« Swing State » : Derrière cette description dansante, se trouve en réalité la clé des futures présidentielles américaines, avec une poignée d’États en capacité de faire basculer le score en faveur de Joe Biden ou de Donald Trump. Plus que les grands conflits internationaux- Moyen-Orient, Ukraine- ou encore la bataille commerciale avec la Chine, qui intéressent surtout les élites des côtes Est et Ouest, c’est sur le front intérieur que se décidera le leadership de la première puissance mondiale pour les quatre années à venir. Et le résultat de cette bataille interne aura un impact considérable sur le reste du monde. Voilà pourquoi.
Une contribution d’Abdelmalek Alaoui
« L’Arizona avant Gaza ». Tel pourrait être le mot d’ordre des prochaines élections américaines. Cet état frontalier du Mexique abrite en effet 11 votes de grands électeurs absolument cruciaux pour les deux candidats, et a changé de camp à chaque élection précédente. Et de manière très symbolique, l’Arizona abrite le grand canyon, illustrant un peu plus deux camps qui s’affrontent de plus en plus violemment depuis la fin du second mandat de Barack Obama. D’un côté, l’Amérique qui gagne. Elle a bénéficié d’un tournant libéral inédit combiné à des taux d’intérêts bas qui lui permettent aujourd’hui d’afficher un salaire moyen annuel par habitant près de 50% plus élevé qu’en France. Mais pas uniquement, cette Amérique conquérante sur fond de ralentissement de la croissance chinoise truste aussi les premières places en matière d’innovation, de technologie, voire de conquête spatiale avec ses vaisseaux amiraux que sont Apple, Tesla, Amazon, Google, Alphabet. Mezzo Voce, presque sans bruit, l’Amérique a donc considérablement accru sa puissance économique et financière au cours de la décennie écoulée, alors même qu’elle traversait de multiples crises politiques ainsi qu’une pandémie. De l’autre côté de ce grand Canyon, regardant cette Amérique triomphante filer vers les fronts baptismaux, se trouvent les laissés pour compte de cette dynamique : les déclassés de l’ancienne « Rust Belt » (La ceinture de la rouille), les classes moyennes écrasés par l’Inflation galopante, ainsi que ceux qui n’ont pas pu prendre le train de la réindustrialisation par manque de formation et qui se gavent de réseaux sociaux de plus en plus conspirationnistes. Entre ces deux franges américaines, le dialogue est désormais impossible. Chaque clan a ses codes, ses médias, ses figures de proue et ses emblèmes. Les deux groupes se sont cristallisés.
Hyper Polarisation VS désaffection
C’est dans ce climat d’hyper polarisation que se dessine une élection entre un Président vieillissant qui s’est obstiné faute de trouver un successeur crédible, et un Donald Trump revanchard qui sait toujours aussi bien mobiliser les foules, malgré un calendrier judiciaire très chargé. Si la thématique de l’âge du « capitaine » a un temps occupé le débat électoral, la campagne semble désormais se concentrer sur des enjeux plus locaux, et notamment la manière dont devraient voter cinq Etats-Pivots qui devraient passer dans l’escarcelle de Donald Trump selon un sondage récent commandé par le New York Times .
Or, les États du Wisconsin, de Pennsylvanie, d’Arizona, du Michigan, de Géorgie et du Nevada sont ceux dont les grands électeurs peuvent faire basculer l’élection en faveur des démocrates ou des républicains. Au-delà de cela, toujours selon la même source, de plus en plus de jeunes ainsi que les minorités hispaniques et noires se détournent de Joe Biden, alors même que ces populations votaient traditionnellement démocrate. Autre facteur à prendre en compte, la candidature de l’indépendant Robert F. Kennedy Junior arrive pour la première fois à faire un score à deux chiffres dans ces états, bouleversant le clivage traditionnel entre démocrates et républicains. La combinaison de ces trois dynamiques : enjeux locaux, modification des profils des votants, et montée en puissance d’un candidat indépendant risque de déboucher sur une élection au résultat tout sauf certain.
Vers un avenir incertain pour les démocraties occidentales ?
Or, si l’Amérique venait à connaître une autre élection très serrée, avec un Donald Trump contestant à nouveau les résultats, les répercussions pourraient être profondes pour les démocraties occidentales. L’érosion du magistère moral américain, déjà entamée par les précédents épisodes de contestations électorales combinées à des positions « flottantes » sur les grands sujets internationaux, pourrait s’accélérer. Le leadership américain, jadis perçu comme un modèle de stabilité et de démocratie, serait davantage remis en question.
Les risques d’une telle situation sont multiples. Premièrement, une Amérique plongée dans une crise politique prolongée pourrait voir sa capacité à influencer positivement les démocraties émergentes diminuer. Deuxièmement, les alliés traditionnels des États-Unis pourraient chercher à réévaluer leurs relations et dépendances face à un partenaire devenu imprévisible. Enfin, cette instabilité pourrait offrir une opportunité aux régimes autoritaires de renforcer leur influence.
Dans ce contexte, le récent sommet sino-russe prend une importance particulière. La Chine et la Russie, déjà en quête de redéfinition de l’ordre mondial à leur avantage, pourraient voir dans les troubles américains une chance de promouvoir leur propre modèle de gouvernance. Une Amérique affaiblie sur la scène internationale pourrait faciliter les ambitions de ces deux puissances, renforçant ainsi leurs positions respectives en Asie, en Europe de l’Est et au-delà.
Les prochaines élections américaines ne détermineront pas seulement le futur président des États-Unis, mais auront des implications profondes pour l’ensemble des démocraties occidentales. Une nouvelle contestation électorale, surtout si elle émane de Donald Trump, pourrait précipiter l’érosion du modèle américain. Cela augmenterait mécaniquement les risques géopolitiques dans un monde où la rivalité est-ouest s’accentue et où les frictions avec un « sud-global » affirmant de plus en plus son indépendance ne cessent d’augmenter.
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