Malgré toute l’attention consacrée ces dernières années à l’atténuation des biais cognitifs, de nombreux éléments semblent prouver qu’il n’existe aucun véritable moyen de perfectionner notre prise de décisions professionnelles et personnelles. Pourtant, une expérience récente suggère qu’un entraînement adéquat pourrait améliorer notre pouvoir décisionnel sur le terrain.
Dans un article paru en septembre dans Psychological Science, nous avons partagé des résultats prometteurs suggérant qu’il est peut-être prématuré de conclure que les biais cognitifs ne peuvent être corrigés. Une expérience impliquant des étudiants d’HEC Paris suggère qu’un entraînement à la réduction des biais cognitifs pouvait bel et bien améliorer le processus décisionnel sur le terrain, même sans rappel de ces biais.
L’expérience a été conçue afin de mesurer discrètement l’influence d’une seule séance d’un entraînement « anti-biais » sur le biais de confirmation, défini comme la tendance naturelle à chercher des preuves confirmant des hypothèses et des idées que nous soupçonnons ou croyons déjà être vraies, à cumuler les faits et les avis qui soutiennent cette conviction, et à écarter ou ignorer les indices qui étayent la solution alternative. Un exemple récent du biais de confirmation est la réaction tardive à la crise du coronavirus, palpable en France. Pendant plusieurs semaines, il a été martelé que le virus n’était pas pire qu’une grippe saisonnière, à force de données basées sur les données officielles chinoises (dont il était clair qu’elles étaient sous-estimées), et relativement peu de remises en question des données chinoises ont circulé, ce qui a compromis notre capacité à réagir promptement à la crise sanitaire.
Un peu plus de la moitié des participants à notre expérience (62 %) a suivi l’entraînement, puis a résolu une étude de cas conçue spécialement pour tester le biais de confirmation. Le reste des étudiants a d’abord travaillé sur le cas commercial, avant de suivre l’entraînement. Malgré une période assez longue (18 jours en moyenne) entre l’entraînement et l’exercice, et une structure des problèmes dissemblable entre la formation et le cas d’étude, la comparaison entre les élèves « entraînés » et « non-entraînés » a permis de révéler que l’apprentissage réduisait de 29 % le choix de la solution la moins optimale (celle destinée à confirmer l’hypothèse).
Comment s’est déroulée cette expérience ? Afin de masquer tout lien entre l’entraînement et l’étude de cas, l’administration d’HEC a invité tous les étudiants en commerce provenant de trois de ses programmes à tester un jeu éducatif sur ordinateur. Ce test s’est déroulé dans le cadre de sessions proposées sur une période de 20 jours. Cette intervention bien particulière avait déjà permis d’atténuer drastiquement et de façon durable le biais de confirmation en laboratoire (à l’origine, cet entraînement a été créé pour le Bureau du Directeur du renseignement national aux Etats-Unis et utilisé dans l’objectif de réduire les biais cognitifs des analystes des renseignements du gouvernement américain). Mais il n’était pas du tout clair que ces résultats tiendraient dans un contexte de prise de décision naturel, en l’absence totale de lien fait entre l’entraînement d’une part, et la décision testée d’autre part.
Tous les participants ont également dû résoudre, dans le cadre de leur cursus, une étude de cas surprise, un exercice sur une course automobile inspiré de la décision malheureuse du lancement de la navette spatiale Challenger. Dans ce problème, chaque étudiant endosse le rôle d’un chef d’équipe de course automobile confronté à un choix pivot: rester dans la course ou se retirer.
À première vue, la narration du cas et la structure des enjeux tendent à favoriser le choix qui confirme l’hypothèse : rester dans la course. Toutefois, une analyse attentive des données fournies révèle que se retirer de la course est en fait la meilleure solution, mais atteindre cette conclusion requiert de superposer les données de deux graphiques. Le premier recense la fréquence des pannes moteur par rapport à la température au moment de la course. Le second recense la fréquence des courses sans panne moteur par rapport aux températures au moment de la course. Une rapide inspection de chacun de ces schémas ne dévoile pas de relation claire entre les pannes et la température, mais en les examinant conjointement, le lien est sans équivoque. L’hypothèse d’une panne moteur devient alors une quasi-certitude si l’on considère les températures très basses enregistrées juste avant le début de la course.
Les participants qui ont suivi l’entraînement avant de réaliser l’exercice ont été 29 % plus nombreux à éviter l’écueil de la mauvaise décision (celle qui confirme l’hypothèse) par rapport aux candidats qui n’en ont bénéficié qu’après. Afin de supprimer de possibles biais de sélection (par exemple, la possibilité que les meilleurs étudiants s’inscrivent aux premières sessions d’entraînement), nous avons vérifié que l’effet se maintenait, même si nous ne comparions que les participants ayant suivi la formation un/trois jour(s) avant ou après l’exercice.
Nous avons également analysé la justification de leur choix, telle que les participants l’avaient rédigée. Cette analyse suggère que c’est bien un moindre biais de confirmation qui expliquerait nos résultats : les candidats ayant bénéficié de la formation ont spontanément généré moins d’arguments en faveur de la poursuite de la course que ceux qui ne l’avaient pas encore suivie.
Il réfute également l’inquiétude selon laquelle une formation « anti-biais » pourrait pousser les individus à corriger de façon excessive ou même à abandonner l’heuristique dans des situations où elle est utile. Dans l’expérience menée à HEC Paris, les candidats formés étaient plus à même de choisir la meilleure solution à l’exercice ; cet entraînement a donc amélioré et non altéré leur prise de décision.
De plus amples recherches seront nécessaires afin de reproduire cet effet dans d’autres domaines. Cette première étude suggère également que les jeux sont peut-être des apprentissages plus captivants que les conférences ou les résumés écrits des découvertes issues de la recherche. Enfin, une formation est peut-être plus efficace lorsqu’elle décrit les biais cognitifs et les moyens de les atténuer de façon abstraite, puis propose immédiatement aux candidats des épreuves pratiques pour tester leurs connaissances à travers différents problèmes et contextes.
Anne Laure Sellier (@AnnLaureTime) est professeure associée de marketing à HEC Paris.
Irene Scopelliti (@irenesco) est maître de conférences en marketing à la Cass Business School de la City University de Londres.
Carey K. Morewedge (@morewedge) est professeur de marketing et Everett W. Lord professeur émérite à la Questrom School of Business de l’université de Boston.
Anne Laure Sellier, HEC Paris, Irene Scopelliti, Cass Business School, et Carey K. Morewedge, Boston University
<<< À lire également : Sept Biais Cognitifs Qui Plombent Votre Transformation Digitale >>>
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits