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Tout est pouvoir dans les organisations

Une contribution de Barbara Carrière et Nicolas Bartel d’Eurogroup Consulting 

 

Une réplique culte du film Le bon, la brute et le truand est : « Tu vois, le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses ». Selon cette citation, le pouvoir serait une capacité de contraindre et d’exiger d’autrui qu’il exécute des ordres donnés. La notion de pouvoir est très étudiée en science politique, en philosophie et en sociologie mais très peu en management alors que c’est une variable structurante dans les entreprises qui pourrait être davantage analysée et travaillée.

Le pouvoir un thème polymorphe et structurant

Les écrits de Rousseau nous amènent à penser que sans état de droit il n’y a plus de liberté mais jusqu’où l’état de droit peut-il aller pour garantir la liberté. L’état de droit désigne un pouvoir souverain qui représente le peuple. Le pouvoir est la conséquence des structures souveraines qui organisent et qui protègent du chaos et de l’anarchie. Cette vision sociale du pouvoir et « civilisée » cohabite avec une autre plus sombre développée par Hobbes et résumée par la formule « l’homme est un loup pour l’homme ». La condition humaine est comprise comme un rapport de force avec le pouvoir comme condition de survie.

Le pouvoir n’est pas réservé à la sphère publique des états, il est dans toutes les organisations et à tous les niveaux que ce soit dans une entreprise, une famille, une association et même dans les cours de récréation de nos enfants. Les psycho-sociologues French et Raven ont défini dans les années 1950 cinq sources de pouvoir : la légitimité, l’expertise, la coercition, les récompenses et l’influence. Le pouvoir est très souvent représenté de manière binaire : le pouvoir d’injonction (la contrainte) et le pouvoir d’influence (recherche de consentement). Bourdieu parlera « de pouvoir des pouvoirs » pour décrire un rapport entre dominé et dominant au moyen de la détention du capital.  Pour Bourdieu, le capital économique nécessite d’être transformé en capital symbolique qui matérialise le pouvoir dans les relations. Foucault a évoqué la notion de relations de pouvoir pour montrer une dynamique de luttes et d’affrontements permanents. Le pouvoir est un moyen d’exercer une volonté mais c’est aussi une valeur sociale qui opère une segmentation des groupes sociaux. Max Weber identifie et hiérarchise les groupes sociaux selon le critère économique (l’accès aux biens et services), le critère social (le prestige) et le critère du pouvoir politique.

Pourquoi les sciences du management parlent-elles aussi peu du pouvoir ?

Très peu de travaux en management traitent de la notion de pouvoir et de son rôle structurant dans le fonctionnement et la performance des systèmes sociaux. Par pouvoir nous entendons, la capacité à faire réaliser une demande par d’autres et de bénéficier d’un statut social différenciant. Les travaux de Friedberg et d’Axelrod ont montré, pour des motifs différents (contrôler l’autre, structurer avec des règles, obtenir une coopération, proposer une délégation, valoriser l’expertise, agir collectivement), le fait que les personnes étaient en quête de pouvoir et que les comportements d’action pouvaient être fortement influencés par cette quête. Dans les organisations, le pouvoir de la décision s’est dilué au profit de la normalisation. Celui qui a du pouvoir c’est celui qui définit la norme et sanctionne en cas de non-application. Cette administration du pouvoir, si elle se veut plus vertueuse, est-elle pour autant efficace et juste ? Le pouvoir est-il confié au plus compétent, honnête et capable ou au contraire à celui qui définit et applique la règle ? Les organisations nécessitent des structurations et des règles. Nos propos ne sont pas nihilistes mais jusqu’où la règle est le pouvoir ?

Agir sur le pouvoir

Le pouvoir a une dimension dynamique (conquérir le pouvoir) et une dimension statique (conserver le pouvoir). Mais le pouvoir, du fait de son rôle structurant dans le fonctionnement des groupes, est une variable de gestion qui permet d’augmenter la performance des organisations. Cela invite les entreprises à interroger leur gouvernance (Qui donne le pouvoir à qui) mais aussi les manières d’exprimer le pouvoir dans des environnements de justice sociale. Le pouvoir est souvent associé à la sanction mais il peut être un levier de récompense et d’engagement. D’autres thèmes comme la pratique du pouvoir ou la transmission du pouvoir sont des sujets socio-organisationnels à appréhender. Très peu d’entreprises font cet exercice d’exégèse sur le pouvoir et les manières de le faire évoluer. Les notions d’influence, de lobbying mais aussi une lecture des organisations en termes de pouvoirs ont leur place dans les projets d’innovation managériale.


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