvement ?

BLM : Il y a encore un an, nous devions persuader le monde que la France était le lieu idéal pour investir ou créer son entreprise, que la finance pouvait trouver sa place à Paris. En un an, nous avons dissipé ces doutes en prouvant que la France pouvait se transformer. Etape par étape, nous avons posé les fondations d’un environnement favorable aux entreprises, d’une économie créatrice de croissance et d’emplois. Plus que jamais par le passé, nous avons renforcé la place de Paris grâce à l’arrivée de nouveaux acteurs venus du monde entier. Grâce à la future installation de l’Autorité bancaire européenne qui, avec l’Autorité européenne des marchés financiers déjà présente, fait de Paris le centre majeur de la régulation financière européenne. Ces succès nous permettent désormais d’être la destination privilégiée des relocalisations d’emplois du secteur financier dans la foulée du Brexit. Devant le favori annoncé, Francfort. Cette dynamique nous allons l’amplifier avec le PACTE, en faisant de la France la grande nation d’innovation d’Europe. En levant les barrières dont je vous ai parlé pour les PME, en développant l’épargne retraite pour donner de nouveaux outils de financement, en supprimant certaines surtranspositions qui alourdissent notre droit par rapport aux pays voisins, en améliorant le cadre applicable aux travailleurs impatriés, mais aussi en mettant en place un fonds pour l’innovation et l’industrie de dix milliards d’euros qui permettra d’investir dans les technologies de rupture et fera de la France la première terre d’accueil pour les chercheurs et les entreprises innovantes.

Interrogé par nos confrères américains en avril dernier, Emmanuel Macron avait annoncé la fin de « l’Exit Tax ». Vous avez ajouté, dans la foulée, qu’elle ne rapportait presque rien et faisait office de repoussoir pour les entrepreneurs. A l’inverse, comment faire en sorte qu’entreprendre en France ne s’apparente plus à un parcours du combattant ?

BLM : Une fois encore, cette mesure a un seul objectif : faire de la France le pays le plus attractif d’Europe pour les investisseurs et les entrepreneurs. C’est en supprimant ces taxes symboliques qui nous coûtent plus que ce qu’elles nous rapportent que nous y arriverons. La France est un pays d’entrepreneurs, avec plus de 550 000 créations d’entreprise par an, sans oublier Station F qui est le plus grand campus de start-up au monde, et plus d’un million d’entreprises artisanales qui défendent le savoir-faire français. Pourquoi vouloir brider ces atouts ? Prenons un seul exemple : l’artisan boucher qui veut ouvrir son commerce. Aujourd’hui, il doit s’inscrire dans deux registres et se perd dans des démarches auprès de nombreux interlocuteurs. Il doit faire un stage obligatoire, le SPI, alors même que ses compétences sont reconnues. En moyenne, il va devoir attendre plus d’un mois et payer 200 euros, sans compter le manque à gagner créé par ces délais. Avec la loi PACTE, nous répondons aux besoins de simplicité dans la création. Il y aura dorénavant un registre et une plateforme unique de création, un stage optionnel et des délais raccourcis.

A la fin de l’année 2017, de nombreux Français se sont « pris de passion » pour les cryptomonnaies. Si le « soufflé » semble être retombé depuis, vous avez eu le mérite de ne pas « ignorer le phénomène », de poser les jalons d’une réglementation sur les levées de fonds en cryptomonnaies (ICO). La France peut-elle devenir une nation pionnière et de référence en la matière à l’heure où la défiance reste encore de mise sur ses questions ?

BLM : La France a toujours eu un temps d’avance sur les évolutions de la finance et des Fintech. Nous avons permis, dès 2014, le développement légal du crowdfunding. Nous sommes devenus des leaders mondiaux de la finance verte grâce à nos émissions d’obligations vertes, ou encore, en décembre 2017, nous avons autorisé l’utilisation de la blockchain pour les transmissions de titres financiers. Je n’ai jamais conçu la finance comme un ennemi mais comme un atout essentiel pour la croissance de notre économie. La révolution de la blockchain en cours, et dont les crypto-actifs et les Fintech ne sont qu’une partie, nous offre des opportunités inédites dont nous devons nous saisir. Et pour passer de la défiance à la confiance sur ces sujets, nous proposons un cadre législatif ad hoc qui permettra aux entreprises initiant une ICO de démontrer leur sérieux aux futurs investisseurs et ainsi, de créer la confiance. La loi PACTE permettra à l’Autorité des marchés financiers de donner un visa aux entreprises émettrices de jetons respectant des critères stricts pour protéger les épargnants. C’est en donnant de la transparence et de la confiance aux investisseurs, aux entrepreneurs et aux épargnants que nous entrerons dans la finance du XXIe siècle.

J’évoquais « la défiance », dans ma question précédente, de la part de nombreux spécialistes issus du « monde financier traditionnel » concernant les questions relatives au Bitcoin et consorts. On se rappelle notamment des déclarations tonitruantes de Jamie Dimon (PDG de JPMorgan ndlr), l’an passé. A titre personnel, votre position a-t-elle évolué au gré de vos entretiens avec des personnalités rompues à ces sujets ?

BLM : Ma position a toujours été claire sur le sujet. Nous ne pouvons pas être de simples spectateurs de la révolution technologique qu’impose la blockchain. Nous devons anticiper les mutations. Mais soutenir l’innovation ne veut pas dire foncer tête baissée sans prendre en compte les risques qu’elle induit. Alors que le Bitcoin s’échangeait autour de 20 000 dollars en décembre dernier, il a perdu en l’espace de quelques mois plus de la moitié de sa valeur, toujours dans des circonstances brutales. Cette volatilité importante des crypto-actifs révèle de nombreuses questions. Sont-ils de simples produits spéculatifs ? Comment protéger les épargnants face à ces risques ? Comment s’assurer que ces instruments ne sont pas tout simplement frauduleux ? C’est pour répondre à ces interrogations, face au néant réglementaire existant, que j’ai confié à Jean-Pierre Landau une mission afin de proposer un cadre juridique efficace pour accompagner le développement de ces nouveaux produits. Nous nous servirons des conclusions qu’il a rendues au mois de juillet pour que la France façonne la finance de demain.

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