Entreprise | Les quatre rapporteurs de la mission d’information sénatoriale sur la santé et l’avenir du géant informatique français déplorent « l’hypothèse d’un maintien du groupe en entier ne soit presque jamais considérée sérieusement »par la puissance publique.
Le constat est sans appel. La récente proposition de l’Etat en vue d’acquérir les activités « souveraines » d’Atos est jugée « tardive et insuffisante », par la mission d’information sénatoriale sur la santé et l’avenir du géant informatique français. Les quatre rapporteurs, qui ont auditionné pas moins de 84 anciennes et actuelles personnalités du dossier, estiment que la réaction des pouvoirs publics « ne réglera pas la question d’avenir du groupe » alors que le colosse au pied d’argile doit trouver, d’ici au mois d’août, une solution à son endettement de 4,9 milliards d’euros.
Le week-end dernier, l’Agence des participations de l’Etat (APE) a envoyé à Atos une lettre pour lui proposer un rachat de trois activités : les supercalculateurs utilisés pour la simulation nucléaire, les systèmes de contrôles et d’informations qui servent à l’armée de terre et les produits de cybersécurité. Si la mission d’information prend acte de l’initiative de Bercy, elle soulève qu’une « très grande majorité partie prenantes aurait souhaité une action proactive, facilitatrice et stabilisatrice de l’Etat dès le second semestre 2022 ». Or, l’hypothèse d’un rachat de ces actifs stratégiques avait, jusqu’à présent, été écartée par le gouvernement. Un amendement des députés Philippe Brun (PS) et Olivier Marleix (LR) proposant d’acquérir certaines activités d’Atos et adopté à l’Assemblée nationale, avait même été balayé par l’exécutif. Ce dernier dégainait alors l’article 49.3 pour bloquer la modification apportée au projet de loi de finances 2024. La ministre déléguée chargée des PME Olivia Grégoire assurait exclure « tout projet de nationalisation », certifiant que celle-ci « ne réglerait pas les problèmes opérationnels, financiers ou rentabilité que peut connaître l’entreprise ».
Risque de « vente à la découpe »
Toujours est-il que Bercy ne souhaite pas faire cavalier seul, le projet de rachat étant ouvert à des partenaires industriels. Seule condition : être un groupe français. Thales ou Dassault pourraient faire partie du deal. Et celui-ci ne devrait concerner, selon les estimations, que 900 millions d’euros. Un périmètre réduit par rapport aux 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires d’Atos dans le monde. Les sénateurs regrettent que « l’hypothèse d’un maintien du groupe en entier ne soit presque jamais considérée sérieusement par les services de l’État », faisant peser le risque d’une « vente à la découpe ».
Ils craignent ainsi que certaines activités non concernées par l’offre de l’Etat tombent entre les mains de repreneurs de moindre confiance. Le milliardaire tchèque Daniel Krestinski tourne autour du groupe depuis plusieurs mois. Selon Les Échos, le fonds américain Bain Capital s’est lui aussi positionné sur le dossier alors que les candidats à la reprise doivent déposer leurs propositions d’ici ce vendredi 3 mai. « Des contrats sensibles pour nos données et nos services publics sont rattachés à Tech Foundations (les activités d’infogérance du groupe, NDLR) », rappellent, par exemple, les sénateurs.
Devant cette menace, les rapporteurs appellent à une entrée de l’APE, déjà propriétaire d’une action de référence, au capital d’Atos « par l’intermédiaire d’une prise de participation garantissant une place au conseil d’administration afin de permettre une supervision des activités stratégiques et sensibles intéressant la souveraineté et la défense nationales ». Pour ce qui concerne l’entité Big Data et Sécurité, les élus recommandent « une prise de participation majoritaire et durable » de Bpifrance, dans un souci de financement et de supervision «d’activités technologiques souveraines ». Si une cession de celle-ci ne pouvait pas être évitée, les auteurs insistent sur le fait qu’il faudrait privilégier des repreneurs industriels français souverains. Idem pour Worldgrid, dont les services sont notamment utilisés par EDF pour ses systèmes de contrôle commande des EPR2.
Décisions hasardeuses et instabilité
La mission d’information retrace également les racines de cette déroute. Les choix de l’ex-PDG du groupe, Thierry Bretton (2008-2019), sont passés au scalpel fin. Les sénateurs distribuent ainsi les bons points : « Atos a connu une forte expansion, soutenue par la mise en œuvre d’une politique de croissance externe volontariste, permettant au groupe de s’internationaliser et de devenir un leader mondial » sous sa présidence. Mais pointent surtout certaines décisions hasardeuses, notamment « la fréquence et nombre d’acquisitions, leur prix d’achat et leur financement ou encore la rapidité et l’exécution des restructurations » ainsi que des retards pris sur plusieurs sujets dont le cloud public.
Reste que la chute du géant français en bourse s’est fortement accélérée depuis le départ de l’actuel commissaire européen au marché intérieur. Le cours de l’action a chuté de plus de 97 % ces quatre dernières années. En cause : une succession « mal préparée » qui a donné lieu à une période d’instabilité « laissant la main à des logiques financières de court terme, plutôt qu’à des logiques industrielles de long terme ». Sixième PDG en cinq années, Jean-Pierre Bustier a désormais la lourde tâche d’éponger 70% de la dette du groupe (3,2 milliards d’euros) et de lever 1,7 milliard en cash. Rien que ça…
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