Mélange de technicité, de précision et de vitesse, la Formule 1 est un sport exigeant. Et collectif. Si seul le pilote monte sur le podium, derrière, c’est toute une équipe composée d’ingénieurs et de mécaniciens de haute voltige qui contribue chaque seconde à sa victoire. Un sport d’équipe qui semble se courir en solo. Pour gagner, il faut être le plus rapide, et cela se joue au centième de seconde. Lors d’un grand prix, pour que les voitures fusent sur le bitume, que se passe-t-il en coulisse dans les paddocks ? Leçon de mangement sur le circuit Paul-Ricard du Castellet avec les équipes de Renault F1.
S’approcher des trois secondes est une mauvaise performance. Durant un grand prix de Formule 1, ni hésitation, ni erreur ne sont acceptées. Il en va de la performance, mais aussi de la sécurité du pilote. En deux secondes et quelques millièmes, les mécaniciens doivent démonter et remonter quatre roues avant de laisser à nouveau fuser la voiture vers de nouveaux tours de piste. Une chorégraphie qui s’exécute sans parole et sans temps mort, par une petite vingtaine de protagonistes casqués. Quel type de management permet une telle vitesse et une telle précision ? Le 24 juin dernier, l’équipe Renault F1 nous a ouvert les portes du Paddock lors du Grand Prix de France au Castellet (Var) histoire de voir, en temps réel, la prouesse.
Dix ans après le dernier Grand Prix de Magny-Cours, la Formule 1 revenait en France, sur le circuit du Castellet ouvert en 1970 par le milliardaire Paul Ricard – inventeur de la boisson anisée éponyme. Sur le podium, une Mercedes, une Red Bull et une Ferrari, avec Hamilton, Verstappen et Raïkkönen au volant. A défaut de gagner, Renault voulait, à domicile, montrer ses ambitions en matière de Formule 1. « L’objectif est de consolider notre place pour cette troisième saison depuis notre retour dans la compétition en 2016 », expliquait Cyril Abiteboul, Directeur Général de l’écurie.
Miser sur l’entente et la complémentarité
Partis à la 7ème et à la 12ème positions, l’Espagnol Carlos Sainz Jr a terminé à la 8ème place, et l’Allemand Nico Hülkenberg à la 9ème. Les pilotes de l’écurie française avaient surtout pour objectif de prouver qu’une équipe solide est en train de se construire. « Être en France fait que nous bénéficions de plus d’attention », indiquait le pilote Nico Hülkenberg, à quelques heures des qualifications. « Avec Carlos [Sainz Jr], nous travaillons en équipe, nous avons une bonne relation et nous aimons nous challenger », ajoutait le pilote allemand. « L’esprit d’équipe est très important. Nico et Carlos sont très proches et complémentaires », ajoutait Alain Prost, ancien coureur auto et aujourd’hui conseiller technique.
« En 2016, quand nous nous sommes relancés en tant qu’équipe, nous avions besoin d’un coureur expérimenté et nous avons pris Nico Hülkenberg », détaillait Cyril Abiteboul, directeur de l’écurie Renault, la veille du Grand Prix de France. « Puis, Carlos Sainz Jr nous a rejoint. Il est plus frais, il connaît bien la mécanique, il a un nom [son père, Carlos Sainz est également pilote, ndlr]. C’est cela construire une équipe. Et les pilotes le savent, ils ne peuvent pas être égoïstes. »
Construire une équipe
Un peu comme Didier Deschamps, qualifié de « meilleur manager de France »* par certains observateurs après la victoire des bleus à la Coupe du monde de football pour avoir su créer un collectif, une écurie de Formule 1 ne peut fonctionner qu’avec une équipe solide, bienveillante, complémentaire et efficace. Et cela dépasse la simple entente entre les pilotes. « En Formule 1, il est indispensable de faire travailler les gens ensemble, c’est pragmatique », soulignait Alain Prost juste avant le Grand Prix de France en faisant le parallèle avec la technique : « quand on choisit un outil ou un élément c’est parce que c’est le plus efficient. »
Alors comment sélectionner les bons collaborateurs ? « Le choix des personnes avec lesquelles travailler est un choix compliqué car elles ont un rôle très technique, doivent parfaitement comprendre la voiture, mais c’est aussi un poste où l’humain est un facteur primordial », explique Ciaron Pilbeam, chief race engineer pour Renault. L’ingénieur en chef chapeaute une petite équipe de six personnes sur le circuit le jour J, mais plusieurs dizaines sont chargées d’analyser – à l’arrière – en temps réel les données enregistrées du terrain. Et adapter les décisions en fonction.
L’humain est primordial car dans le paddock minuscule, une fourmilière s’agite en silence. En silence pour deux raisons : casque et bouchons aux oreilles sont indispensables pour protéger du bruit des véhicules et des outils, mais aussi parce qu’il serait inaudible de permettre à chacun de s’exprimer. « Tout le monde sait ce qu’il a à faire, donc on évite de parler pour ne pas créer la confusion », explique Rob Cherry, chief mechanics. « Attention, il y a des personnes très bien sur le papier qui ne font pas l’affaire sur le terrain », met en garde le chef mécanicien qui embauche en fonction de « recommandations, bonnes références et création d’un climat de confiance ».
Passer du temps ensemble pour améliorer les performances
Un climat qui se construit également grâce aux moments de vie partagés. Pilotes, mécaniciens, ingénieurs (…) parcourent ensemble le monde plus de 120 jours par an, d’un Grand Prix à un autre. Loin de leurs proches, ils se recréent un cocon. « C’est comme une famille », avance même Helen Makey, ingénieure performance. « Nous travaillons beaucoup ensemble et nous passons beaucoup de temps ensemble. Il y a une bonne atmosphère de confiance, de camaraderie et d’enthousiasme », ajoute Rob Cherry.
Petite difficulté malgré cette apparente simplicité, la gestion des caractères. « Ils sont tous très différents, et il faut donc s’adresser à chacun de manière différente ce qui n’est pas toujours évident », a constaté le chief mechanics.
Passer du temps ensemble n’est pas uniquement utile pour fluidifier les rapports, cela permet d’améliorer les performances. « Nous passons beaucoup de temps avec les pilotes pour faire en sorte que les équipes soient coordonnées et prennent en compte leur feedback », indique Ciaron Pilbeam, le chef ingénieur. « La rapidité des changements de roues est un élément à prendre en compte dans le management, il faut donc créer une dynamique. »
S’entraîner jusqu’à la perfection
Pour parvenir à ce ballet de deux secondes et des broutilles, les équipes s’entraînent jusqu’à la perfection. « Nous utilisons beaucoup la vidéo et nous passons beaucoup de temps en amont pour ne pas perdre de temps le jour J. », souligne le chef ingénieur. Pendant des semaines, les gestes sont répétés encore et encore. « Tout le monde sait exactement ce qu’il doit faire », surenchérit son collègue Rob Cherry. « C’est très coordonné. Nous réagissons aux changements, nous avons un plan avec des procédures. »
Laurence Letrésor, public relation manager, compare ce métier à un autre secteur exigeant où elle a fait ses premiers pas. « La Formule 1 est un sport d’excellence, et comme dans l’hôtellerie de luxe, tout doit être au cordeau, millimétré. » Dans le Paddock, les résultats sont là et la chorégraphie est impeccable, sans accroc ni précipitation, malgré l’extrême vitesse.
Anticiper le changement
« Plus on s’approche de la course, plus tout est détaillé. Nous avons un plan A, mais nous nous préparons à tous les scénarios possibles, et notamment au temps : s’il pleut alors que ce n’était pas prévu nous devons être en mesure de réagir », précise Ciaron Pilbeam. Répéter sans cesse pour être en capacité d’anticiper et de s’adapter à la moindre variation de température, au moindre imprévu. Pour Rob Cherry : « Nous devons être en mesure de travailler sous pression, sans faire d’erreur. »
Anticiper nécessite que chaque membre de ce corps ait atteint l’excellence, la parfaite maîtrise de sa partition. « Quand les pilotes viennent en F1, nous leur donnons la meilleure voiture avec les meilleurs ingénieurs et mécaniciens, dans le meilleur environnement », insiste Cyril Abiteboul, directeur général de l’écurie.
Pour atteindre l’excellence, « chaque département a ses objectifs à long, moyen et court terme pour mesurer les performances », précise le DG. Et pour permettre à cette complexe mayonnaise de prendre, la passion pour la Formule 1, les voitures et la mécanique est l’élément fédérateur, tant sur le plan humain que sur le plan des performances.
*Article de presse. Management, joue-la comme Deschamps, Chef d’entreprise 11/06
Article initialement publié dans le 4ème numéro de Forbes France septembre-novembre 2018
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits