TRIBUNE | Le 8 mars est l’occasion de mettre en exergue les progrès concernant les droits des femmes. A ce titre, après avoir rejeté le 19 octobre dernier la constitutionnalisation de l’avortement, la Sénat l’a finalement adoptée le mercredi 1er février 2023. Cette dernière pourrait apparaitre souhaitable, compte-tenu des effets économiques et sociaux qu’elle pourrait engendrer. Demeureront toutefois un certain nombre de difficultés pratiques auxquelles les femmes devront toujours faire face.
La décision « Roe vs Wade », rendue le 22 janvier 1973 par la Cour suprême des États-Unis a opéré une constitutionnalisation de l’avortement, mais en ne s’appuyant que sur l’un des trois pouvoirs constitutionnels : le pouvoir des juges. Certes, il est bien établi que l’importance du pouvoir judiciaire américain est le corolaire d’une séparation stricte et équilibrée avec les deux autres pouvoirs que sont l’exécutif et le législatif, mais ce qu’un pouvoir a fait, il peut également le défaire. Cela explique pourquoi la Cour suprême a pu revenir en arrière en juin 2022 et considérer que les États fédérés ont désormais de nouveau la possibilité de légiférer sur ce sujet comme ils l’entendent.
C’est dans ce contexte qu’une réflexion s’est engagée en faveur d’une constitutionnalisation de l’avortement au Sénat français (la navette parlementaire est en cours). C’est également ce qui a conduit le Parlement européen à réclamer l’inscription de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, ce qui est une forme de constitutionnalisation.
La légalisation de l’IVG est bénéfique à l’économie : quid de la constitutionnalisation ?
Outre la mise en péril du droit des femmes à disposer de leur propre corps, le retour en arrière engagé par la Cour Suprême américaine a également conduit à un préjudice économique notable. La France, quant à elle, pourrait s’affranchir de ce préjudice avec la constitutionnalisation de l’avortement.
Il n’est pas encore possible de tirer des conclusions claires des conséquences inhérentes à la décision de juin 2022, encore trop récente. Néanmoins, en s’appuyant sur des données antérieures à la jurisprudence « Roe vs Wade », plusieurs études se sont attelées à comparer la situation entre les 5 États américains qui avaient levé les restrictions sur l’avortement et les 45 autres États ayant interdit la pratique. La recherche tend à soutenir un résultat positif et significatif de la législation sur le niveau d’éducation, le degré de pauvreté, le recours à l’aide sociale, le niveau de salaire ainsi que l’accès au crédit. Aux États-Unis, les femmes ayant recours à l’IVG sont souvent des femmes jeunes, défavorisées et noires, et l’impossibilité d’accéder à l’avortement pèse durablement sur leur avenir ainsi que sur celui de leur enfant.
Les travaux de recherche présentés antérieurement se concentrent sur des populations spécifiques de femmes qui ne sont pas nécessairement représentatifs de la population sujette à l’avortement. En effet, le spectre de l’IVG est beaucoup plus large que les échantillons qui ont été ciblés par ses études. Il faut par exemple rappeler qu’une Française sur trois aura recours à l’avortement au moins une fois dans sa vie, ce qui démontre que l’IVG ne touche pas que les femmes particulièrement vulnérables. Les résultats de ces études américaines sont donc à interpréter avec beaucoup de précautions.
Le concept de constitutionnalisation n’est sans doute pas parfaitement transposable entre les États-Unis et le vieux continent. Plus précisément, la constitutionnalisation par la jurisprudence de la Cour suprême américaine est moins durable et protectrice que la révision du texte constitutionnel telle qu’elle est envisagée en France. L’on peut toutefois déduire des études économiques précitées que la constitutionnalisation du droit à l’IVG permet au minimum de garantir la conservation des mêmes bénéfices.
L’accès à l’avortement présente toutefois de fortes disparités inhérentes au niveau de revenu et la situation géographique des individus que même le recours à la constitutionnalisation ne permet sans doute pas de contourner. En ce sens, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) fait état d’écarts persistants entre les régions de France (11,3 IVG pour 1 000 femmes en Pays de la Loire pour 21,8 IVG pour 1 000 en Provence-Alpes-Côte d’Azur), notamment liés aux déserts médicaux qui subsistent dans les zones rurales et défavorisées. Pour ne citer qu’un exemple, 38,4 % des Meusiennes qui voulaient avorter en 2021 ont été contraintes de se déplacer dans un autre département.
Ensuite, bien que cet acte médical soit totalement pris en charge par l’Assurance Maladie depuis 1982, l’IVG en particulier pratiquée par la méthode d’aspiration peut donner lieu à des dépassements d’honoraires pouvant s’élever jusqu’à 600 euros, selon l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH).
Le besoin d’une réflexion sur la réalité de l’accès à l’IVG se fait donc sentir sur le fondement de considérations économiques, le contexte américain nous le rappelle, et la constitutionnalisation pourrait être l’occasion d’un déclic à cet égard.
Caroline Perrin (BSI Economics, Université de Strasbourg,) et Pierrick Bruyas (Université de Strasbourg)
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