Les facteurs clés de transformations et d’innovations vitales impliquent le développement de nouvelles compétences et un changement d’état d’esprit
En ces temps incertains et complexes où les enjeux sociétaux se font intensément ressentir ou les horizons temporels se télescopent, nous invitant à re regarder à la fois à long terme et à court terme, l’impatience démocratique et les multiples défis (transition écologique, justice sociale, perte de sens, radicalisation…) nous obligent à poser de nouvelles questions et à trouver de nouvelles solutions. Dans cette dynamique d’accélération des transformations, de nouvelles compétences, non techniques, sont nécessaires dans la formation et la mobilisation des talents, dans le monde de l’entreprise comme du politique. Il faut savoir gérer les zones d’incertitude, trouver de nouvelles voies, se réinventer, innover pour transformer.
La littérature managériale se focalise plus sur les organisations, les outils et les processus qui permettent les transformations. Pourtant, les grandes transformations comme les innovations apparaissent comme portées par un individu hors du commun : des hommes providentiels en politique comme Charles de Gaulle ou Nelson Mandela, des entrepreneurs tels Elon Musk, Bill Gates, Steve Jobs… ou des inventeurs géniaux tels Marie Curie ou Léonard Da Vinci. Néanmoins, la figure mythique de l’inventeur, de l’entrepreneur, du politique solitaire résiste difficilement à une lecture attentive des histoires des innovations technologiques et sociales. Innover est avant tout un processus social qui requiert la concomitance de nombreux facteurs individuels, organisationnels et institutionnels.
Innover nécessite de savoir créer, mais aussi de mettre en œuvre afin de générer de la valeur (financière, organisationnelle, sociétale…). Et dans la création et la mise en œuvre, l’humain est à la source et à la manœuvre. L’innovation à l’instar des grandes transformations est avant tout l’affaire d’un collectif pour répondre à un enjeu de société.
Aussi, appréhender la composante humaine de l’innovation est essentiel. En particulier, comprendre la palette des compétences à déployer est complexe et se révèle multidimensionnel. La capacité d’un individu à innover, mais aussi celle du collectif dans lequel il s’inscrit, repose aussi bien sur des compétences transversales individuelles que sur des compétences transversales collectives, soit la capacité de chacun à travailler avec les autres dans un environnement favorable aux initiatives. C’est ce que l’étude publiée en mai 2022 par France Stratégie “les soft skills pour innover et transformer les organisations”.
Le collectif est au cœur de l’innovation et de la transformation. Et au-delà du savoir travailler ensemble, la diversité des individus qui composent un collectif innovant est primordiale. Cette diversité trouve d’autant plus de sens en temps de crise où la nécessité de faire différemment devient stratégique. Pourtant on retrouve régulièrement des phénomènes endogamiques : une élite issue des mêmes formations au sein des organisations, certaines où l’on retrouve plutôt des HEC, d’autres des ESSEC… des comités de direction trustés par les polytechniciens ou des anciens de tel ou tel réseau, des ministères et cabinets ministériels où se rencontrent les alumni de la même promotion de l’ENA (demain de l’INSP)…
Le manque de diversité est accentué par le mode de sélection de ces talents comme par leurs formations. Ces grandes écoles sont bien dotées sur le plan des compétences techniques et cognitives (logique, rationalité…) mais ont longtemps minimisé l’importance des compétences non techniques (empathie, collaboration…). Le développement de ces compétences étaient « déléguées » aux associations sportives, politiques ou culturelles, aux bureaux des élèves… C’est la même logique qui prédomine pour ceux qui rejoignent les grands corps de l’État ou des entreprises, tels que les cabinets de conseil et d’audit. Cette endogamie favorise un entre-soi peu ouvert mais dont le réseau fait force par la création de son propre langage. Cependant, il entrave la rencontre des modes de pensée et la collaboration aux frontières des disciplines, nécessaires à toutes innovations.
Pourtant, tous les travaux de recherche en management, mais aussi en sociologie et en psychologie, montrent que la diversité et la complémentarité des équipes facilitent les apprentissages. De la même manière, la confrontation des expériences favorise la création et la mise en œuvre des transformations nécessaires aux organisations et plus généralement à la société.
Cette diversité doit être accompagnée et soutenue à travers trois grands desseins qui font le trait d’union entre la sphère personnelle et le champ politique :
1. Appréhender l’incertitude :
Si des objectifs doivent être initialement définis, il est nécessaire d’accepter qu’une partie des moyens, des idées, des apprentissages soient ignorés au départ. Ceux-ci naissent avant tout du croisement des sensibilités et des enrichissements mutuels de ceux qui sont engagés. Par ailleurs, dans ce monde marqué par un environnement incertain, nous devons apprendre à tolérer l’ambiguïté, le flou, si nous voulons agir en autonomie et construire ensemble le futur.
2. Inciter à l’autonomie :
Bénéficier d’une autonomie suffisante s’avère primordial, cette autonomie doit être perçue et ressentie. Le développement, l’appropriation et la possible transmission des compétences comme de connaissances nouvelles n’interviennent que si nous sommes acteurs de nos décisions. L’autonomie s’avère être un levier du bien-être et de la confiance, et par conséquent de la capacité à innover.
3. Favoriser l’empathie :
L’empathie et l’expression des points de vue permettent de représenter ce que pense ou ressent autrui tout en le distinguant de ses propres pensées ou ressentis. L’empathie contribue à trouver des solutions souhaitables et réalisables alignées sur les besoins, les désirs des gens. Ainsi, elle permet de réduire les conflits et fractures entre “administrateurs et administrés” grâce à l’inclusion d’actions de reconnaissance réciproque.
Pour poursuivre ces trois desseins, il devient nécessaire de former des équipes complémentaires composées d’individus aux compétences différentes. La conception et la constitution de ce collectif ne se situent pas dans la métaphore du puzzle et de la pièce manquante, mais dans l’assemblage. Car contrairement à un puzzle, le collectif est une dynamique qui articule l’individu et le groupe oeuvrant pour créer du lien. Cela implique d’engager la subjectivité des individus et de l’accepter, à rebours du modèle bureaucratique propre à certaines institutions, fondé sur la rationalité, la prévisibilité et la maîtrise du risque, qui ne laisse que peu de place aux initiatives des agents de terrain. Il s’agit de favoriser l’expression et la rencontre de différents points de vue, de différents profils, de différents secteurs. Cela doit commencer dès la formation initiale à travers des dispositifs de rencontres, voire de frictions, entre différentes populations.
Mais aussi, il s’avère nécessaire de relier ces compétences transversales ou soft skills aux compétences techniques, aux outils de l’organisation, pour une meilleure compréhension de l’environnement. Les soft skills contribuent ainsi à l’apprentissage des compétences techniques en leur donnant un sens. La technique doit se mettre au service de l’empathie, de l’autonomie, de l’humain et non l’inverse.
Ces exigences viennent bousculer la focalisation sur les seules compétences de la rationalité comme élément-clef de sélection et de décision au sein de la société. Elles impliquent d’adopter une attention forte à la valorisation des soft skills. Cela passe par une attention forte à l’efficience du collectif, dès la formation initiale puis tout au long de la vie des individus comme des organisations. Il s’agit aussi de la responsabilité sociétale des organisations de créer et cultiver la diversité, de mettre en place un « environnement capacitant » pour conduire les transformations et innover en réinscrivant l’humain au cœur de ces défis.
Auteurs :
Romaric Servajean-Hilst, professeur Kedge Business School, chercheur-associé I3-CRG Ecole polytechnique, fondateur ITI Institute
Brieuc du Roscoät, président de l’Institut de la Transformation et de l’Innovation (ITI Institute)
Sébastien Bauvet, responsable de recherche chez Frateli Lab
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