Erin Brockovitch, Edward Snowden, Julian Assange… La loi garantit-elle une réelle protection pour les lanceurs d’alerte qui ont en face d’eux des grandes entreprises, des lobbies, ou même des Etats ? Comment lancer l’alerte ? A qui signaler ces faits ? Le point avec Pauline Guillaume, avocate chez Greniers Avocats.
Alors que le procès de Julian Assange à Londres vient de s’ouvrir, avec pas moins de 18 chefs d’inculpation retenus contre lui aux Etats-Unis, le débat sur la protection des donneurs d’alerte est relancé, d’autant que sur un plan juridique son statut est inégal au sein de l’Union européenne avec seulement 10 pays membres disposant d’une loi complète sur le sujet, et dont la France fait partie depuis 2016 avec la loi Sapin II. Pour harmoniser et renforcer la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, L’Union européenne vient d’adopter une directive qui entrera en vigueur en 2021. Pour celui qui souhaite témoigner d’une infraction ou pour les entreprises dont la hiérarchie est impliquée, les questions son nombreuses quant à la procédure adéquate pour agir dans le respect de la loi. Pour mieux saisir les mécanismes de l’alerte, Patrice Grenier, fondateur du cabinet Grenier Avocats nous éclaire.
Désirée de Lamarzelle : A quelles conditions est accordé le statut de lanceur d’alerte ?
Patrice Grenier : Selon la loi Sapin II, le lanceur d’alerte doit être une personne physique – ce qui exclut un syndicat ou une ONG – qui révèle de manière désintéressée une infraction, une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général. Il doit respecter impérativement la procédure de signalement qui est d’en référer à son supérieur hiérarchique qui devra vérifier les faits rapportés dans un « délai raisonnable », sinon le lanceur d’alerte peut contacter les autorités judiciaires ou administratives. Enfin si les autorités ne traitent pas l’alerte dans un délai de trois mois, le lanceur d’alerte pourra rendre publics les faits objet de l’alerte. Exception oblige : une alerte peut être portée directement à la connaissance des autorités ou être rendue publique s’il existe un danger grave et imminent ou un risque de dommages irréversibles.
De quelle protection parle-t-on ?
On parle d’un dispositif de recueil des signalements mis en place au sein des entreprises qui doit garantir la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte mais aussi des personnes visées par l’alerte. Pour éviter des situations de harcèlement au sein de l’entreprise, le destinataire de l’alerte qui divulguerait ces informations risque jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. Il est protégé contre toute mesure de rétorsion ou de représailles et ne pourra pas être licencié, par exemple.
En quoi la directive européenne va-t-elle plus loin dans la protection des lanceurs d’alerte ?
Tout d’abord, elle élargit la liste des bénéficiaires du statut de lanceur d’alerte. Par exemple, un ancien salarié ou un candidat à un poste dans l’entreprise pourra bénéficier de ce statut protecteur. Enfin, il y a deux critères de la définition du lanceur d’alerte de la loi Sapin II qui ne sont pas repris dans la directive : le désintéressement et le fait d’avoir eu personnellement connaissance des faits révélés. Et point essentiel, les lanceurs d’alerte n’auront plus l’obligation d’alerter, dans un premier temps, son employeur s’il craint que sa hiérarchie soit déjà informée voire cautionne les faits qu’il a découvert ou encore s’il estime qu’il existe un risque de dépérissement des preuves, il pourra en alerter directement les autorités.
La directive prévoit également des structures d’accompagnement des lanceurs d’alerte autant sur le plan juridique, psychologique mais aussi financier pour des personnes qui peuvent se retrouver dans des situations très difficiles à la suite de révélations.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises pour la mise en place d’un dispositif de recueil et de traitement des alertes efficace ?
La réception d’une alerte doit être vue par l’entreprise comme une opportunité de déceler un problème et de le traiter en interne. Avec un bon dispositif qui doit inspirer confiance auprès de collaborateurs afin d’inciter ces derniers à lancer l’alerte en interne plutôt que de révéler les faits aux autorités ou au public (médias, réseaux sociaux…).
Pour les personnes qui souhaitent lancer une alerte ?
Nous conseillons aux lanceurs d’alerte de se faire accompagner dans cette démarche ! En effet, les conditions d’obtention du statut de lanceur d’alerte sont très strictes et les conséquences de l’alerte peuvent être très préjudiciables pour son auteur. Ils peuvent interroger le Défenseur des droits ou des associations afin d’être guidés dans le processus de signalement des faits découverts (en faisant toutefois très attention à ne pas révéler le nom de l’entreprise et des personnes impliquées). Dans les cas plus sensibles et notamment le cas extrême où la hiérarchie du lanceur d’alerte serait impliquée dans les faits à signaler, nous ne pouvons que recommander d’avoir recours à un avocat, qui pourra l’assister tout au long du processus.
Mais le plus impératif est que les lanceurs d’alerte respectent la procédure prévue par la loi Sapin II, au risque de se voir refuser la qualité de lanceur d’alerte et de ne pas pouvoir bénéficier de la protection.
Et pour les personnes visées par une alerte ?
Qu’elles soient à tort ou à raison visées par l’alerte, elles doivent également être accompagnées, que ce soit par un représentant du personnel ou un avocat, et s’assurer que ses droits de la défense soient respectés tout au long de la procédure, notamment le droit d’être entendu, le droit d’accès au dossier ou encore le droit de rectification par exemple d’un PV à la suite d’une audition dans le cadre d’une enquête interne.
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