Dans un monde où l’expérience client est au centre de toutes les stratégies, qu’en est-il de l’expérience patient ? Le docteur Nabil El Beki, chef du pôle anesthésie-réanimation au CH de Valenciennes a trouvé une façon de réenchanter l’hôpital pour les enfants.
Redesigner l’expérience au bloc opératoire
Angoisse, anxiété, boule au ventre : le bloc opératoire est une source de peur et de stress aussi bien pour les grands que pour les petits. Le docteur Nabil El Beki, chef du pôle anesthésie-réanimation du CH de Valenciennes a décidé de relever un pari fou pour le monde médical en transformant de bout en bout l’expérience du bloc opératoire. Son credo ? Faire de ce moment souvent douloureux une expérience positive et joyeuse.
« Tout est parti de notre réflexion autour de la gestion de l‘anxiété » me raconte d’une voix docte Nabil El Beki. Une réflexion simpliste mais pour le moins cruciale au sein d’un hôpital et de chacun de ses services : comment détendre au mieux les patients avant une opération sans avoir recours aux anxiolytiques ?
Pour le docteur El Beki, il était important de challenger l’ordre établi et de chercher ailleurs, de voir plus loin : « Pouvait-on mettre au point d’autres stratégies ? Davantage tournées vers un développement durable » ajoute-t-il en laissant présager une aventure qui allait connaître un buzz sans précédent pour l’hôpital de Valenciennes. Mais un hôpital singulier tout de même : « Notre service à Valenciennes est axé sur l’hypnose, une dizaine de médecins ont d’ailleurs un D.U en la matière. » Dès que l’occasion se présente, « les adultes sont emmenées debout au bloc opératoire. Il y a là plus de respect dans la démarche et on évite les effets secondaires des anxiolytiques qui ralentissent le réveil post-opératoire ».
Le cas des enfants
Une situation parfaite, presque parfaite. « Pour les enfants, c’est plus complexe », souligne le médecin, « ce sont des personnes plus anxieuses, plus tristes, et avec les parents, la situation est plus difficile à gérer, ce qui fait qu’on devait prescrire des médicaments pour calmer les patients. On en a donc discuté en équipe et on s’est dit que transformer un brancard en jouet pouvait être intéressant. Pourquoi pas en voiture électrique ? ».
C’est ainsi que le projet des voitures électriques a vu le jour, financé au départ par le docteur El Beki et ses équipes.
L’expérience commence plusieurs semaines avant l’opération, parents et enfants s’acclimatent chaleureusement en laissant l’enfant entrevoir les voitures exposées pour être déjà charmé par le côté ludique et léger des appareils.
Le jour-J, au petit matin, tout est fait pour faire de l’opération un mirage ludique. C’est excité et impatient que l’enfant choisira l’une des six voitures jouxtant sa chambre. Une fois assis dans l’engin, par un simple tour « d’autohypnose », le patient sera mené jusqu’au bloc opératoire par la télécommande d’un infirmier. Un parcours d’une trentaine de mètres tout tracé, « entre rires et pleurs des parents » qui finira par une torpeur calme et sans stress suite à une anesthésie préalable. Une fois endormi, le jeune patient sera opéré et se réveillera plus rapidement dans les bras de ses parents, sourires aux lèvres et dans la plus grande émotion des proches et du personnel. Pour Nabil, cette alternative s’est avérée payante dans tous les sens du terme.
Nabil me raconte le point critique de tout ce projet : « Est-ce faisable ? ».
Et pour cause, l’hôpital est par essence le lieu des soins et de la sécurité. Impossible donc de passer outre un protocole capable, dans toute sa chaîne de valeur, d’assurer qu’une voiture électrique soit acheminée depuis le concessionnaire local jusqu’aux box jouxtant les chambres des patients selon un cahier de charge bien précis. « On a créé une véritable fiche de maintenance pour maîtriser les voitures et c’est pour cela qu’on les a commandées en kit pour les construire, pour se les approprier. Deux techniciens de maintenance se sont chargés de les monter et de se former, notamment avec la hotline du concessionnaire, pour connaître les fragilités et les dangers des engins ».
Une fois les voitures montées et sécurisées, le projet tombait davantage dans une problématique comportementale : est-ce que ce nouvel outil allait être facilement accepté et adopté par tous les services hospitaliers ? « On a dû produire un logigramme capable de tout coordonner et de changer les habitudes des services de soins ». Pour le docteur El Beki, « la conduite du changement n’a pas été un problème, mais n’était pas pour autant acquise. On a eu la chance d’être un hôpital innovant d’un point de vue managérial. Les médecins gèrent leurs projets de façon libérée », ce qui n’est pas l’atout de tous les autres hôpitaux, très souvent freinés administrativement ou financièrement.
La maintenance et le logigramme une fois esquissés, « la dernière étape de ce protocole fut l’hygiène ». Une étape indispensable pour garder les voitures toujours saines et rendre le projet viable. Ces trois étapes du protocole une fois complètes, l’expérience du patient a pu être construite minutieusement, jusqu’à en dessiner un parcours tout tracé.
Les gains du projet
Les gains de ce projet ont été très importants : d’une part le réveil des patients s’est accéléré, permettant aux patients suivants de trouver plus rapidement une place au bloc opératoire. D’autre part, « l’effet direct a été l’effet marketing » sourit le docteur El Beki. « Notre hôpital a réussi à montrer une valeur humaniste profondément attractive pour les patients et ceux à venir ». Les volumes de patients ont clairement augmenté.
D’une simple idée courant 2017, les voitures électriques se sont depuis multipliées pour escorter les jeunes patients. Financées par la générosité des médecins eux-mêmes, des footballeurs de l’équipe locale, de parents optimistes, d’associations de malades chroniques attachants, ou encore des mécènes qui ont par la suite proposé leurs voitures et leurs dons à d‘autres hôpitaux pour faire vivre et se reproduire cette nouvelle expérience hospitalière. Et c’est dans ce sens que se dirigent les actuelles recherches menées au sein de l’hôpital de Valenciennes pour prouver que cette méthode fonctionne scientifiquement. « Prouver c’est permettre de dupliquer » assure le docteur El Beki, « c’est peut-être comme cela qu’on pourra nous écouter, et qu’on pourra nous imiter pour ré-humaniser les hôpitaux de demain ».
Interview réalisé par Dalila Madine, fondatrice de la : FrenchFutureAcademy, première école du Design Thinking à impact positif .
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits