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Refaire Sens Pour Sortir De La Crise

Crise

La crise du Covid-19 a déclenché une psychose collective et une vague d’hystérie à l’échelle mondiale. Cet effondrement du sens, tel que décrit dans les travaux du psychosociologue Kark Weick s’explique en partie par la manière dont la crise est gérée par les gouvernements, notamment en France, et amplifiée par les media. L’incertitude et l’ambiguïté sont les deux facteurs qui contribuent à la perte de sens et empêchent la résilience. Dans la crise actuelle, ils s’expriment par : les hésitations et les injonctions contradictoires des pouvoirs publics et des autorités médicales, les propos approximatifs ou erronés, les décisions incompréhensibles, les fausses interprétations d’indicateurs et de graphiques, la politisation d’une question sanitaire, le management par la peur, la dramatisation permanente par les médias et l’infodémie sans précédent de fake news et de théories du complot. Par Anne Gombault, professeur à KEDGE Business School et Oihab Allal-Chérif, professeur à NEOMA Business School.

Par conséquent, il semble qu’au lieu de dénouer la crise, ce plongeon dans l’incertitude l’aggrave. Le retour à la normale qui devait se faire au bout de quelques semaines, puis de quelques mois, semble n’être même pas encore prévisible. Cette incertitude qui se poursuit sans perspective de sortie de crise est démoralisante, frustrante et angoissante pour la population. A cela s’ajoute une gestion coercitive plutôt que responsabilisante de la crise depuis le début. En plus de la perte de certaines libertés, beaucoup craignent d’être victimes de cette crise multi-dimensionnelle, non pas en raison de sa cause directe, le Covid-19, mais de la manière dont elle est gérée. La population est dans la méfiance et la défiance vis-à-vis de ses dirigeants alors que la confiance est indispensable à la sortie de crise.

Coronavirus : une épidémie de la peur ? (France Culture)

Le manque de sagesse du débat public

Quand sort-on d’une crise ? Karl Weick répond clairement : quand les acteurs de la situation de crise parviennent à refaire du sens (sensemaking), la crise se caractérisant par l’effondrement du sens et des références ainsi que l’incapacité d’interprétation. Les individus réduisent l’incertitude et l’équivocité de la situation de crise dans l’interaction en essayant de limiter les possibilités d’interprétation. Or, le débat public confus ne fait qu’entretenir le la logique floue de la situation en paralysant la capacité d’interprétation, la création de sens, et donc l’action. Par conséquent, l’incertitude augmente au lieu de diminuer. C’est la raison pour laquelle, en France comme ailleurs, la sortie de crise semble inatteignable.

Selon Weick, dans une situation d’urgence ou de crise, la sagesse permet de préserver sa capacité de discernement, d’ouverture, d’écoute et de curiosité et donc de rester en contact avec le moment présent en déployant des compétences d’improvisation et de bricolage. Or la psychose qui s’est emparée de la France, comme d’autres pays, empêche d’agir correctement. « J’ai peur de la peur » dit Didier Raoult le 23 juin 2020. Chacun réagit en fonction de ses émotions et de la peur de ce qui pourrait arriver plutôt que de manière rationnelle après avoir analysé les faits.

De plus, la politisation précoce de la crise sanitaire a conduit les acteurs de pouvoir à adopter une rhétorique chronophage de monstration et de justification de l’action qui paradoxalement freine l’action. Les responsables semblent penser bien plus à valoriser ce qu’ils font qu’à faire ce qu’il faut, tout en étant terrorisés à l’idée d’un bad buzz qui ruinerait leur réputation. A cela s’ajoute la spectacularisation de la crise par les médias qui sont entrés dans une surenchère de décomptes morbides, d’interviews racoleuses, de déclarations à l’emporte-pièce, et d’images dramatiques. La stratégie de la peur et la logique du pire se poursuit encore six mois après le début de la crise sans autre perspective, bien que la situation soit très différente.

Coronavirus : « Je n’ai pas peur de la Covid-19 », assure le philosophe André Comte-Sponville

Le résultat, c’est beaucoup d’agitation et beaucoup de communication qui transforme une pandémie certes très grave mais tout à fait gérable, comme il y en a déjà eu et comme il y en aura encore, en menace apocalyptique qui efface tous les autres sujets, divise la société, ruine l’économie et prolonge artificiellement une crise qui aurait pu avoir un impact moins important et une durée moins longue. Les décisions prises par des autorités différentes, en compétition les unes avec les autres et qui ne se coordonnent donc pas, sont tellement à contre-temps, incohérentes entre elles, symboliques plus que pratiques, que cela les rend complètement incompréhensibles. L’action face à la crise s’en trouve bloquée et inefficace. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne les masques.

L’équivocité à son comble : la controverse des masques

L’équivocité est à son comble avec les masques qui donnent chaque jour lieu à des débats passionnés et à de nouvelles fake news. C’est désormais le sujet le plus polémique du monde, les pro et les anti-masques allant jusqu’à s’affronter physiquement dans des manifestations. Si on se concentre sur la France, les questions débattues ont été successivement : A-t-on assez de masques pour protéger toute la population comme cela devrait être le cas ? A-t-on assez de masques pour les soignants ? Pourquoi ne fabrique-t-on plus de masques en France ? Quand les commandes ont-elles été passées ? Quand vont-elles arriver ? Sont-elles suffisantes ? Les masques sont-ils utiles pour la population générale ? Quels sont les bons masques à utiliser ? Pourquoi les USA déroutent les masques destinés à la France ? Pourquoi les pharmacies ne peuvent-elles pas vendre de masques ? Pourquoi la grande distribution annonce des millions de stocks de masques ? Pourquoi fait-on du profit sur les masques ? Pourquoi a-t-on trop de masques qui ne s’écoulent plus ? Doit-on mettre des masques à l’intérieur ? Au travail ? A l’école ? A l’extérieur ? Partout ? Tout le temps ? Y-compris pour les joggeurs et les cyclistes ? Doivent-ils être gratuits ? Le port du masque obligatoire est-il une privation de liberté ? Un moyen de contrôle ?

Le principal problème est d’être passé de l’inutilité totale à l’obligation totale du masque. Le 6 mars 2020, Olivier Véran déclarait en conférence de presse : « J’insiste : l’usage des masques en population générale n’est pas recommandé et n’est pas utile ». Le 13 mars, le Premier Ministre Edouard Philippe affirme au journal de 13H00 de TF1 que « Le port du masque en population générale dans la rue, ça ne sert à rien ». Le 11 mars, Jérôme Salomon assure : « Il ne faut surtout pas avoir de masques pour le grand public. Ça n’a pas d’intérêt. ». Le 25 mars, Sibeth Ndiaye explique : « Il n’y a pas besoin d’un masque quand on respecte la distance de protection vis-à-vis des autres ». Même Emmanuel Macron dit dans Le Point le 16 avril : « Je refuse de recommander le port du masque pour tous et jamais le gouvernement ne l’a fait ». Aujourd’hui le masque est obligatoire partout et tout le temps à Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Nice, Strasbourg, ou Reims.

Comment le gouvernement a « évolué » sur les masques

Par ailleurs, pour ajouter à la confusion, les décisions radicales des préfets ont été contredites par les tribunaux administratifs qui ont exigé que l’arrêté, considéré comme illégal, sur le port obligatoire du masque obligatoire exclue (1) les lieux qui ne sont pas caractérisés par une forte densité de population ou des circonstances locales susceptibles de favoriser la diffusion du coronavirus, et (2) les horaires pour lesquels il n’y a pas de risque. Puis c’est le Conseil d’Etat qui a son tour a demandé à certains préfets de corriger leurs arrêtés, mais dans une moindre mesure.

L’incapacité à maintenir un système d’action organisé

Pour Weick, les organisations en crise n’ont pas réussi à maintenir un système d’action organisé en raison de l’influence d’une situation inhabituelle. Il démontre pourquoi, dans des contextes inattendus, les mécanismes de construction du sens ne fonctionnent plus et tendent à maintenir une inertie dans le comportement des individus qui divergent les uns par rapport aux autres au lieu de converger. Cette division de la société face à un management par la peur est ce que dénoncent 35 chercheurs, universitaires et médecins dans une tribune où ils expliquent que « cette crise doit nous unir et nous responsabiliser, pas nous diviser ni nous soumettre ». Au même moment,  6 médecins appellent dans une autre tribune à limiter les rassemblements privés et à reporter toute réunion.

Les autorités publiques font un chantage au reconfinement qui a été pour beaucoup un traumatisme, preuve qu’elles sont toujours incapables de proposer mieux que la solution d’urgence adoptée il y a 6 mois quand il y avait plus de 1000 morts par jours et peu de moyens pour faire face, ce qui n’est plus le cas. La peur, la division et la soumission sont bien des facteurs aggravants de la crise, et non des moyens de la gérer. La façon dont les personnes âgées ont été et sont encore traitées a beaucoup choqué et conduit à de l’indignation, de la dépression, de la rébellion, et des conflits entre générations. Le fait de passer des heures dans des files d’attente pour faire ses courses, puis pour acheter des masques, puis aujourd’hui pour se faire tester, montre que l’on ne fait que passer d’une panique à une autre.

« Nous ne voulons plus être gouvernés par la peur ». Jean-François Toussaint, Professeur de Physiologie

L’incapacité à maintenir un système d’action organisé se voit entre autres dans les écoles. L’Education Nationale qui est particulièrement sujette à cette psychose collective donne des consignes drastiques (on se souviendra du livret de 56 pagesde protocole sanitaire) à des écoles qui n’offrent pas la continuité pédagogique attendue et appliquent des solutions à géométrie variable parfois extrêmes, laissant les parents démunis et les enfants avec des conséquences psychosociologiques durables.

Selon Weick, dans une situation de crise, deux éléments sont fondamentaux. D’une part l’intersubjectivité – qui permet une pluralité d’interprétations et donc la construction du sens – est porteuse d’innovation, à condition qu’elle ne soit pas freinée par une logique de contrôle. D’autre part, la créativité est la compétence à laquelle on s’attend le moins, or c’est pourtant celle dont on a le plus besoin pour proposer de nouvelles actions. Une part d’improvisation et de do-it-yourself est même nécessaire.

Or, depuis le début de la crise du Covid-19, les pouvoirs publics en France ont tendance à être trop coercitifs, ce qui paralyse l’action et contribue au prolongement de cette crise. Même le plan de « relance » ne semble pas à la hauteur des enjeux avec des investissement trop limités, un manque d’actions de court terme, et une volonté de revenir en arrière plutôt que d’aller de l’avant. Il s’agit plutôt d’un plan d’ajustement structurel dont les mesures auraient dû être adoptées bien avant la crise. La sortie de crise requiert de se tourner plus fortement vers l’avenir, en refaisant du sens collectivement, et en laissant de la place à la créativité et à l’innovation, pour pouvoir agir.

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