Une contribution de Guillaume Roland, avocat associé en droit social au sein du cabinet Herald
Voici une décision qui a défrayé la chronique juridique dont il faut mettre en lumière une autre facette.
La Cour de cassation dans sa décision du 2 octobre dernier (pourvoi n°23-11.582), pose le principe que si une salariée en congé maternité doit bénéficier des augmentations salariales, celles-ci ne sont pas dues pour la période du congé de maternité durant laquelle le contrat de travail est suspendu, l’employeur n’étant tenu de les verser qu’à l’issue de ce congé et pour la période postérieure à celui-ci.
La Cour fait donc jouer à plein les effets de la suspension du contrat.
Elle fait de même avec la question du travail exécuté pendant le congé maternité et cette partie de la décision moins commentée est sans doute de plus grande portée car elle s’applique tant aux congés maternité qu’aux arrêts maladie.
Comment traiter le travail pendant un arrêt maladie ou maternité ? Est-ce réellement du travail et y applique-t-on dès lors les règles relatives à l’exécution du travail alors que le contrat de travail est suspendu ? Ou considère-t-on qu’il s’agît d’une question de préjudice subi par le salarié dont la résolution se trouvera dans l’octroi de dommages et intérêts ?
Dans cette affaire, une salariée avait été recrutée par une fondation et y occupait en dernier lieu un poste à responsabilité, directrice régionale, qui l’avait sans doute conduit à travailler y compris pendant ses arrêts maladie et maternité. La fondation ayant des difficultés économiques avait licencié la salariée par la suite, ce que celle-ci avait contesté devant le conseil de prud’hommes.
Outre des demandes au titre de la contestation de son licenciement et d’un rattrapage salarial pendant son arrêt maternité (objet d’une partie de la décision ici commentée), la salariée formulait des demandes de rappel de salaires et d’indemnité pour travail dissimulé dès lors qu’elle avait constaté que son employeur l’avait faite travailler pendant son congé maternité.
Les juridictions du fond n’ont pas suivi la salariée, le Conseil de prud’hommes de Perpignan l’ayant débouté de toutes ses demandes et la Cour d’Appel de Montpellier ne lui donnant raison que sur la violation de son statut de salariée protégée en lui octroyant 2.000 de dommages et intérêts. Le travail pendant son arrêt maternité n’était donc compensé que par cette indemnité.
La salariée se pourvoit alors devant la Cour de cassation.
Mais avant de détailler la décision, rappelons que la Cour de cassation a rendu une décision le 2 septembre dernier sur le même sujet mais, la Cour n’étant saisie que par les demandes des parties ou pour l’écrire plus prosaïquement, ne répondant qu’aux questions qui lui sont posées, y a répondu différemment. Dans cet arrêt de septembre, une salariée se plaignait comme dans notre cas d’espèce d’avoir travaillé pendant son congé maternité et considérait qu’il s’agissait d’une violation de l’obligation de sécurité et de santé au travail qui s’impose à l’employeur. La Cour de cassation lui a donné raison et considérant que l’obligation de sécurité et de santé au travail figure parmi les normes essentielles à protéger, a même posé le principe que sa violation constitue un « préjudice nécessaire » ouvrant droit automatiquement à réparation dispensant la victime de la preuve de son préjudice (Cass. Soc. 4 septembre 2024 n°22-16.129 B).
Revenons à présent à notre arrêt. Devant la Cour de cassation, la salariée reprenait l’ensemble de ses demandes sans cacher qu’une certaine morale devait lui donner raison (en creux, son argumentaire visait à rappeler que tout travail mérite salaire et qu’il paraissait absurde de ne pas le compenser au prétexte que la salariée « avait été déclarée (pendant son congé maternité) aux organismes sociaux »).
Dans son avis, l’avocate générale proposait une solution fondée sur la responsabilité civile contractuelle, ce que va suivre la Cour dans un attendu de principe : « En application de l’article 1231-1 du code civil, l’exécution d’une prestation de travail pour le compte de l’employeur au cours des périodes pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie, d’accident ou d’un congé de maternité engage la responsabilité de l’employeur et se résout par l’allocation de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice subi ».
Accepter la position de la salariée consistant à lui verser des salaires pendant son arrêt maternité serait « revenir à une application des dispositions légales et stipulations contractuelles relatives à l’exécution du contrat de travail quand bien même celui-ci est suspendu » confondant période de suspension et de travail et réduisant « à néant la protection accordée aux salariés » (avis de l’avocate générale page 7).
La seule solution réside donc dans l’octroi de dommages et intérêts.
La Cour de cassation a dès lors cassé l’arrêt de la Cour d’appel car la responsabilité contractuelle est plus large que la simple la violation du statut de salariée protégée, et renvoyé devant une autre Cour pour un réexamen de cette affaire sur ce seul point.
Plus généralement, la Cour de cassation fixe le régime et les conséquences du travail exécuté (et non seulement imposé) pendant un arrêt de toute nature (maladie, accident ou congé maternité) : le seul constat de ce travail ouvre droit à une indemnité pour violation de l’obligation de sécurité et de santé au travail (arrêt du 4 septembre 2024 précité) et le décompte de ce travail peut en outre ouvrir droit à des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle (arrêt du 2 octobre 2024).
Les managers auront donc tout intérêt à surveiller leurs subordonnés en arrêt pour éviter que ceux-ci ne poursuivent leur travail car les conséquences pourraient être ravageuses : à suivre l’avocate générale les dommages et intérêts peuvent « fort bien excéder le montant des salaires qui auraient normalement été dus si le contrat de travail n’avait pas été suspendu » (avis précité).
Cass. Soc. 2 octobre 2024 n°23-11.582
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