Il aura malheureusement fallu attendre une pandémie dont nous n’avons pas fini de mesurer les conséquences pour apporter une attention et des efforts conséquents à la santé psychique et à la psychiatrie. Parmi eux, nous pouvons bien entendu compter sur la technologie ! Devant le fleurissement de cet écosystème récent, il nous a semblé d’utilité publique d’interroger les plus grands spécialistes du secteur pour dresser un panorama sérieux des dix innovations qui vont bouleverser 2023. Le tout avec la perspective d’une santé mentale plus précise, plus personnalisée, préventive et participative, et porteuse de nombreux espoirs pour les millions de personnes concernées à travers le monde.
1 : Réalité virtuelle, réalité augmentée et Métavers.
En santé mentale, leur usage implique d’exposer le patient, via un matériel spécifique, à des situations anxiogènes pour lui. Sous la guidance du praticien, et dans un environnement sécuritaire, un travail thérapeutique peut ainsi s’engager concernant les émotions, les pensées dysfonctionnelles, et les comportements. Particulièrement utilisées dans les situations de phobies, de troubles de stress post-traumatique, d’addictions, de troubles du comportement alimentaire, ou de nécessité de relaxation, les TERV (thérapies par exposition à la réalité virtuelle) se démocratisent à grande vitesse dans nos hôpitaux et cliniques, de par leur efficacité et leur approche non médicamenteuse.
2 : Web3 et Blockchain
Le premier intérêt ici se situe dans la protection des données de santé, en ce que le web3 en garantit le contrôle aux utilisateurs et patients (contrairement au web2, basé sur des échanges de flux qui peuvent être exploités à des fins commerciales). Par ailleurs, les NFTs (non fongibles tokens) peuvent également s’avérer très utiles en santé mentale, notamment pour donner aux utilisateurs le sentiment d’appartenance à une communauté. C’est le cas de The Clinic, qui réunit 10 000 NFTs donnant accès à un forum de discussion privé sur des sujets comme l’anxiété, ou la dépression.
3 : Objets connectés
Véritables innovations de rupture, les objets connectés apporteront dans la décennie à venir des espoirs majeurs en santé mentale. Portatifs et ambiants, ces capteurs polymorphes seront en effet bientôt utilisables pour observer en temps réel quasiment tous les paramètres et les constantes du patient en temps et en vie réels : comportement, environnement… Ils offriront des possibilités inédites de construction de modèles de causalités individualisés et donc d’intervention qui le seront tout autant.
4 : Reconnaissance faciale
L’observation visuelle des patients pendant une consultation ou durant une thérapie permet d’extraire des marqueurs digitaux en complément des marqueurs biologiques classiques. A partir de leurs comportements, des informations supplémentaires sur l’état de santé mentale des patients sont ainsi déduites. Pour que cette observation échappe à la subjectivité du médecin, il a recours à la vidéo. Les principales applications envisagées sont l’aide au diagnostic, le suivi des déclins cognitifs, et l’aide à une meilleure compréhension du patient.
5 : Reconnaissance vocale
L’analyse de la parole, de la voix du patient (débit, spontanéité, hésitations…), s’avère d’une grande utilité pour aider les praticiens à assurer un suivi attentif et rapproché. Elle est un signal facile à collecter, peu coûteux, et non invasif. En pratique, des solutions ont été récemment expérimentées pour détecter des signes précurseurs de troubles tels la dépression, l’anxiété et le risque suicidaire. Intégrées aux centres d’appels cliniques ou à des applications de thérapie numériques à distance, elles permettent d’aider à mieux évaluer le profil des patients.
6 : UX Design
Si on la sait importante dans toute interaction numérique, l’expérience utilisateur (UX) devient essentielle en santé mentale. Parce que les personnes concernées traversent une période difficile et recherchent du soutien, il est fondamental que les solutions fassent preuve d’une bonne compréhension psychologique des couleurs, de la charge cognitive, et que les parcours soient pensés comme de véritables routines positives. Les efforts à faire sont encore nombreux lorsque l’on sait qu’aujourd’hui, plus de 7 utilisateurs sur 10 abandonnent une solution numérique après 90 jours[2].
7 : Réseaux Sociaux
Souvent pointées du doigt pour leurs effets parfois néfastes sur la santé mentale, les plateformes « social media » ont pourtant un rôle majeur à jouer dans la démocratisation et le changement de perception de certains troubles psychiques, particulièrement dans la libération de la parole des individus en souffrance. Nous ne sommes vraisemblablement qu’au début d’un phénomène qui va prendre rapidement de l’ampleur, porté par des patients créateurs de contenus, mais aussi des professionnels de santé de plus en plus connectés.
8 : Neurostimulation médicale
Ici, nous parlons plus précisément de la rTMS (Stimulation Magnétique Transcrânienne répétitive). Cet acte thérapeutique médical vise à moduler le métabolisme de certaines zones du cerveau pour améliorer les symptômes de pathologies neuropsychiatriques comme la dépression, les troubles obsessionnels compulsifs, ou encore les douleurs neuropathiques. Non invasive, sans douleur, et sans anesthésie, la pratique bénéficie d’études très prometteuses, particulièrement sur des troubles dits « résistants » (aux thérapies « classiques »). Encore l’apanage d’une poignée de cliniques et d’établissements hospitaliers universitaires parisiens et lyonnais, elle tendra à se démocratiser dès 2023.
9 : Chatbots (ou agents conversationnels)
Dès lors que les chatbots se sophistiquent et utilisent des briques d’intelligence artificielle conversationnelle, leur potentiel s’en trouve décuplé. Le traitement et la génération du langage naturel permettent des échanges plus libres et plus complexes. Ainsi, les chatbots peuvent servir de soutien psychologique de premier niveau, ou encore de relais entre les consultations avec le thérapeute. Dans un double contexte de hausse des troubles liés à la santé mentale et de pénurie de professionnels de santé, le fait que le dialogue homme-machine soit susceptible de soigner offre d’intéressantes perspectives.
10 : Thérapies digitales ou DTX
Tout d’abord, rappelons que les thérapies digitales constituent des outils thérapeutiques ou de télésurveillance qui, tout comme les médicaments, se définissent par la preuve de leur efficacité et de leur tolérance dans le cadre d’essais cliniques randomisés, et répondent à une validation réglementaire. Ensuite, il est fondamental de préciser qu’elles ne sont pas vouées à être autonomes, mais bien intégrées dans un écosystème de soins plus large. En ce qu’elles répondent à un véritable enjeu de santé publique, et parce qu’elles sont à l’origine d’alternatives précieuses au “tout médicamenteux”, il est impératif d’organiser une collaboration radicale et rapide entre les chercheurs, les professionnels de santé mentale, les entreprises de la Tech, et les politiques, pour accélérer leur déploiement.
Tribune rédigée par le Collectif MentalTech et 16 experts [1]
[1] Marie-Luce JACOB, Psychologue ; Grégory MAUBON, Chief Data Officer, HCS Pharma ; Gabin Marignier, CEO & co-fondateur de Focus Tree ; Anca PETRE, Fondatrice de 23 Consulting ; Xavier BRIFFAULT, chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au CNRS ; Rachid GUERCHOUCHE, consultant R&D et Innovation, Responsable technique et coordinateur de projet ; François BREMOND, Directeur de Recherche à INRIA Sophia-Antipolis ; Ali SAGHIRAN, Docteur (PhD) en traitement de la parole et Data scientist chez ResilEyes Therapeutics ; David REGUER, CEO et de RCA Factory ; Dr. Alexis BOURLA, Psychiatre ; Dr. Véronique Narboni, Directrice Médicale Ethypharm Digital Therapy ; Daphne PETRICH, Senior Business Development Manager de Hello Better ; Dr. Hanne HORVTH, Fondatrice et Directrice Commerciale de HelloBetter ; Hannes KLÖPPER, CEO de HelloBetter ; Nicolas GREMY, Responsable sectoriel santé numérique, Bpifrance ; Emma GARCIA-LIGERO, Analyste chez Newfund
[2] Saki Amagai ; Sarah Pila, Aaron J.Kaat ; Cendy J.Nowinski ; Richard C.Gershon (2022)