La présence d’une inflation élevée et persistance dans un grand nombre de pays du monde, a entraîné un mouvement cordonné de resserrement monétaire de la part des banques centrales dans les principaux pays de l’OCDE (seule la banque centrale du Japon s’évertue à maintenir des conditions de financement toujours très accommodantes).
Dans cette lutte contre l’inflation, les banquiers centraux estiment que les marchés du travail sont trop tendus, et qu’il est nécessaire d’accepter une montée du chômage pour aider la politique monétaire à ralentir la hausse des prix à la consommation. Au Symposium de Jackson Hole, Jerome Powell a explicitement évoqué « des coûts en termes d’emploi liés à la réduction de l’inflation ». Il semble ainsi possible, d’après les banquiers centraux, de faire baisser l’inflation en la ramenant proche de sa cible de 2 % en acceptant ponctuellement un chômage plus élevé.
Autrement dit, il existerait un arbitrage à court terme entre l’inflation et le chômage mais dès lors que la dynamique des prix serait sous contrôle et la conjoncture moins morose, nous aurions la conjonction d’une inflation maîtrisée à un niveau proche de sa cible et un faible taux de chômage.
Une fois que le chômage s’installe en Europe, il perdure
Si cette thèse peut se défendre aux Etats-Unis où la flexibilité du marché du travail permet au taux de chômage d’épouser le cycle économique, elle est plus contestable en Europe où la résorption du chômage après une récession est plus longue et coûteuse. Les économistes parlent d’effets d’hystérèses en Europe, c’est-à-dire la persistance d’un chômage élevé malgré une conjoncture plus favorable.
L’Europe est particulièrement sujette à ces effets avec un taux de chômage structurel, qui tend à s’accroitre durablement même après que la crise ait été dépassée. Le dernier exemple en date n’est autre que la crise financière de 2008 suivie de la crise des dettes souveraines où le chômage a continuellement augmenté jusqu’en 2013 et n’a retrouvé son niveau pré-crise financière qu’en 2018. Il a ainsi fallu plus de dix ans pour effacer les cicatrices de la crise et ramener en emploi les personnes qui ont durablement été éloignées du marché du travail.
Il n’est pas exclu qu’un resserrement monétaire trop brutal sur le continent européen conduise à une hausse importante et durable du taux chômage. Dans un tel scénario, le problème de l’inflation serait évacué mais la croissance resterait atone, causée par une demande insuffisante. Par ailleurs, un argument souvent avancé pour justifier la lutte contre l’inflation est que cette dernière serait une « taxe non-démocratique qui frappe les plus malheureux » pour reprendre les mots de Jacques de Larosière, ancien gouverneur de la Banque de France. Mais laisser augmenter le chômage pour juguler l’inflation améliore-t-il la situation financière des plus précaires ? Rien n’est moins sûr.
Le sort des plus précaires risque d’empirer avec la montée du chômage
Effectivement l’inflation frappe plus fortement les ménages modestes, notamment lorsque ce sont les prix énergétiques et alimentaires qui progressent rapidement, puisqu’ils consacrent une part plus importante de leur revenu à ces dépenses que les mieux lotis. En France, les 20 % des ménages en bas de la distribution des revenus consacrent environ 10 % de leur budget à l’énergie, cela monte même à près de 16% pour les plus précaires, contre seulement 7 % pour les 20 % des ménages les plus aisés. Toutefois, il ne faut pas oublier que la montée du chômage n’est pas non plus équitablement répartie dans la population. Ce sont les plus défavorisés, ayant souvent un faible niveau de qualification, qui subissent en priorité la perte de leur emploi. En France, le taux de chômage des diplômés du supérieur évolue dans un couloir très étroit autour de 5% depuis le début des années 2000, tandis que le taux de chômage des peu ou non-diplômés a augmenté de 6 points à la suite de la crise financière de 2008 pour atteindre près de 16%. Autrement dit lors des récessions, ce sont les emplois précaires ou intérimaires qui servent de variable d’ajustement, tandis que le taux de chômage des plus qualifiés est acyclique et en grande partie frictionnel. Que ce soit par l’inflation ou la montée du chômage, les plus modestes vont souffrir davantage des déséquilibres conjoncturels que nous traversons.
De la même manière qu’une inflation incontrôlée est nuisible, un chômage élevé et persistant n’est pas souhaitable. Les banques centrales doivent ainsi faire le choix entre la peste et le choléra. Deux maladies qui touchent en priorité les populations vulnérables. Une chose est sûre : il n’y aura pas d’atterrissage en douceur pour les plus modestes !
Anthony Morlet-Lavidalie, économiste chez BSI Economics
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