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Accord gazier entre l’Azerbaïdjan et l’UE : la Russie pourrait venir jouer les trouble-fêtes

Azerbaïdjan
Ilham Aliyev en visite à la Commission européenne, juin 2013. | Source : Getty Images

En accusant directement Moscou, l’Union européenne (UE) et l’Azerbaïdjan estiment que les séparatistes arméniens soutenus par la Russie sont prêts à déclencher une nouvelle guerre.

 

L’Azerbaïdjan et l’Arménie se sont livrés une guerre intense entre 1988 et 1994, puis à nouveau à l’automne 2020 avant l’annonce d’un cessez-le-feu la même année. Pour certains, le conflit est loin d’être résolu, car l’Arménie n’a toujours pas signé de traité de paix officiel.

Le principal problème actuel concerne une région connue sous le nom de Karabakh, où patrouillent les forces de maintien de la paix russes et où vivent des Arméniens de souche qui ne veulent pas devenir des citoyens azerbaïdjanais. Le Karabakh est une région montagneuse située entre les deux pays, qui faisaient autrefois partie de l’URSS.

L’Arménie a repris la région du Karabakh à l’Azerbaïdjan lors d’une guerre dans les années 1990, mais l’a perdue lors du dernier cessez-le-feu. Les deux pays voisins sont toujours à couteaux tirés et les tensions ne cessent d’augmenter alors que l’Azerbaïdjan a conclu un protocole d’accord avec l’UE dans le cadre d’un contrat gazier lucratif signé en juillet 2022. L’accord avec l’Azerbaïdjan est censé doubler les importations de gaz naturel de l’UE pour atteindre au moins 20 milliards de mètres cubes par an d’ici 2027.

« Le rôle de l’Azerbaïdjan en tant que partenaire énergétique fiable est important dans le paysage mondial. En s’engageant à porter ses approvisionnements en gaz naturel à 20 milliards de mètres cubes d’ici 2027, l’Azerbaïdjan contribue déjà de manière significative au renforcement de la sécurité énergétique de l’Europe », a déclaré le Premier ministre britannique Rishi Sunak dans son discours lors de la conférence Baku Energy Week.

Avant la guerre, en 2021, les États membres de l’UE ont importé 155 milliards de mètres cubes de gaz naturel russe, soit 45 % des importations totales de gaz, selon l’European Council on Foreign Relations (ECFR).

Au cours des 12 derniers mois, le partenariat énergétique de l’UE avec l’Azerbaïdjan est devenu l’une des relations stratégiques essentielles de l’Europe. Plusieurs États membres de l’UE importent et utilisent déjà du gaz de la mer Caspienne, où se trouve l’Azerbaïdjan. Les livraisons ont commencé en 2020 par les gazoducs transadriatique et transanatolien, qui font partie du corridor gazier sud. De plus en plus de gaz azerbaïdjanais est acheminé vers l’Italie, la Croatie, la République tchèque, le Portugal, l’Espagne, l’Allemagne, la Roumanie, la Grèce, l’Autriche et la Bulgarie.

Récemment, le président du Conseil européen, Charles Michel, s’est entretenu avec les dirigeants de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan pour discuter de la situation au Karabakh. Il a souligné que l’UE était prête à « contribuer à faire progresser la paix et la stabilité dans la région ».

Les problèmes frontaliers au Karabakh, qui faisait autrefois partie de l’Union soviétique, pourraient-ils compromettre l’accord européen sur le gaz ?

« Les exportations importantes de pétrole et de gaz naturel en provenance d’Azerbaïdjan ne dépendent pas d’un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan », affirme Brenda Shaffer, membre de la faculté de l’U.S. Naval Postgraduate School en Californie. Elle est spécialiste de l’énergie dans la région de la mer Caspienne et chercheuse à l’Atlantic Council.

« Les résultats de la guerre de 2020 entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont eu un impact sur la sécurité du corridor d’exportation de l’énergie », explique-t-elle. « L’Arménie est désormais dissuadée de tenter d’attaquer ce corridor, comme elle l’a fait par le passé. »

 

L’approvisionnement en gaz de l’Europe est bon, pour l’instant

L’UE a envoyé une mission civile pour aider à maintenir l’ordre du côté arménien de la région du Karabakh. L’Azerbaïdjan n’aurait pas apprécié la présence de l’UE sur place, selon un rapport de Politico EU.

Le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, a critiqué l’ingérence extérieure dans le conflit qui oppose son pays aux séparatistes arméniens. Il a déclaré que ceux qui soutenaient les séparatistes n’arrangeaient pas les choses.

« Nous avertissons certains pays qui soutiennent l’Arménie à partir de maintenant […] qu’ils doivent mettre un terme à leurs sales agissements », a-t-il déclaré dans son communiqué du 18 mars. « Les médiateurs impliqués dans le conflit du Karabakh [tentent] non pas de résoudre la question, mais de la geler », a-t-il affirmé, ajoutant que les Arméniens de souche vivant dans la région du Karabakh, aujourd’hui en Azerbaïdjan, ne bénéficiaient pas de garanties spéciales supérieures à celles qu’obtiendrait un citoyen azerbaïdjanais.

Depuis l’époque soviétique, la Russie a toujours joué un rôle d’intermédiaire et de médiateur de paix dans cette région.

L’ensemble de la région était une province impériale russe et est devenue plus tard l’un des États soviétiques dans un patchwork de frontières inventées dans les années 1920. Joseph Staline a personnellement tracé les frontières des trois républiques du Caucase du Sud, à savoir la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan afin de laisser d’importants groupes de minorités dans chaque république pour exacerber délibérément les tensions, selon certains historiens, et maintenir une présence militaire dans la région.

À l’heure actuelle, quelque deux mille soldats russes sont présents sur place en tant que gardiens de la paix.

La Russie a organisé des pourparlers entre les deux parties en mai, mais certains acteurs du secteur du gaz naturel à Bakou sont maintenant en colère contre Moscou. Gazprom a perdu des parts de marché pour le gaz naturel en Europe à cause des sanctions. Dans l’ensemble, la société s’est bien débrouillée pour vendre sur de nouveaux marchés. Toutefois, les Azerbaïdjanais craignent que la Russie ne provoque une escalade dans le Caucase du Sud en utilisant les séparatistes arméniens pour contrecarrer l’intérêt de l’Europe à travailler avec l’Azerbaïdjan ou, tout simplement, pour se venger de l’Europe.

« Ce printemps a été le plus meurtrier le long de la frontière depuis le cessez-le-feu de 2020 », a déclaréOleysa Vartanyan, chercheuse principale au sein du groupe de réflexion sur les études de paix The Crisis Group, basé à Tbilissi (Géorgie), à la chaîne d’information allemande DW le 25 mai. Elle a indiqué qu’au moins quatre personnes étaient mortes dans les fusillades.

 

Les « séparatistes » et les Russes

Le nom qui revient toujours dans cette histoire est celui d’un célèbre financier arménien, Ruben Vardanyan. Il est proche de Vladimir Poutine et a été vu lors de collectes de fonds avec George Clooney.

En janvier, le Washington Times a publié un article rédigé par Janusz Bugajski, l’un des principaux experts du Caucase et de l’ex-Union soviétique, qui a énuméré une longue liste d’accusations visant Ruben Vardanyan, allant du blanchiment d’argent à la fourniture d’un soutien logistique à la guerre menée par la Russie en Ukraine.

En raison de cette dernière partie, Ruben Vardanyan est considéré comme « une personne susceptible d’être immédiatement placée en détention et transférée aux forces de l’ordre de l’Ukraine ou des pays de l’OTAN » par Kiev, qui l’a inclus dans la base de données Mirotvoretz (Peacemaker) de l’UE.

L’année dernière, un projet de loi, le « Putin Accountability Act » (loi sur la responsabilité de Poutine) mené par le député américain républicain Jim Banks, avait ciblé Ruben Vardanyan pour qu’il fasse l’objet de sanctions. Ce projet est toujours en commission et n’a pas encore été voté.

Ce riche magnat (et fondateur de l’une des premières banques d’investissement russes, Troika Dialog) est considéré comme l’un des principaux acteurs du blocage d’une paix durable entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Le 28 mai, Ruben Vardanyan a déclaré sur sa chaîne Telegram en langue russe que les séparatistes ne devraient signer aucun accord avec l’Azerbaïdjan. Il a évoqué le terrible spectre du génocide arménien pour les convaincre.

Il écrit : « Aliyev n’a qu’une stratégie : l’expulsion et le génocide du peuple de l’Artsakh. » L’Artsakh est le nom donné par les Arméniens à la région azerbaïdjanaise du Haut-Karabakh. « La dernière ligne a été franchie. Soit vous défendez l’Artsakh, soit vous vous opposez à l’ensemble du peuple arménien. »

Ruben Vardanyan est lié au gouvernement séparatiste depuis un certain temps. Sur sa page Twitter, il écrit sur les questions des droits humains en lien avec la région du Karabakh et s’est particulièrement exprimé sur le prétendu blocage d’une route reliant la région à l’Arménie.

En tant que milliardaire figurant dans le classement Forbes, il a certainement les moyens de satisfaire ses passions.

Selon Brenda Shaffer, la Russie est un acteur important dans la région et Ruben Vardanyan a la bénédiction de Moscou. « Les soldats de la paix russes contrôlaient de facto la sécurité. Moscou permettait à la communauté arménienne du Karabakh de recevoir des armes, des soldats, des mines et bien d’autres choses encore », a-t-elle déclaré.

En septembre 2022, Ruben Vardanyan s’est rendu dans les zones contrôlées par les forces de maintien de la paix russes. « Vardanyan s’est rapidement imposé comme le leader de facto de la population arménienne et a commencé à saper les pourparlers de paix. Compte tenu du contrôle russe sur le territoire et des liens des Arméniens du Karabakh avec Moscou, il est impensable que Vardanyan se soit vu offrir le poste de dirigeant sans l’insistance de Moscou », explique Brenda Shaffer.

Le blocus de l’Azerbaïdjan, les fameux points de contrôle, aurait été conçu pour arrêter toute menace de flux d’armes vers le Karabakh. En outre, l’Arménie est l’un des moyens dont dispose la Russie pour contourner les sanctions. L’Arménie a été une source d’entrée en Russie de produits interdits, notamment de produits électroniques, tels que les micropuces utilisées pour les armes militaires, a rapporté le New York Times en avril.

Cependant, pour les séparatistes arméniens, le poste de contrôle est un blocus, car il ferme la seule route menant à l’Arménie. Certains affirment que la route est complètement fermée et qu’il n’y a pas de poste de contrôle, sauf peut-être pour les véhicules officiels du gouvernement.

Le 21 juin, les séparatistes ont appelé à une intervention internationale, affirmant que l’aide humanitaire ne pouvait pas être acheminée dans la région en raison de la situation.

 

Le spectre d’une nouvelle guerre

Il est peu probable qu’une nouvelle guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan mette un terme aux flux de gaz, mais cela dépend de la décision de l’UE et du camp qu’elle choisira. Si elle se montre hostile à l’Azerbaïdjan, les sanctions pourraient compromettre une fois de plus la politique énergétique de l’UE. C’est le pire des scénarios.

Dans l’état actuel des choses, les États-Unis se montrent hostiles à l’Azerbaïdjan. La Commission Tom Lantos des droits de l’homme à Washington a tenu une audition le 21 juin sur les points de contrôle de l’Azerbaïdjan dans le Karabakh. Au moins un membre de la Commission, Adam Schiff, membre du Congrès de Californie, a appelé à des sanctions dans sa déclaration écrite. Il a même désigné le Karabakh par le terme préféré de Ruben Vardanyan, « Artsakh ».

Washington sanctionnerait-il à nouveau un pays important pour la sécurité énergétique de l’Europe ? Cela a déjà été le cas par le passé. Politico EU estime que les efforts déployés par Bruxelles pour apaiser les tensions ne suffisent pas.

Le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, subit des pressions pour protéger les droits des Arméniens du Karabakh, mais Bakou souhaite naturellement que le gouvernement séparatiste et les structures militaires soient dissous. L’Azerbaïdjan veut que les Arméniens de la région deviennent des citoyens azerbaïdjanais à part entière, selon Reuters.

L’Azerbaïdjan réfute l’affirmation de Ruben Vardanyan selon laquelle les autorités azerbaïdjanaises soumettent les Arméniens à un nouveau génocide ou que les points de contrôle routiers sont destinés à leur rendre la vie difficile.

Il semble que Ruben Vardanyan se soit « retiré » de son poste au Karabakh et qu’il s’efforce désormais de faire passer son message concernant sa nouvelle campagne en faveur des droits humains sur les réseaux sociaux. Il a quitté le gouvernement séparatiste en février, selon Reuters, bien qu’il ait affirmé qu’il n’avait pas été nommé à un quelconque post par Moscou.

Certains membres du gouvernement azerbaïdjanais se réjouissent de son départ, allant même jusqu’à demander à Bruxelles et à Washington de l’ajouter à une liste de criminels recherchés par Interpol.

Les objectifs de la Russie et de l’Europe dans le Caucase sont diamétralement opposés. L’Arménie et l’Azerbaïdjan n’ont pas besoin d’une nouvelle guerre. La paix dans le Karabakh assure également le développement économique de l’Arménie après des décennies d’isolement et de pauvreté. Des millions d’Arméniens ont quitté leur patrie au fil des ans, se dispersant dans les communautés arméniennes des États-Unis, d’Europe et de Russie.

Il est impératif que le Caucase soit calme pour garantir la sécurité énergétique de l’Europe.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Kenneth Rapoza

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