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Souffrance au travail // Karoline Jean-Charles : « La thérapie d’entreprise une solution profonde et durable » 

En matière de souffrance ou de mal-être au travail, quand les collaborateurs consultent un avocat, c’est souvent qu’il est trop tard. Pour mieux comprendre comment les organisations peuvent agir en amont, j’ai décidé cette semaine d’interroger Karoline Jean-Charles, thérapeute en entreprise et fondatrice du cabinet Clefs de soi

 

Quels sont les défis sociaux et les nouveaux enjeux RH auxquels font face les organisations aujourd’hui ? 

Karoline Jean-Charles : D’après un sondage réalisé par l’ADP Research Institute avant la pandémie, seul 18% des sondés étaient pleinement investis au travail, 17% se sentait extrêmement résilients au travail et seulement 14 % faisaient confiance à leur dirigeant et chef d’équipe. Le centre de prévention des maladies des Etats-Unis a également indiqué que 71% des adultes présentaient au moins un symptôme de stress associé au travail. 

Dans un contexte globalisé, la France n’est pas exempte de ce phénomène qui s’est accentué avec la pandémie. L’engagement et la résilience des collaborateurs ont atteint une chute record conduisant en 2021 au phénomène inédit de « Grande démission ». 

C’est la fin de la hustle culture. Aujourd’hui, les ventes des livres de développement personnel et de Feel Good Book explosent. 

Je fais partie de la génération des digital natives et nous sommes sans doute la première génération de travailleurs à oser ouvertement prendre le risque d’imposer une nouvelle philosophie de la réussite et du travail. Elle ne se cantonne plus à celle de notre statut social dû à nos responsabilités professionnelles, au salaire ; on veut plus… On a besoin de sens, de reconnaissance, d’épanouissement, de sentir et faire partie d’un projet de société et ce dans tous les pans de nos vies, y compris dans le monde du travail. On n’hésite pas à quitter la stabilité financière et un CDI recherché jadis par nos parents pour se reconvertir dans des voies artisanales par exemple. Je ne compte plus le nombre de personnes en reconversion autour de moi, dans mon cercle privé et lors de mes consultations. 

Les entreprises ont tendance à mettre en place des dispositifs pour renforcer le collectif avec divers outils comme les team building, mais sans jamais penser que le cœur du collectif ce sont avant tout les individus et leurs particularismes. 

 

Le mot travail vient du latin tripalium, mais est-il nécessaire d’en faire un lieu de souffrance ? 

Karoline Jean-Charles :  Un proverbe dit « fait ce que tu aimes et tu n’auras jamais l’impression de travailler« . Pour moi, la vie est trop courte pour souffrir. Et surtout, pourquoi souffrir quand les entreprises ont les moyens et l’opportunité de rendre heureux leurs collaborateurs ?

Si je prends la métaphore de famille, lorsque les parents sont ATTENTIFS aux BESOINS individuels et spécifiques de chacun de leurs enfants, alors ils grandissent et évoluent dans les meilleures conditions. Attention, je ne défends pas une vision paternaliste de l’entreprise, mais une vision humaniste.

Ma génération aspire à bien plus qu’à un salaire ! Nous avons besoin d’AIMER ce que l’on fait. 

La puissance économique d’une entreprise est le fruit du travail de ses salariés. Plus ils ont envie, aiment ce qu’ils font, sont motivés et pas simplement résignés, et plus ils sont productifs et donc « rentables ». C’est la raison pour laquelle je pense que les entreprises ont tout à gagner à faire appel à des personnes comme moi qui travaillent sur le bien-être global. 

 

Vous avez travaillé 7 ans dans des agences de publicité. Quel bilan tirez-vous de vos expériences ? Quel a été le déclic qui vous a poussé à vous reconvertir pour aider les entreprises à soutenir leurs collaborateurs ? 

Karoline Jean-Charles : Je dois bien avouer que je fais partie des plus chanceux, j’ai été embauchée avant même d’avoir reçu mon diplôme dans une grande agence internationale. J’ai eu la chance également de choisir les agences dans lesquelles je souhaitais travailler. Malgré tout, ça n’a pas empêché que d’être témoin de harcèlement sexuel, de dévalorisation hiérarchique, de surmenage… 

Quand on devient manager, on devient ensuite un funambule. Trouver l’équilibre entre les attentes de performance de sa direction et la protection de son équipe est très difficile à trouver lorsque nous ne sommes pas accompagnés. Et je ne parle pas d’un coaching en management, je parle d’un accompagnement thérapeutique. 
Parce que nous devons simultanément jongler avec les attentes de nos équipes et nos propres besoins. Je me suis retrouvée à faire un choix entre les préserver ou me préserver et j’ai choisi mon équipe. Mes patrons n’ont pas pris conscience à temps de tout ce que cela pouvait impliquer, ce qui m’a conduit au burn-out. 

À l’époque, ce mal-être m’a conduite à entreprendre une thérapie afin de mieux me comprendre et de gérer ces complexités. Aujourd’hui, je suis convaincue que si mon entreprise m’avait sensibilisée au sujet et proposé de m’accompagner, j’aurais saisi l’occasion. 

Maintenant je sais qu’on ne peut pas se dissocier. La thérapie permet d’apprendre à gérer ses émotions, apprendre à préserver les autres tout autant que les autres. 

 

En tant qu’avocat, j’ai le réflexe de dire que les problèmes de santé relèvent de la sphère privée et des sujets sensibles. Vous dites au contraire que les entreprises devraient s’intéresser aux addictions de leurs collaborateurs. Quels sont les bénéfices pour les entreprises ? 

Karoline Jean-Charles : Attention, ne nous méprenons pas, il ne s’agit pas d’avoir un droit d’ingérence dans la vie privée des collaborateurs, mais les problématiques individuelles peuvent être prises en considération par les collectifs. Tabac, stress, anxiété, prévention des burn-out, de l’obésité… Ce sont des sujets qui coûtent cher autant aux entreprises qu’aux individus et qu’à la société elle-même. 

Ne nous voilons pas la face, 70% des causes du stress viennent du monde du travail. Êtes-vous stressé en vacances ? En général, non.

Faites-vous un burn-out quand vous n’êtes pas surmené à jongler entre une vie professionnelle dense et votre vie personnelle ? Non.

Alors pourquoi le monde de l’entreprise ne devrait pas avoir son rôle lui aussi à jouer ?

Je trouve profondément injuste d’avoir à recevoir en consultation à titre privé des personnes qui souffrent du fait de leur travail. C’est la triple peine pour eux. Ils doivent faire la démarche de trouver de l’aide, de trouver le temps et les ressources financières pour aller mieux. Les thérapies ont un coût financier non négligeable et c’est l’un des principaux freins à la consultation.

Les bénéfices sont finalement multiples pour les entreprises. Agir sur le bien-être individuel permet d’agir directement sur la volatilité et l’adhésion des employés avec moins d’arrêt de travail et d’absentéisme, une meilleure cohésion de groupe, plus de créativité et d’innovation générée… Autant d’éléments qui favorisent la productivité des employés et la compétitivité de l’entreprise.

 

Pendant la pandémie de covid vous avez proposé un programme inédit d’« Hypnose pour les soignants » au sein de l’hôpital Ambroise-Paré à Boulogne-Billancourt. Pouvez-vous vous en dire plus ? Est-ce un modèle reproductible ? 

Karoline Jean-Charles :  À l’origine « Hypnose pour les soignants » est une initiative citoyenne et caritative que j’ai mise en place avec le Rotary Paris Porte d’Orléans pour apporter mon soutien aux personnels soignants. Je me suis demandé ce que je pouvais faire à mon niveau pour aider.

Il y a eu de nombreuses actions citoyennes incroyables en faveur des soignants de la part de particuliers, d’artisans, de commerçants et sans doute de grandes entreprises. Moi, je suis très mauvaise cuisinière, en revanche, j’avais l’envie d’aider et un savoir-faire. Je n’ai fait que les mettre à disposition avec l’un de mes confrères, Mathieu Boileaux. 

Le contexte particulier a fait que le recours aux ressources humaines pour s’inscrire à mes sessions n’était pas un problème. Aucune personne ne s’est sentie jugée de venir nous voir. C’est comme ça que le concept d’Attentive Care est né ! Un accompagnement bien-être thérapeutique dédiée aux collaborateurs. Le dispositif, porté par l’entreprise, comprend des consultations collectives ou individuelles auxquelles chaque collaborateur peut décider de prendre part.

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