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Slow Recrutement : DRH, Hâtez-Vous… Lentement !

Speed dating, matching de profils, candidature en 1 clic, sans CV, outils prédictifs, qualification par intelligence artificielle : le monde du recrutement semble atteint d’une frénésie du « toujours plus vite ». Pourtant l’acte de recrutement n’est pas anodin, ni pour l’entreprise qui accueille le nouvel embauché, ni bien sûr pour le nouvel embauché lui-même ! Ne serait-il pas temps de lever un peu le pied ? Bienvenue dans l’ère du slow recrutement !

Un empire et des fables

Le premier empereur de Rome, Auguste, avait cet oxymore pour devise : « Festina Lente », que l’on traduit généralement par « hâte-toi lentement ».

Pour l’anecdote, c’est aussi le slogan de la marque suisse d’horlogerie Festina, qui n’aura gardé que le « hâte-toi »… Signe des temps !

L’un des proches successeurs d’Auguste, l’empereur Titus, adopta en guise de respect pour la formule de son aîné le dauphin (symbole de vélocité) et l’ancre (symbole de stabilité) comme blason. La tradition culturelle populaire valide cette démarche intellectuelle sage de ne pas confondre « vitesse » et « précipitation ». Pour preuve, une des fables les plus réputées de La Fontaine est justement celle du Lièvre et la Tortue. La tortue, qui se « hâte lentement », finit par battre le lièvre qui se « hâte vite » (Aristophane).

Le monde économique et social contemporain semble pourtant avoir fait fi de cette sagesse historique, et fait du lièvre véloce et productif son champion.

L’accélération de l’activité humaine, d’abord portée par la révolution industrielle, puis la globalisation et enfin la grande matrice technologico-informationnelle de notre époque a poussé les pratiques entrepreneuriales et managériales vers une recherche de la vitesse avant toute considération, y compris (souvent) le bon sens.

Le recrutement n’échappe pas à cet impératif de la vitesse : une offre d’emploi peut désormais être produite par un agrégateur de texte qui la publie automatiquement sur plusieurs dizaines de job boards, pouvant atteindre en théorie des milliers de candidats potentiels. Ces derniers peuvent postuler en une fraction de seconde depuis leur smartphone pour obtenir quelques jours plus tard – dans le meilleur des cas – une réponse automatisée par email expliquant que « malgré la qualité du profil, nous sommes au regret… » Vous connaissez la suite.

Rapide, sans aucun doute. Mais efficace ? Pas vraiment.

Ce graphique (étude « Preparing for take-off » de Hay Group) montre que le taux de rotation (turnover) des salariés ne cesse de croître. Cette tendance est constatée en France comme dans la plupart des autres pays de l’OCDE.

hausse du turnover et slow recrutement
Le taux de départ (turnover) est en hausse constante depuis 10 ans

Plus intéressant est le ressenti des recruteurs qui expliquent dans cette étude que, pour compenser ces départs et répondre aux besoins d’embauche nécessaires à la croissance, ils doivent sans cesse accélérer leur processus d’acquisition de candidats.

Recruter plus vite et moins bien

Ce cercle vicieux entraîne inévitablement une perte de qualité des profils retenus. En somme, en allant plus vite, trop vite, tout le monde risque d’être perdant à (court) terme. Cette soudaine accélération du processus de recrutement risque de faire perdre de vue les objectifs, la qualité et le sens de la démarche et aboutir à une fatigue (côté recruteur) et à une exaspération (côté candidat).

Ce que l’on appelle « digitalisation des process RH » n’a en fait constitué qu’en la prolongation des méthodes anciennes avec des outils nouveaux.

Quelle différence y a-t-il au fond entre postuler à une petite annonce dans un journal papier et sur un job board ? C’est plus rapide, mais le procédé reste le même. Certes, un candidat peut envoyer 50 emails avec son CV et sa lettre de motivation en une heure, alors qu’il ne pouvait envoyer qu’un ou deux courriers dans le même laps de temps à l’ère manuscrite.

Le numérique a gommé l’ancien dilemme du candidat : est-ce que ma candidature est pertinente ? Est- ce que j’ai des chances d’être retenu ? Il n’a plus besoin de faire d’impressions papier, de payer des timbres et de se rendre à la Poste. Alors, pourquoi ne pas tenter le coup ? 

Coté recruteur aussi les choses ont beaucoup changé : la candidature en un clic a vu leurs boîtes aux lettres crouler sous les CV rédigés à la va-vite ou absolument pas pertinents.

Le slow recrutement, le bon timing pour les candidats

Bien entendu, certaines situations exigent d’agir dans une certaine urgence comme une démission inattendue d’un collaborateur-clé ou la signature d’un contrat important nécessitant impérativement une ressource spécifique. Néanmoins, dans la plupart des cas, les opérationnels peuvent prévoir (sur la base de KPIs ou simplement à l’instinct) à moyen ou long terme leurs besoins en personnel. Prennent-ils le temps de lever la tête du guidon et communiquer cette information à la fonction RH ? Non, et il serait incongru de les en blâmer.

Ce qui peut être fait, en revanche – et c’est là le travail de la Direction des Ressources Humaines – c’est d’identifier les métiers voire les typologies de métiers qui seront en tension au sein de leur entreprise dans les prochaines années, puis de mettre en place une démarche de slow recrutement. Ce travail peut être mené grâce à la création de candidate personae.

Comme son nom l’indique, le slow recrutement consiste à travailler à l’inverse du tempo frénétique qui est imposé aux recruteurs. Comme le dit Sophie Girardeau dans son article consacré au sujet « L’entreprise, au lieu de courir après son besoin, doit l’anticiper. »

L’idée générale de cette pratique consiste à pousser à fond le levier de l’attractivité (notamment grâce à une stratégie d’inbound recruiting) pour alimenter non pas un vivier, mais un pipeline de talents, alimenté en permanence par les candidats eux-mêmes.

Les outils du marketing digital, comme le marketing automation, permettent non seulement d’envoyer des réponses automatisées, mais aussi de qualifier les profils de candidats en temps réel. On peut ainsi mieux définir leurs désirs et leur adhésion aux promesses de marque employeur (la fameuse EVP) de l’entreprise. Ainsi, il est possible de faire coïncider les attentes individuelles des candidats en prenant en compte leur propre temporalité (carrière, mais aussi vie familiale, désir de mobilité, etc.) avec les besoins spécifiques de l’entreprises tout en réduisant au maximum le time to fill, c’est-à-dire le délai entre la parution d’une offre et le recrutement d’un collaborateur.

On aboutit donc à ce paradoxe : en prenant le temps de qualifier en amont une base de données candidats de la même manière que les commerciaux le font avec l’inbound marketing, on est capable de faire coïncider l’offre et la demande beaucoup plus rapidement en aval.

Finalement, la sagesse des premiers empereurs romains a peut-être de l’avenir !

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