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Self-Management : La crise d’identité du collaborateur

Self-Management
Sources : GettyImages

Aller vers le self-management est un chemin difficile pour l’employé. Cela nécessite un changement radical de son environnement de travail, et requiert de la personne qu’elle décide de changer son identité professionnelle.

De nombreuses entreprises ont franchi le pas. Rompant avec le modèle de l’organisation pyramidale, elles ont fait le choix de la réinvention, d’une entreprise bâtie sur un pouvoir constitutionnel. Au sein de celle-ci, chacun est invité à affirmer son autonomie, sa responsabilité voire sa souveraineté sur les rôles qui lui sont confiés. Chacun est invité à changer de posture, à devenir un “self-manager”. En s’appuyant sur un pouvoir constitutionnel – chacun est soumis aux mêmes droits et devoirspour organiser et distribuer travail et autorités sous forme de rôles. L’organisation peut circonscrire sa dimension hiérarchique inhérente au lien de subordination, contenu dans le contrat de travail, pour laisser l’autorité des personnes dans les rôles qui la composent, s’exprimer pleinement, dans une “Organisation de droit”, à l’instar du concept d’Etat de droit appliqué à l’entreprise. Et c’est exactement ce qu’on observe dans une entreprise visionnaire comme Morning Star avec sa constitution, Colleague Principles. Le collaborateur peut devenir un “self-manager”, patron de son rôle, véritable mini-entreprise qui évolue avec d’autres au cœur de l’écosystème constituant l’entreprise. 

Un nécessaire changement d’identité et de posture

Pour permettre l’émergence et le développement de « self-managers » au sein de l’organisation constitutionnelle, un changement d’identité du collaborateur est nécessaire. En effet, le “self-manager” ne se contente pas et ne se définit plus par le travail qu’il fait. Il incarne, assume et gère un ou plusieurs rôles sur lesquels il exerce son libre arbitre, une forme de souveraineté, tel un véritable patron d’entreprise.

Si le manager, celui qui priorise, attribue et accompagne les personnes dans leurs rôles, peut devenir soit créateur de valeurs (comme ce patron de la distribution qui se reconcentre sur ses talents et se recentre sur la vente), soit créateur de leaders ou encore entrepreneur créateur de valeurs, le salarié devient lui leader de rôle, créateur de valeurs. Dans la zone d’autorité attribuée à son rôle, il devient le véritable patron d’une sorte de « mini-entreprise ». Il bascule, avec les autres rôles dans et hors  l’organisation, dans une relation de pair-à-pair, de client / fournisseur. Mais, pour se faire, le collaborateur doit apprendre à prendre le recul requis, à savoir « descendre de vélo régulièrement pour se regarder pédaler ». Il est de sa responsabilité d’identifier sa prochaine tension dynamique, d’identifier les axes d’amélioration et d’innovation pour son rôle, de saisir l’écart qui existe entre la situation qu’il peut observer aujourd’hui et la situation-cible idéale vers laquelle il souhaite cheminer.

Contrairement au mode réactif dans lequel chacun pouvait s’inscrire dans l’organisation conventionnelle, le self-manager, guidé par cette tension dynamique, est invité à libérer une énergie créatrice, à se mettre en mouvement vers l’idéal qu’il vise.  Il exprime son leadership. Il est leader de son rôle parce qu’il sait identifier et prioriser ses actions, parce qu’il est capable de se prendre en main dans toute situation. Il est autonome car il sait lorsqu’il ne sait pas et sait demander de l’aide à la bonne personne au bon moment. Il se focalise sur son rôle sur ce qui crée le plus de valeurs.

Une notion de responsabilité redéfinie

Avec l’émergence du self-management, la notion de responsabilité se voit totalement réinventée. Alors que dans l’organisation hiérarchique celle-ci se résume à la question « à qui tu reportes ? », l’organisation constitutionnelle interroge le collaborateur sur ce que sont les produits ou les services qu’il a à offrir au travers des rôles qu’il incarne. Elle le questionne également sur qui sont ses clients – à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. Elle le questionne aussi sur qui sont ses fournisseurs et ce qu’il en attend – à l’intérieur comme à l’extérieur de l’organisation. Enfin, elle l’invite  à s’interroger sur le potentiel de création de valeurs associé à chacun de ses rôles, leur raison d’être. Cela implique un changement d’identité, de modèle mental pour chaque collaborateur tenté par cette nouvelle aventure. L’entreprise n’est plus un tout fini et fermé mais un écosystème ouvert, un « organisme vivant » au sein duquel il évolue et interagit avec les autres rôles et parties prenantes. Chaque self-manager est un « mini-entrepreneur », patron de chacun de ses rôles.  

Pas ce patron que l’on retrouve dans l’organisation d’avant et dont l’autorité repose d’abord sur son ascendant hiérarchique. Dans l’organisation constitutionnelle, chaque self-manager est porteur d’une autorité qui lui permet de faire ce qu’il a à faire sans avoir à en référer à qui que ce soit, dans la zone d’autorité de son rôle. Désormais, tout ce qui n’est pas explicitement interdit est, par défaut, autorisé. C’est l’effet Ferrari.  L’autorité est rendue explicite par la raison d’être du rôle, sa finalité, par chacune de ses redevabilités c’est-à-dire les accords mutuels convenus avec ses pairs. C’est ce que l’entreprise Morning Star appelle les CLOU. C’est sur la base de cette autorité explicite qu’est construite la structure qui sous-tend l’organisation. Une structure qui est la manifestation d’un système d’autorités et d’accords mutuels de pair à pair.

Les 4 questions à se poser pour ce créateur de valeurs

Le self-manager, patron à part entière de ses rôles, pour cheminer dans la bonne direction, structure sa démarche autour de quatre questions clés pour construire, donner du sens, créer de la valeur et incarner des valeurs. La première de ces questions l’invite à s’interroger pour qui il crée de la valeur ajoutée, quels sont ses clients ?  La deuxième porte elle sur la nature de l’offre de service, la proposition de valeurs, ce qui est délivré au client ? La troisième, est celle où il s’interroge sur le “avec qui”, quels sont ses fournisseurs, quelles sont les offres de service qu’il en attend ? Il faut dire qu’être patron d’un rôle, c’est entrer dans une double polarité, comme il y a le yin et le yang, celle de fournisseur et de client. Deux polarités liées voire indissociables. Enfin, la dernière question est celle du potentiel créateur de valeurs du rôle. Quelle est sa raison d’être, son but ultime, sa finalité ? Vers quoi le rôle aspire-t-il à aller ? En somme, quel est le potentiel créateur de valeurs que le monde attend de ce rôle, de cette mini-entreprise ?

Et, pour avancer sur ces cinq questions essentielles, le self-manager peut s’appuyer sur un outil tout entier tourné vers les besoins et aspirations d’un patron. Le Business Model Canvas est cet outil. Grâce à lui, chacun est en mesure de se centrer sur la création de valeurs. Parce qu’il permet de décrire de quelle façon la valeur est créée et capturée, Le Business Model Canvas est idéal pour aider chaque self-manager à acquérir une posture de leader de rôles, créateur de valeurs.

Les 5 sujets à traiter pour le self-manager

Au-delà des questions que le self-manager se pose pour être créateur de valeurs, il lui faut aussi investir cinq sujets. Il y a d’abord les actions qu’il doit suivre et traiter lorsqu’elles sont de son ressort. Il lui revient ensuite de suivre et traiter ses projets, c’est-à-dire une somme d’actions qui cherche à atteindre un résultat attendu.

Le self-manager porte également son attention sur tout ce qui le limite dans la création de valeurs et  cherche à réduire l’écart qu’il ressent entre la réalité et le potentiel de chacun de ses rôles. C’est une fois qu’il ressent cet écart qu’il trouve l’énergie pour définir ses prochains pas pour avancer vers cet idéal, ce qu’on appelle la mise en mouvement déclenchée par cette “tension dynamique”. 

En outre, il gère aussi ses rôles en rencontrant régulièrement les pairs qu’il sert, ses clients, au sujet de leur relation, pour faire évoluer, le cas échéant, leurs accords mutuels : les redevabilités en Holacratie ou les CLOU chez Morning Star. De façon réciproque, il fait la même chose avec ses fournisseurs pour faire évoluer régulièrement leurs redevabilités sur la base des nouveaux accords qui les lient. Chemin faisant, il va ressentir de plus en plus finement le potentiel créateur de valeurs de son rôle et en faire évoluer en conséquence la raison d’être, sa finalité, son objectif ultime, ce qui aspire à être. 

Enfin, last but not least, le self-manager se construit de nouvelles habitudes, requises par sa nouvelle identité dans cette organisation constitutionnelle. Il peut dans un premier temps identifier et décrire l’habitude qu’il souhaite se créer, sous la forme d’un comportement concret. Une nouvelle habitude peut être par exemple, “me reprendre lorsque je demande encore une validation à mon ex-boss, ou encore ce que je dois faire, et demander à la place ce que je veux dans mon rôle”. En tant que self manager, il ne défère plus son autorité à quiconque. Puis, dans un second temps, il peut définir un mécanisme, un nudge pour renforcer cette nouvelle habitude.

Leadership et followership

Au-delà de tout ce qui vient d’être dit,  le self-manager a compris qu’il doit focaliser son énergie sur les sujets qui sont de son ressort… et juste ceux-là. Et laisser les autres sujets à ceux qui sont concernés, les mieux placés pour les traiter, dans les rôles appropriés. Ce que j’appelle le “Followership”. Si je suis boulanger et que quelqu’un me demande des saucisses, je vais le renvoyer vers le charcutier à côté. L’emphase portée ces dernières décennies sur la coopération, quasi élevée au rang de dogme, associée au manque de clarté sur les rôles, a pu faire oublier ces règles de bon sens que nous connaissons pourtant si bien à l’extérieur de l’entreprise. Ce n’est pas le mauvais comportement de quelqu’un, qui “refilerait” une patate chaude ou qui ne voudrait pas coopérer, c’est de la vraie coopération, intelligente.  

À chaque sujet qui se présente, le self manager s’interroge. Est-ce de mon ressort ou de celui d’un autre rôle ? C’est ce questionnement qui lui permet de développer son leadership et son followership, c’est-à-dire sa capacité à laisser à autrui tout ce qui n’est pas de son ressort.  Le self-manager bascule dans un équilibre inédit, balance tantôt sur un leadership centré sur là où il crée de la valeur, tantôt sur un followership s’appuyant sur la création de valeurs par ses pairs. Il n’a jamais été aussi puissant car followership et leadership vont main dans la main tout comme le Yin va avec le Yang. Développer l’un développe automatiquement l’autre.

Ce qui caractérise le self-manager dans l’organisation constitutionnelle, c’est sa capacité à s’identifier et se comporter comme un véritable patron de sa « mini-entreprise », créatrice de valeurs. Illustration de ce changement radical d’identité et de posture par rapport à ce qui préexistait dans l’organisation hiérarchique, le self-manager ne se met plus en situation de dépendance vis-à-vis de ses collègues et de ses pairs. Comme ce self-manager marketing qui soumet à ses collègues la newsletter qu’il vient de préparer, non pour validation mais pour recueillir d’éventuelles suggestions qui pourraient encore améliorer son travail, et qui les informe que, quoi qu’il arrive, celle-ci sera diffusée quelques jours plus tard. Il ne se met pas en situation de dépendance, d’attente et de relance. Il se “self-manage” et assume l’autorité qu’il détient dans ses rôles, plaçant ainsi les autres face à leurs responsabilités. Il sait que lorsqu’il prend sa place, il aide les autres à prendre la leur. 

Tout un programme !

Développer le self-management dans son entreprise nécessite d’abord et avant tout du collaborateur qu’il accepte de changer son identité au travail, de se voir comme un leader créateur de valeurs, patron de ses rôles. Et que le management accepte le fait qu’il a le droit de ne pas le vouloir. Circonscrire le lien de subordination inhérent au contrat de travail est un pré-requis, pour lever les barrières en matière de responsabilisation. Et enfin, la mise en place d’un pouvoir constitutionnel est une condition indispensable pour que « empuissancement » et « accountability » de chacun puissent s’opérer dans le temps.

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