Les soft skills ont toujours la cote. Pourtant, les recherches des entreprises semblent en décalage avec les nouveaux enjeux du marché du travail. Décryptage avec François Gros, Chief Product Officer chez Whoz, cabinet de conseil en intelligence artificielle.
Les soft skills sont devenues un critère plus que déterminant dans l’embauche d’un candidat. Whoz, leader français de la Lean Tech, a mis son IA au service d’une analyse des offres d’emplois rédigées en français et publiées sur des sites publics type Indeed.com, afin de répertorier les soft skills les plus recherchées par les employeurs. En moyenne, ce sont 200 000 à 300 000 offres publiées chaque mois qui ont été analysées depuis janvier 2019, via les recherches de dizaines de milliers d’entreprises (toute taille et tout secteur confondus).
Et les trois soft skills les plus recherchées sont…
« Rien de nouveau sous les tropiques » ! Pour 77 % des recruteurs, la rigueur apparaît comme la compétence « douce » la plus importante, loin devant l’esprit d’équipe (19 %) et l’autonomie (3 %) aux 2ème et 3ème rang. Les résultats de cette analyse montrent que l’aisance relationnelle, le dynamisme ou encore la capacité d’adaptation sont aussi valorisées par les recruteurs mais en bien moindre quantité.
Une étude réalisée par l’institut The Future of Work semblait indiquer que les trois compétences les plus recherchées par les employeurs, à un niveau international, étaient plutôt la capacité à résoudre des problèmes complexes, l’esprit critique et la créativité. Il est intéressant de constater la différence entre les compétences recherchées à un niveau mondial (15 pays) et celles recherchées en France.
Forbes France : « Rigueur », « esprit d’équipe », « autonomie » : que reste-t-il du sens de ces soft skills alors que ces termes ont été maintes fois rabâchés dans l’espace de l’entreprise ? Ces termes ne sont-ils pas galvaudés ? Ces compétences paraissent-elles encore pertinentes ?
François Gros : À force de lire les mêmes termes d’une offre d’emploi à une autre, sans pour autant y trouver nécessairement une contextualisation, il est légitime de se demander ce que les entreprises entendent réellement derrière ces termes, et si leurs propres définitions sont appropriées au monde du travail actuel et à venir.
L’autonomie c’est “la faculté de se déterminer par soi-même, de choisir et d’agir librement”. Si on s’en tient à cette définition, cette compétence n’est plus tout à fait adéquate à une époque où la collaboration à grande échelle semble un prérequis pour être en mesure de sortir les projets rapidement et de rester dans la course à l’innovation. À une époque où les métiers évoluent rapidement, où les nouveautés technologiques sortent à un rythme effréné, c’est surtout la “capacité d’apprentissage” et la “capacité d’adaptation” rapides qui semblent indispensables.
“L’esprit d’équipe” est aussi une nécessité pour s’assurer que les projets sortent en temps et en heure. Une collaboration efficace doit être au cœur des enjeux des managers. Mais une fois de plus, qu’entend-on par “esprit d’équipe” ? Pour nous, cela doit rimer entre autres avec :
- Un esprit d’entraide : les contributions des individus au service du collectif ;
- Une complémentarité des compétences : à titre individuel, savoir reconnaître et faire confiance aux compétences et qualités des uns et des autres, accepter qu’un.e tel.le soit plus compétent.e que soi-même…
- La créativité au cœur des réflexions : proposer des produits innovants pour se démarquer sur un marché ultra-concurrentiel ou encore trouver de nouvelles méthodologies de travail pour être plus efficients…
Enfin, la rigueur… Elle est définie comme étant “le caractère d’exactitude, de précision, de régularité”. Si certains métiers semblent toujours requérir cette compétence, il ne faut pas sous-estimer la vitesse à laquelle les machines automatisent de plus en plus des tâches qui nécessitent justement de la rigueur : des systèmes autonomes capables de détecter des tumeurs avec une précision qui rivalise avec les meilleurs spécialistes, une IA au service de la détection des fraudes ou encore une IA qui consolide et exploite des données de staffing pour booster la performance des sociétés de services.
Selon vous, quelles sont les « compétences douces » que devraient rechercher en priorité les recruteurs aujourd’hui ?
La capacité d’apprentissage et la capacité d’adaptation sont indispensables pour permettre aux travailleurs d’innover et d’évoluer efficacement dans un monde régi par le mouvement et le changement constants. Il y a aussi des qualités à titre individuel qui favorisent un apprentissage et une adaptation rapides.
Il existe une classification internationale regroupant les compétences du 21ème siècle ; classification reprise par l’OCDE. Parmi ces compétences, les fameux 4 “C” qui favorisent l’apprentissage (“learning skills”) : Critical Thinking, Creativity, Communication, Collaboration. Je pense que c’est une base fiable sur laquelle les entreprises devraient repenser leurs offres, car ces 4 “C” sont non seulement des compétences transverses mais sont (encore aujourd’hui du moins) l’apanage des hommes et des femmes face à la machine.
Ces 4 “C” sont donc primordiaux : un esprit critique pour résoudre des problèmes complexes et challenger une information pas toujours fiable (les fake news par exemple, y compris celles générées par des IA) ; de la créativité pour proposer des produits et services innovants ou pour trouver de nouvelles méthodes de collaboration plus performantes ; de la communication pour véhiculer ses idées clairement et rapidement, ce qui implique de prendre en compte les caractéristiques propres à ses interlocuteurs et à son environnement de travail pour une communication pertinente ; et enfin de la collaboration pour apprendre aux côtés des autres, monter en compétences rapidement et favoriser la créativité du groupe.
Bien entendu il ne suffit pas d’apposer ces termes sur une offre d’emploi… Pour les entreprises, le plus important reste à faire : comprendre précisément dans quelle mesure et dans quels contextes ces compétences sont pertinentes pour leurs équipes et in fine leur business, car sous l’impulsion du progrès et de l’innovation les métiers changent rapidement.
Est-ce que vous ne pensez pas qu’on en fait un peu trop avec les soft skills, notamment au détriment des hard skills ?
On a peut être tendance à avoir une vision un peu trop manichéenne sur le sujet… Si les entreprises misaient tout sur les hard skills il y a encore quelques années, il semblerait qu’aujourd’hui les soft skills soient mis entièrement sous les feux des projecteurs.
Certes, elles ont une importance indéniable… Mais certains métiers requièrent encore une grande maîtrise technique. C’est le cas par exemple des métiers “en vogue” comme la Data Science… Il faut simplement être conscient que les progrès technologiques obligent les travailleurs à actualiser leurs compétences techniques régulièrement. Le propos n’est pas de dire “soft ou hard skills ?”, mais plutôt “quel socle de compétences est pertinent ?”. Plus précisément : quel socle de compétences (hard et soft) est pertinent pour mon entreprise / mon équipe / mon métier aujourd’hui et demain ? Le rapport 2018/2019 de l’APEC parle d’une “employabilité continue à cultiver”. C’est exactement cela ! La formation, le up-skilling et le re-skilling sont les enjeux clés de ces prochaines années pour préserver l’employabilité des travailleurs face aux progrès rapides de la machine.
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