Conférencière, écrivaine, formatrice experte et ex-chasseuse de tête, Christel de Foucault, est une voix qui compte sur les réseaux sociaux professionnels. Linkedin en tête. Cette femme engagée a récemment poussé un « coup de gueule » médiatique suite à la mésaventure d’un candidat humilié en entretien en raison de son bégaiement. « La maltraitance en entretien, j’en entends parler tous les jours”, confie-t-elle. Entre état des lieux et préconisations, Christel de Foucault nous livre ses bonnes pratiques pour tendre vers plus de bienveillance dans les procédures de recrutements. Parce que chaque recruteur peut redevenir un jour demandeur d’emploi…
En répondant à l’appel de détresse d’un étudiant humilié en entretien, vous avez libéré la parole sur les réseaux sociaux. Beaucoup de candidats ont livré le récit de situations blessantes. Cette sortie de route d’un recruteur est donc loin d’être isolée ?
Le 15 août dernier, j’ai en effet écrit un post pour dénoncer ce qu’avait vécu un jeune homme de 24 ans, membre du réseau Linkedin, qui m’avait contactée en message privé pour me faire part de sa mésaventure. Souffrant de bégaiement, il avait déclenché un fou rire chez les recruteuses qui le recevaient et qui ne s’étaient pas excusées et n’avaient pas interrompu l’entretien non plus. Mon but était de dénoncer ce genre de comportement auprès de la communauté, mais j’espérais également recevoir des messages d’encouragement qui reboosteraient le jeune homme blessé. Un 15 août en plein milieu d’après-midi, il y avait très peu de chance que cela fonctionne… et pourtant le post a créé un buzz incroyable (plus de 3,6 millions de vues, 5000 partages, 6300 commentaires).
Au regard du nombre de personnes qui ont réagi pour relater leurs amères expériences en entretien, il n’est pas faux de dire que cette « sortie de route » n’a rien d’un cas isolé… En revanche, ne nous hâtons pas pour en faire une généralité ! Comme dans tous les métiers, il y a aussi des gens incompétents dans les fonctions RH. Toutefois les dommages collatéraux peuvent être plus palpables, tant pour les candidats reçus que pour l’image des entreprises : cette fameuse ‘Marque Employeur’.
« Trop juniors, trop seniors, trop femmes, trop gros, ou « coupables » d’une origine extra-communautaire ». Pourquoi continue-t-on à recenser autant de cas de dérapages, de discriminations à l’heure où les entreprises prônent l’exemplarité et la transparence, jusqu’aux coulisses de leurs recrutements ?
Je pense que cela peut être lié à l’incompétence ou à la malveillance de certains recruteurs. Ces derniers ne représentent aucunement la profession. Il arrive également souvent que ces salariés soient débutants dans le métier, et surtout mal informés et peu formés. A titre d’exemple, lorsque j’échange avec des responsables de petites entreprises amenés à recruter eux-mêmes, ils sont très surpris « d’apprendre » qu’ils ne peuvent pas écarter une personne d’un recrutement sous prétexte qu’elle habite loin…
Quels recours pour les candidats déshumanisés ? Quid de leurs droits ?
Les candidats ont relativement peu de recours légaux et cela dépend surtout de la loi en vigueur dans les pays. En France, un candidat qui estime avoir été maltraité ou discriminé en entretien peut interpeller le Défenseur des Droits (anciennement la Halde), et de façon anonyme. Cette démarche ne changera pas la donne quant à sa propre situation, néanmoins elle déclenchera une réaction ciblée sur l’entreprise ou le cabinet ayant recours à ces pratiques de recrutement discriminatoires. Le Défenseur des Droits à un pouvoir de sanctions.
Il y a un autre recours qui d’ailleurs peut se transformer en arme redoutable : les réseaux sociaux. La puissance d’une publication dénonçant un abus de pratiques peut être phénoménale… Seule réserve, elle peut placer le candidat dans une posture délicate vis-à-vis des autres recruteurs qui se montreront rétifs à l’embaucher. De fait, il est plus indiqué de passer par des relais étrangers à la situation. Comme moi vis-à-vis du candidat humilié cet été. Je déconseille vraiment de donner le nom de l’entreprise ou des recruteurs en raison des répercussions médiatiques de part et d’autres. Je ne dis pas qu’il faut se censurer : il faut savoir dénoncer judicieusement ces mauvaises pratiques pour tendre vers un recrutement plus humain.
Quelles sont les questions les plus couramment posées en entretien qui s’écartent du cadre légal d’un entretien de recrutement en portant atteinte à la vie privée du candidat ?
En France, elles sont au nombre de 25 si on tient compte de L’article L1132-1 du Code du travail : l’apparence physique, l’origine, l’état de santé, le handicap, le sexe, l’orientation sexuelle, les mœurs, les opinions politiques, les opinions religieuses, l’âge, le patronyme, l’état de grossesse, la situation familiale, les caractéristiques génétiques, l’identité du genre, les activités syndicales, la nationalité, l’appartenance à une ethnie, l’appartenance à une race, le lieu de résidence, la perte d’autonomie, la précarité sociale, la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, la domiciliation bancaire, le droit de grève.
Les plus couramment posées concernent le lieu de résidence, la situation de famille et l’âge.
Quelles sont vos préconisations aux candidats qui abordent un entretien ?
Personnellement, je conseille aux candidats de répondre à ces questions car s’ils commencent à dire au recruteur qu’il sort du cadre légal, je crains que ces derniers ne « sortent du processus de recrutement ». Ne nous leurrons pas. Même s’ils ont raison de vouloir recadrer l’entretien, il faut se préparer à répondre à ces questions très communément posées. Je préconise donc de se montrer très succinct sur ce point et de surtout développer le versant professionnel. Par exemple, un candidat pourrait rétorquer : « J’ai 50 ans et 25 ans d’expérience dans tel domaine, ce qui me donne une vraie légitimité à ce poste… ».
Et inversement, aux hommes et femmes qui se retrouvent « en position de force hiérarchique » de par leur statut de recruteurs ?
Je conseille aux recruteurs de ne jamais oublier qu’ils ont été eux-mêmes chercheurs d’emploi un jour et qu’ils peuvent aussi le redevenir. Je leur dis également de faire très attention à la manière de mener leur entretien afin de ne pas le transformer en interrogatoire car les candidats aussi « recrutent » les recruteurs. A plus fortes raisons en cette ère numérique où l’on parle énormément de ‘Marque Employeur’. Il ne faut jamais oublier que derrière chaque candidat se cache un potentiel influenceur sur les réseaux sociaux… Et enfin, les candidats ne restent pas chercheurs d’emploi toute leur vie. Lorsqu’ils seront de nouveau en poste, ils sont susceptibles de se souvenir de la maltraitance subie en entretien et de la personne à l’origine. La mémoire de la souffrance est la moins éphémère !
Mon conseil : considérer et traiter chaque candidat comme un CLIENT.
Tel un guide de bonnes pratiques, votre prochain ouvrage « Recruteurs : 80 questions pour vos entretiens » (éditions Eyrolles), co-écrit avec Hélène Ly, apostrophe justement les recruteurs sur le sujet. Parlez-nous de vos investigations.
Nous avons décidé avec Hélène Ly d’essayer de réconcilier les candidats et les recruteurs. Nous proposons aux recruteurs un guide de questions qui leur permettra de transformer leurs entretiens en véritables échanges. Nous avons repris l’ensemble des interrogations les plus couramment posées pour les formuler différemment, en fonction des besoins et des contextes propres à chaque recrutement. Ceci afin de créer une suite logique dans le questionnement afin qu’il ne heurte pas les candidats. Notre fil conducteur a été de respecter à chaque fois la notion de ‘Marque Employeur’ et l’image rattachée à l’entreprise. Notre double regard, du côté des recruteurs et du côté des chercheurs d’emploi, était intéressant à explorer aux fins d’arriver à construire une alliance.
Notre livre « Recruteurs : 80 questions pour vos entretiens » s’adresse aussi bien aux recruteurs débutants, à ceux qui embauchent ponctuellement – sans que cela soit leur métier – et aux plus aguerris qui ont envie de se renouveler. Chacun, en fonction de sa situation et du contexte choisira ainsi la formulation des questions qui lui correspond le mieux et pourra décoder plus facilement les réponses des candidats. C’est une manière pour nous d’apporter notre pierre à l’édifice dans l’amélioration des pratiques de recrutement.
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